Convulsif, « Extinct » LP

Toujours se méfier de ce qui est estampillé métal ou affilié et qui vient de Suisse, ils ont une tradition d’excellence dans le genre. Le nom de Convulsif ne cessait de revenir – que ce soit dans la programmation de Cave12 ou dans celle de l’excellente asso Drone to the bone (que la nostalgie finira par rendre mythique) – mais ce n’est qu’avec ce cinquième album que je les découvre vraiment. Ca fait un bout de temps que des groupes pratiquent ces musiques tout en les faisant sortir du format rock pour les emmener sur des terrains beaucoup plus ambitieux, un peu comme si elles étaient entrées dans une période de maturité. Morceaux dépassant régulièrement les dix minutes, influence des musiques jazz ou contemporaine parfois, croisements audacieux. Comme leurs collègues de label, HEX, Convulsif est de cette trempe-là.

Chez Convulsif, c’est un violon et une clarinette basse qui font face au traditionnel basse-batterie et qui, autour d’un axe rythmique féroce, sculpté, volontiers répétitif et minimaliste, déploient leurs figures. En ouverture de l’album, « Buried in one » fait ainsi défiler des plages bruitistes dans une sorte d’écriture syncopée vraiment frappante, tandis que les notes tenues de « Five days of open bone » viennent s’enrouler sur une basse aux aguets dans une montée presque post-rock – mais, chez Convulsif, le post-rock vient se fracasser sur une vague furieuse où le quatuor fait la démonstration de toute la brutalité dont il est capable. La machinerie atteint des dimensions franchement stratosphériques sur le tournoyant « The axe will break ». Aussi bien, Convulsif ne dédaigne pas pour autant le format coup de poing comme sur « Feed my spirit side by side » où la basse et ses coups de butoir rythmés comme des frappes de boxeurs sont à l’honneur, ni les dingueries hybrides, les rythmiques monstrueuses et concassées qui finiront par se destructurer tout à fait de « Torn from the stone » et « Surround the arms of revolution ». On pense tout à tour à John Zorn, à Noxagt, à Morkobot.

Dans ce théâtre fracturé, le groupe se montre totalement maître des temporalités qu’il impose, tantôt déployées à l’infini, tantôt brutalement repliées sur elles-mêmes, comme au coeur d’une décharge de foudre. Un champ de perturbations magnétiques fascinant dans lequel il était grand temps d’entrer.

Convulsif, « Extinct » LP (Hummus records)

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Printemps noise ! part 1 (The dawn, Deveikuth, It it anita, Frustration, Catalgine, Nevraska)

C’est le printemps noise ! En Haute-Savoie, il n’y a pas que des pentes enneigées et des gilets jaunes en Audi, il y a aussi des concerts qui défouraillent. Retour en images sur quelques moments forts de la saison. Non… j’ai dit ça ?

On commence par un show à Genève, toute proche : The Dawn et Deveikuth à la Makhno. Deux groupes bien obscurs que Drone to the bone est allé cherché dans les tréfonds de l’underground marseillais.

T-Shirts rigolos  – dont celui du chanteur à l’effigie de Rorcal, clin d’oeil au patron ? – mais power-violence chaotique joué avec fougue pour The Dawn qui fait pas rigoler du tout. C’est lourd ? Rapide ? C’est le troisième morceau ou le dix-septième?

Avec un morceau intitulé « I bet you like Botch, bitch », on pouvait s’attendre à ce genre de correction. Le groupe existe depuis 10 ans, a sorti plusieurs albums et faisait ici son dernier concert avec son chanteur/hurleur. Sortie avec les honneurs.

On retrouve le bassiste de The Dawn dans Deveikuth, mais derrière les fûts. Plus question de blasts et de morceaux pieds au plancher ici car il s’agit de Funeral doom. Eh oui, c’était mon premier concert de Funeral doom ! Peut-être bien que vous vous demandez ce que c’est. Eh bien, une sorte de doom minimaliste bloqué sur des tempos ultra lents.

Invocations caverneuses déchirantes, effet de trance hallucinée. Bon enfin, on sent le temps passer quand même au bout d’un moment. Ah le concert est fini ? OK, c’était le moment.

Passons sans transition aux Belges de It it anita, qui jouaient  au Club du Brise-Glace mercredi 13 mars – c’est-à-dire le même soir que Zu à genève, y’a des jours comme ça… –  dans le cadre du festival Hors-Pistes. Même qu’il y avait du monde. Et un premier groupe aussi, que je n’ai pas vraiment vu.

Par contre, It it anita pas question d’en perdre une miette. Ouverture du concert tout en larsens et déjà c’est beau. Disposition atypique du groupe sur scène – les deux guitaristes et la paire basse-batterie se faisant face, de profil par rapport au public. Un concert tonitruant où tu avais parfois vraiment l’impression de te retrouver à la grande époque de la  Jeunesse sonique – période Goo ou quelque chose comme ça – tant le groupe maîtrise ses envolées noise. Ce en quoi ils sont un peu les cousins de A Shape, autres héritiers Sonic youthiens, mais parisiens.

Les deux chants très travaillés savent aussi ciseler de chouettes mélodies et d’ailleurs ce serait idiot de réduire ce groupe à cette influence tant ils sautent d’un registre à l’autre avec naturel.

Le final sauvage dans la fosse a mis tout le monde d’accord : ce groupe est géant. Et je crois bien qu’on devrait en entendre parler dans pas trop longtemps, du côté du Poulpe à l’automne prochain pour être plus précis. Hmm, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Le Poulpe justement, où jouait Frustration le 30 mars dernier.  Y’a des groupes, c’est comme si tu étais maudit et que chaque fois qu’ils jouent quelque part, il y a un empêchement. Ca a été le cas pendant un bout de temps avec Frustration donc ce concert était un peu comme une revanche.

Un DJ, deux ou trois gars qui dansent et font les cons devant – tiens c’est le groupe. Eh ben, ils ont l’air en forme. Les échos du concert de la veille à Cave 12 avec Usé sont pourtant moyens. Assez froid, fatigués peut-être. Mais ce ne sera absolument pas le cas ce soir : le groupe enfile ses tubes post-punk comme des perles. Après un début plutôt cool, le groupe enchaîne les morceaux plus lourds ou plus expérimentaux. Leur post-punk de connaisseur donne l’impression de voyager dans le temps, de revisiter des périodes, des styles, avec toujours ce côté à la fois martial, raide, mais aussi dansant qui caractérise ce style plus à la mode que jamais. Inusable.

C’est un Frustration joyeux, enjoué qu’on verra au Poulpe. Même le chanteur – qui n’a pas la réputation d’être toujours très communicatif – est hilare. Mais la palme revient au bassiste. Pour une raison que je n’ai pas très bien saisie, il avait fait le trajet depuis Genève à pied, avec une bouteille de pastis pour seul ravitaillement. Résultat, il est déchainé, casse ses cordes, prend la parole à tort et à travers. Le set prend des allures absolument hilarantes. Il  donne l’impression de vouloir se battre avec la totalité du public. C’est le bordel, tout le monde se marre, danse et ceux qui s’amusent le plus, ce sont certainement les Frustration. Superbe.

On finit avec Catalgine et Nevraska au café de Chateau-rouge le 27 avril (on est jamais mieux servi que par soi-même, hein). Concert dont la préparation fiévreuse aura d’ailleurs empêché d’aller voir Alabaster et Noiss au Brise-Glace. Dommage.

Un chouette concert en ce qui nous concerne, devant un public restreint mais chaleureux. Faut dire qu’il y avait de la concurrence ce soir-là et aussi que ces soirées, pourtant gratuites et tournées vers la scène locale, peinent un peu à faire recette. A tel point que Julien – pourtant un enjailleur de premier ordre tout dévoué à la cause – jetterait l’éponge. Faut faire quelque chose.

C’était  surtout le plaisir de revoir Nevraska après une assez longue période sans concert, durant laquelle Kick a pris la place de Cyril devenu parisien. Ils ouvrent avec Kollapse, morceau génial à écouter absolument, un de mes morceaux favoris du duo. Ca part donc bien. Alternent ensuite titres connus et cinq nouveaux morceaux. A part un passage à effet électro/boîte à rythmes assez frappant, difficile de se faire une idée sur un seul concert, même si on retrouve souvent ce noise-rock swinguant et survolté qui est la marque de fabrique du groupe. Blues-punk power !

Le nouveau batteur a un jeu plus ramassé que Cyril et ramènera peut-être le duo vers quelque chose de plus brut, qui sait ? A vérifier lors des prochains concerts, par exemple le 15 juin avec les excellents Tuco aux Tilleuls. En attendant un prochain enregistrement. Comme il se doit à Chateau-rouge, tout ça s’est terminé en karaoké post-hardcore entre gens gentils, copieusement arrosé de bières artisanales. Tu veux quoi d’autre ?

>>>>>>>>>> THE DAWN

>>>>>>>>>> DEVEIKUTH

>>>>>>>>>> IT IT ANITA

>>>>>>>>>> FRUSTRATION

>>>>>>>>>> CATALGINE

>>>>>>>>>> NEVRASKA

STN zine # 4

 

STN. Trois consonnes pour nom. Je vous laisse compléter les voyelles. L’oeil du main plane sur les ambiances graphiques sombres de ce petit fanzine lausannois – et non genevois comme l’écrivait récemment un chroniqueur probablement saoul – qui a la particularité de n’exister qu’en version papier. Après un édito qui installe fermement le désespoir comme unique horizon, on y lira la longue et instructive interview de Bruno de l’asso genevoise Drone to the bone, chipée et republiée ici-même il y a peu (y’a pas de hasard). Mais aussi d’excellentes chroniques à la fois variées dans les choix – ça va de Cortez à Ølten en passant par Dark Buddha rising – que précises et tranchantes dans leurs jugements. Ajoutez à cela, quelques poèmes black-metal et vous avez une saine lecture – à défaut d’être sainte – que j’aurai peut-être en distro un de ces jours. (En attendant, vous pouvez contacter les deux auteurs, TRVS et LAAR à stnzine@gmail.com.)

« Power (metal) to the people » : interview DRONE TO THE BONE

Est-ce qu’il existe vraiment, ailleurs, un équivalent de Drone to the bone ? One-man collectif genevois déversant un flot quasi continu de concerts dantesques, électron libre fouillant sans relâche les entrailles de l’underground mondial pour en extraire et propager des pépites. Découvert en 2014 avec le concert Suma/Rorcal/Intercostal, c’est un fil qu’on n’a cessé de dérouler et de suivre. Du black-metal d’avant-garde au hip-hop expérimental, de la noise torturée aux folk songs hantées ou au post-rock contemplatif – à ce niveau, ce n’est plus de la programmation, c’est de l’art. Ou juste un gars qui fonctionne à l’instinct. Les 10 ans de l’asso approchant – qui seront fêtés dignement par 10 jours de concerts en octobre 2019 -, l’idée d’en savoir plus et d’interroger Bruno me tournait dans la tête, quand je suis tombé sur cette interview longue et fouillée et découvrait que STN zine – fanzine genevois publié sur papier dont on reparlera très bientôt – avait fait le job ! Restait plus qu’à contacter Trvs et Laar  pour leur demander si je pouvais la relayer sur Rad-Yaute – ce qu’ils ont accepté avec empressement. Merci encore à eux. En avant.

Présente-toi brièvement, dis-nous qui tu es et ce que tu fais…

Salut ! Bruno / 34 ans /bibliothécaire / père de famille /musicien / gentil organisateur /passionné / un peu fou. Drone to the Bone est mon troisième “enfant”, si je puis dire, que j’élève avec ardeur depuis bientôt 10 ans.

As-tu des activités musicales ou artistiques ?

J’ai joué pendant 11 ans au sein de Rorcal, doom / black metal, de Genève. Mais plus rien sur le feu depuis deux ans (même si ça me démange grave).

Qu’est-ce que Drone to the Bone ?

Drone to the Bone c’est à ce jour quelques 150 concerts organisés sur Genève pour près de 250 groupes originaires des quatre coins de la Planète. Drone to the Bone c’est une passion immodérée pour le Doom, le Sludge, le Black Metal, la Noise, mais pas que. En 2019, Drone to the Bone fête ses 10 ans et c’est super.

S’il faut causer origines, ça remonte à loin. On a commencé à organiser nos premiers concerts dans les squats de la région au début des années 2000, avec les copains (sous l’égide de Sigma Records), puis de fil en aiguille on a investi les maisons de quartier, tous les espaces alternatifs qui voulaient bien nous recevoir (Artamis et j’en passe), pour terminer à L’Usine, « comme des grands ». Il y a eu une grosse pause – en tout cas pour ma part – parce qu’à un moment donné j’avais moins le temps et surtout moins l’envie de le faire, puis je m’y suis remis. On a monté une nouvelle asso en 2009 avec d’autres copains (Stone Cult), mais je m’en suis finalement très rapidement détaché ; devoir discuter et argumenter avec trois personnes à l’époque si on faisait tel ou tel groupe ou non m’a bien gavé… il faut dire qu’on avait pas forcément tous les mêmes envies et que nos affinités musicales en fin de compte ne coïncidaient pas toujours, ce qui au final, en ce qui me concerne, était plus frustrant qu’autre chose. C’est à ce moment-là que je me suis ouvertement lancé dans l’aventure Drone to the Bone, à la fin 2010. Un petit radeau sur lequel je suis seul maître à bord. Seul à décider de tout, selon ce que j’ai envie de faire ou non. Zéro compromis, zéro blabla ; juste une passion que je suis comme un mantra, et un dévouement que je continue de cultiver jour après jour. Si j’ai envie de faire un gig de Funeral doom, je le fais. Si j’ai envie de faire une soirée Hip-Hop, je le fais. Si j’ai envie de faire un sombre groupe du trou-du-cul du Locle ou Dieu-sait-où qui potentiellement n’intéresse pas grand monde à part moi, je peux le faire aussi. En règle générale je m’entends assez bien avec moi-même alors c’est cool ; pas de temps à perdre en tergiversations, réunions, concertations ou je ne sais quoi. Si je veux vraiment faire un truc, je me sors les pouces du cul et j‘y fous.

La rumeur dit que tu travailles tout seul. On te jure qu’on l’a entendu. Même que parfois on la propage nous-même ! Est-elle vraie ?

Rumeur ou pas, tout ce qui importe à mon sens c’est que les choses se passent, peu importent la voie et les moyens pour y arriver et peu importe qui est derrière en train de pousser pour le faire, accessoirement. Après tout, il faut bien que les choses se passent, sinon on fait quoi dans cette Ville morte ? Je ne pense pas que Genève soit une ville plus morte qu’une autre, hein, ce serait du domaine de l’insulte que de prétendre une chose pareille quand on voit l’offre culturelle gargantuesque. Mais sans le nombre incalculable de passionnés qui font vivre la scène, la Genève “alternative“ qu’on connaît tous ne serait plus qu’un vieux souvenir inscrit dans les mémoires des Anciens. Ceci étant, la rumeur dit vrai. Drone to the Bone c’est moi (et inversement). Mais j’ai de précieux amis dans mon entourage qui répondent toujours largement présent lorsque j’en ai besoin, soit pour filer un coup de pouce à la caisse, au bar, faire le son, faire à manger, ou bien juste boire des coups (après tout on est aussi là pour rigoler ou bien ?). Pour le Helvete Underground en 2014, par exemple, j’étais loin d’être seul (même si la prog intégrale reposait sur moi), idem pour les Geneva Doom Days en 2017. Pour dire vrai, parce que je trouve important de le préciser, je suis quoiqu’il en soit rarement seul à faire le merdier de A-à- Z, dans la mesure où les lieux qui m’accueillent ont pour la plupart leurs propres équipes qui participent largement à ce que toutes les choses se passent à la cool. La prog, néanmoins, est toujours de mon ressort ; ou en tout cas dans 99% des cas, puisque Drone to the Bone tape aussi l’incruste de temps à autres sur quelques collaborations ponctuelles comme ça a été le cas sur les concerts de Marika Hackman, Russian Circles, Scott Kelly ou bien The Varukers plus récemment.

Concernant le choix des groupes, est-ce toi qui les démarches ou parfois est-ce que les groupes eux- mêmes viennent te proposer leurs services ?

Je reçois des dizaines de mails, tous les jours. Ce qui est plutôt cool mais qui peut quand même devenir vite chiant, dépendant les propositions. Sans compter le fait que j’écoute absolument tout ce que je reçois et que je m’impose de répondre à toutes les sollicitations (même si des fois ça me prend des semaines pour tout absorber). Je constate qu’au fil des années Drone to the Bone est devenu un incontournable pour des dates de “Hard” sur Genève et que du coup mon adresse e-mail se retrouve malgré moi sur pas mal de listes de plus ou moins grosses agences de booking. C’est souvent bienvenu mais des fois je reçois vraiment des propositions qui ont rien à voir avec le schmilblick ; je me suis pas encore décidé malgré les sollicitations à me lancer dans le Ska, la chanson française ou bien la Techno indus russe, par exemple, tout comme je me tamponne le cul de faire un énième band Pagan death mélodique à tendance viking-queer symphonique antifasciste. D’un autre côté, je reçois également pas mal de mails en provenance de groupes directement, de plus en plus. Ceci dit, je démarche malgré tout aussi pas mal par moi-même ; dès que je découvre un band qui m’intéresse, je prends contact et je présente Drone to the Bone. Après, à priori, les choses suivent leur cours et, tôt ou tard, on finit par bosser ensemble. Idem pour ce qui est des dates de dernière minute, quand il s’agit de remplir un day-off sur une tournée, par exemple. Dès que je vois une possibilité, aussi folle et improbable soit-elle, je balance un mail ; c’est d’ailleurs comme ça que des monstres comme Church of Misery, Portal ou Acid King se sont retrouvés ici en plein été, alors que tout était officiellement fermé, devant un parterre d’une centaine de personnes, en conditions DIY totales, et qu’ils sont repartis avec passé 1000 balles chacun sur un plan aux entrées… il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour qu’on chope Neurosis et Eyehategod dans des conditions similaires l’été dernier! Pour ce qui est de mes sources, enfin, elles sont tout ce qu’il y a de plus banal. L’inspiration peut venir d’écoutes compulsives au hasard de la toile, de découvertes au gré d’un concert ou bien via des zines spécialisés ou en papotant avec les copains tout simplement. Comme n’importe qui, je présume ; mais comme je suis un type plutôt ouvert d’esprit, cela permet sans doute d’avoir des horizons plus vastes que le “métalleux” ou le “coreux” lambda.

Y a-t-il des styles, des groupes que tu refuses de programmer ? Ou comment choisis-tu les groupes ? Y a-t- il une sorte de « ligne éditoriale » ?

Il n’y a pas de “ligne éditoriale” à proprement parler. Même si mes préférences me poussent à programmer majoritairement des trucs qui “chient à mort”, comme on dit dans le jargon. Je surkiffe le gros gros Doom, le Funeral doom en particulier, le Sludge bien épais, et certaines formes de Black metal. J’aime bien aussi le Hardcore quand c’est bien sur la brèche, les trucs qui partent dans tous les sens et tout ce qui a un petit côté Noise. Mais j’écoute aussi beaucoup de Hip-Hop, de Drone, j’aime bien la Folk quand elle est bien dark. Le Rock psyché quand ça me fait triper. Le Grind bien extrême quand chuis de mauvaise et que j’ai envie de casser des trucs. La Harsh noise quand c’est bien viscéral. Le Post rock quand je sens que ça m’emporte. Des tas de choses, vraiment, selon l’humeur générale. Je me suis même surpris cet été à programmer un récital de piano en mode sauvage au bord du Rhône pour The Eye of Time (un des tout grands moments de cette prog 2018, d’ailleurs). Grosso-modo, je programme ce que je sens, quand je le sens, sans aucune retenue et sans aucun autre but que celui de me faire plaisir. Après si les gens suivent, tant mieux, ça me rend d’autant plus heureux, pour les groupes que j’accueille, surtout. Mais le principal pour moi c’est de ramener des artistes que j’ai envie de voir. Point final.

Quels sont tes liens avec les scènes locales ? Est-ce que tu essaies d’encourager les groupes de la région avec DTB ?

Encourager les groupes de la région n’est pas un but en soi, à proprement parler, il y a des tas d’autres acteurs dans la scène qui se sont fixés cet objectif, et qui font largement le job. Mais vu la quantité d’artistes absolument incroyables qui nous entourent, il n’y a vraiment aucune raison valable pour quiconque de ne pas soutenir le merdier ! J’en fais par conséquent un “poing” d’honneur à apporter moi aussi ma modeste pierre à l’édifice. J’aimerais bien dans la mesure du possible proposer un groupe suisse sur chacune de mes dates, systématiquement, ça c’est vraiment quelque chose que j’aimerais pouvoir faire. Je sais par expérience à quel point c’est chaud de trouver des dates tant que t’as pas atteint un certain “level” de réputation ou que t’es trop “hors-cadre”, alors si je peux aider, quand c’est possible, je le fais. Mais ça reste toujours sur le même principe, j’invite personne juste pour rendre service, parce que c’est des copains ou je ne sais quoi ; il faut que la musique me parle un minimum. Comment je pourrais « vendre » mes concerts si j’y crois pas à 10’000 ? Dans la réalité, après, c’est malheureusement un principe souvent compromis (celui d’avoir des groupes locaux à tous les coups). Le fait est que la plupart des artistes que j’accueille sont des groupes internationaux et qu’ils tournent rarement seuls ; si on ajoute en plus le fait que mes dates se déroulent majoritairement en semaine (du dimanche au jeudi), c’est pas toujours possible ou bien souhaitable pour les salles d’accueillir un band supplémentaire. Sans parler évidemment de l’aspect financier qui reste parfois un frein non négligeable car, même si beaucoup de groupes (notamment à Genève) sont ok de venir pour une tape dans le dos, une bonne bouffe et des bières fraîches, c’est toujours délicat de ne pas pouvoir, au mieux, leur filer plus qu’un “vulgaire” défraiement pour l’essence (et ça c’est quand il reste un peu de sous dans le budget).

On s’est amusé à regarder l’évolution du nombre de concerts depuis la création de DTB. On passe de 1 en 2010 à plus de 25 en 2018… Comment est-ce que tu arrives à maintenir ce rythme ?

Chaque année, je me fais avoir, à vrai dire. Je me dis toujours à chaque début de saison que je devrais fairemoins de dates (genre, une par mois, pour me préserver un minimum) mais au fur et à mesure que les semaines passent, des opportunités se présentent et de fil en aiguille je me retrouve avec des mois (voire des semaines !) où je me tape en fin de compte trois / quatre orgas d’affilée ! Ce qui, en raison de ma vie privée et professionnelle n’est pas toujours simple ; il faut dire que Drone to the Bone n’est évidemment pas mon job (d’ailleurs je serais bien dans la merde si ça l’était, y a pas de fric à se faire dans ce « bizness »!). J’ai deux enfants, un « vrai » boulot, une famille et un emploi du temps largement bien rempli. La vie est cool, franchement, mais il faut des fois bien jongler ; entre les « obligations » du quotidien et mon incorrigible tendance à vouloir tout faire, ça tient parfois du miracle d’arriver à tout goupiller. En vrai, je me fatigue moi-même, comme un grand, à vouloir tout enchaîner comme si j’avais 20 ans alors que les lendemains de veilles sont de plus en plus rudes puisque, quoi qu’il advienne, il faut se lever à 6h du mat’ 5 jours sur 7 pour s’occuper des kids et aller bosser. Après, ma foi, je dormirai quand je serai mort, comme on dit !

Il y a une deuxième chose qui nous impressionne avec DTB : les entrées de concerts toujours proposées à prix libre (en tout cas le plus souvent). Est-ce un principe qui te tient à cœur ?

Si ça ne tenait qu’à moi, tous les concerts Drone to the Bone seraient effectivement en prix libre. Mais ça, ça dépend essentiellement des lieux qui m’accueillent.

Ce n’est pas très élégant mais la question des sous se pose. Est-ce que le fait de proposer l’entrée à prix libre te permet d’avoir des fonds suffisants pour continuer tes activités ? On se dit que ton point de vue sur cette question encouragerait peut-être plus de personnes à le faire et donc à dédiaboliser ainsi le concept bienveillant de la confiance et du partage !

Le prix libre a pour avantage que chacun, peu importe ses moyens, peut se permettre d’aller aux concerts, ce qui, à mon avis, est plus que cool. Les gens ont pas nécessairement besoin de scruter leur budget au centime près en se disant qu’ils ne peuvent se permettre que telle ou telle sortie et ça, à mon sens, vu la surabondance de l’offre culturelle de la région, est un sacré plus pour maintenir la scène active ou en tout cas encourager les gens à sortir de leur cave. Après, prix libre ou non (et ça c’est encore un autre débat), beaucoup de gens, fondamentalement, en ont rien à foutre et préfèrent rester chez eux ou faire autre chose (chacun son truc après tout). Des lieux comme La Makhno, à L’Usine, fonctionnent sur le principe du prix libre pour toutes leurs soirées. L’expérience montre que ça fonctionne plus ou moins, les gens au final dépensent peut-être un peu moins à l’entrée et un peu plus au bar (ceux qui ont les moyens en tout cas). Les choses s’équilibrent, dans un sens, mais c’est totalement tributaire de la “morale” et des possibilités de chacun. Ceci dit, j’ai beau être un idéaliste de premier ordre, je ne suis pas certain que le principe puisse s’appliquer partout et pour tout type d’événements non plus. Pour parler finances, enfin, Drone to the Bone n’est pas coté en bourse. Je ne possède pas d’actions non plus que je pourrais faire fructifier pour les réinjecter dans le “Hard”. Drone to the Bone ne bénéficie pas de subventions non plus. Pas non plus de généreux mécènes pour alimenter financièrement toutes ces folies. J’ai surtout la chance, pour être honnête, de bosser avec des lieux qui, comme La Makhno, Kalvingrad, L’Undertown et L’Ecurie, me font confiance et peuvent se permettre de « prendre des risques » à ma place, dans une certaine mesure. En gros, je négocie cachets et conditions avec les groupes ou les agences de booking, à la suite de quoi je fais des propositions aux salles, voir qui potentiellement veut / peut m’aider à faire en sorte que les choses se passent sans que j’aie à casser ma tirelire. Il ne me reste ensuite “plus qu’à” faire de mon mieux pour que ça marche, que le public suive et que tout le merdier mis en place pour y arriver ne soit pas “vain”, si je puis dire (dans le sens économique du terme, on s’entend). Parce que le fait est que Drone to the Bone n’a pour ainsi dire plus de fonds propres à disposition depuis des lustres. Le fric que je mets dedans quand il le faut vient de ma poche. Le seul moment où j’ai réussi à mettre des sous de côté pour Drone to the Bone, à vrai dire, c’est en 2014 quand j’ai organisé une série de concerts de soutien au H elvete Underground (un festival sur trois jours intégralement consacrés à la scène black metal helvétique) ; j’avais réussi à l’époque à rassembler un petit pactole que j’avais réinjecté illico en promo, affiches, caterings d’accueil et un ou deux cachets…

Tout ça c’est de la cuisine interne, au final, mais il s’agit de faire des “projections” et des suppositions et des calculs d’épicier en essayant d’être le plus réaliste possible et de trouver le moyen de faire en sorte que les choses se passent sans ruiner ma fortune personnelle et la fortune des lieux et assos qui accueillent mes événements. Le tout en veillant à ce que les artistes s’y retrouvent eux aussi, évidemment. Ça a peut-être pas l’air bien compliqué expliqué comme ça mais ça l’est bien plus qu’il n’y paraît en réalité. Il ne s’agit pas de présenter aux salles qui m’accueillent un show comme un “sold-out” potentiel alors qu’on navigue la plupart du temps à vue et que le public potentiellement intéressé par les concerts qu’on fait est en baisse constante depuis des années ; il n’y a qu’à penser à la misérable dizaine de personnes qui sont venues voir Mantar, Bell Witch ou Årabrot il y a quelques années et voir les foules que ces mêmes groupes déplacent maintenant… il n’y a pas de règles sur lesquelles s’appuyer. C’est d’ailleurs une réalité assez merdique qui fait qu’on ne peut plus vraiment se permettre de prétendre sortir des “gros” cachets, même pour les plus « grands » noms de l’Underground qu’on reçoit parce qu’on ne sait jamais comment les choses vont finir par tourner ; c’est un truc à devenir fou, des fois !

Mon but n’est pas de devenir le roi de l’entourloupe et de faire croire aux gens avec qui je bosse que tout ce que je leur propose est formidable et que ça va remplir leur salle, au contraire. J’essaie de vendre le bordel tout en étant le plus transparent possible, aussi bien avec les groupes, les agences de booking et les salles avec qui je collabore. La réalité de la scène est assez inquiétante et la santé des clubs à l’heure actuelle est bien fragile, si on y pense au final ; c’est à se demander sincèrement si, tôt ou tard, certaines agences de booking – et par conséquent les groupes qui vont avec – ne vont pas simplement finir par faire l’impasse sur des dates en Suisse parce que le public ne suit plus ou en tout cas pas suffisamment. Sans parler des clubs qui eux aussi évidemment paient lourdement le tribut de ces baisses de fréquentation. Ce n’est pas un hasard, c’est certain, si la plupart des orgas et assos actives dans la place finissent par poser les plaques au bout d’un moment…

Après, heureusement, les moments de kiff en ce qui me concerne sont d’une puissance telle que je finis rapidement par dédramatiser et passer outre les moments de doute, les galères et les déceptions. Sinon je crois bien que j’aurais déjà posé les plaques à mon tour depuis un sacré bout de temps.

Tu sembles être actif uniquement à Genève. Est-ce un choix ? Est-ce que le fait d’être à Genève pose moins d’obstacle par rapport à d’autres villes ? Et quels sont les acteurs avec qui tu travailles ?

Je suis actif à Genève uniquement, oui. J’y suis arrivé quand j’avais 8 ans, j’y vis depuis pas mal d’années, du coup. J’y ai grandi, je devais avoir 15 ou 16 ans quand j’ai été voir mon premier concert à L’Usine, je contribue à la “scène” depuis bientôt 20 ans, déjà ; ça fait un sacré bout de temps, maintenant que je regarde un peu dans le rétro ! Genève est un peu devenu ma “Ville natale”, en quelque sorte, et je m’y plais vraiment pas mal. Je connais à peu près tout le monde, si on peut dire, ce qui pour le coup facilite franchement grandement les choses quand on fait ce que je fais. Si je devais tout redémarrer à zéro ailleurs ce serait clairement une autre paire de manches ! Je bosse avec pas mal de monde, de L’Usine à L’Ecurie, l’Undertown, La Reliure… sans parler des connexions avec divers autres lieux et assos de la place comme Urgence Disk, l’Axe du Mal, Kalvingrad, Peg!, Bad Mood, LiveGeneva TV, le Collectif nocturne, le mouvement Prenons la Ville et des tas d’autres gens super. Genève est un foutu carrefour depuis des décennies pour les scènes punk / rock / hardcore etal et affiliés et c’est une tradition que j’essaie de contribuer à faire perdurer même si, en règle générale, hélas, comme partout en Suisse apparemment, je me répète, le public peine à se renouveler.

Est-ce qu’il y a d’autres acteurs avec qui tu collabores hors frontières genevoises ou même suisses qu’on n’aurait pas vu ? Aimerais-tu étendre tes activités à d’autres villes ?

Au fil des années, j’ai construit un assez gros réseau, c’est sûr ; réseau qui dépasse largement les frontières helvétiques, d’ailleurs (à force de bourlinguer avec Rorcal, notamment). Après c’est pas dans mes plans de monter des satellites Drone to the Bone dans d’autres villes ou de me lancer dans une agence de booking, par exemple. Je continue d’exploiter et d’entretenir ce réseau, c’est sûr, en mettant en place de temps en temps des séries de dates pour des groupes que je reçois à Genève comme je l’ai fait pour Suma en 2014 avec une date supplémentaire à Bâle ou bien pour Leng Tch’e cette année avec une date à Winterthur et une autre à Strasbourg, mais ça s’arrête là. Drone to the Bone ça se passe à Genève pour le moment et c’est déjà bien assez de boulot comme ça.

Pour parler connexions, ceci dit, elles sont multiples et beaucoup trop nombreuses pour être énumérées. J’ai une profonde admiration pour tout ce que fait Damien à Urgence Disk, le shop de disques de L’Usine, à Genève. Idem pour les copains d’Hummus Records à La Chaux-de-Fonds, l’équipe de Deep Drone à Bâle… Ceci dit, je tiens à jour une liste assez conséquente sur mon site alors il n’y a qu’à suivre les liens pour connaître l’étendue de cette joyeuse constellation qui ne cesse de s’étendre.

Y a-t-il des obstacles auxquels tu es confronté parfois ? Par exemple, est-ce que des défenseurs des bonnes valeurs de la croix à l’endroit t’envoient des courriers menaçants pour te faire savoir que tes concerts sont un peu trop sombres et t’accusent de faire la promotion du Satan ?

J’ai jamais eu de soucis ce type, et je le regrette parce que ça m’aurait beaucoup amusé. Mais certains groupes que j’ai programmés ont été taxés de “nazis” (à tort selon moi, sinon il est évident que je ne les aurais pas accueillis), ce qui à mon sens est bien plus sérieux et problématique et qui m’a d’ailleurs valu quelques problèmes à un moment donné avec certaines salles. Après, l’affaire est close alors je ne m’attarderai pas davantage sur le sujet et je ne donnerai pas de noms non plus.

Le seul véritable obstacle, et pas des moindres, est une grande constante pour toutes celles et ceux qui se démènent pour organiser des trucs : la galère du manque de lieux…

Les questions un peu feelgood maintenant : quel(s) est/sont le(s) concert(s) dont tu es le plus fier/content/qui t’ont le plus fait kiffer ?

S’il fallait n’en choisir qu’un, je dirais Sourvein en 2011 ; mo-nu-mental. Il y a d’ailleurs encore une ou deux vidéos qui traînent sur le Tube et qui font du bien quand je me dis que les gens suivent pas comme j’aimerais et que ça me fait chier. Mais il y a bien trop de kiffs chaque année ! Eagle Twin en 2010, Saviours en 2011, Hexis et This Gift is a Curse en 2012, Meth Drinker et Graves at Sea en 2013 (dire qu’on était genre 12 à cette soirée !) … SubRosa et Darkspace en 2014, Portal et Impetuous Ritual en 2015… Oddateee, Sole et Årabrot en 2016… Oranssi Pazuzu, Impure Wilhelmina, Jozef van Wissem, Coilguns… des très grands moments à chaque fois ! Jucifer et Walk Through Fire en 2017, Eyes, Svartvit et Dark Buddha Rising en 2018… Pfff. Beaucoup trop de gens cool et de concerts mémorables ! Et la liste ne cesse de s’allonger, année après année, c’est d’la folie !

Et la deuxième question un peu bitchy mais en quelque sorte feelgood aussi, quel est/sont le(s) concerts qui t’ont posé le plus de problème/que tu as détesté organisé/qui te font dire « oh merde, j’espère qu’ils ne sont pas comme ceux-là » à chaque nouveau concert ?

Je ne regrette absolument rien de ce que j’ai fait. Mais il y a bien eu deux ou trois accrochages notamment sur des dates pour des groupes de black metal dont je me serais bien passé. Des groupes que je ne referai pas, à priori (quoique je ne suis pas un type très rancunier), mais par respect pour les protagonistes je tairai leur nom. Et puis de toute manière c’est passé et on ne peut plus rien y faire, ça sert à rien de remuer la merde.

Depuis ces “incidents”, ceci dit, à chaque fois que je reçois des groupes de black metal (même si c’est somme toute assez rare), je crains de me retrouver avec le même genre d’abrutis. Après si vous voulez absolument des noms on peut en causer autour d’une mousse, hein, c’est pas un secret d’Etat non plus mais il n’y a aucun intérêt, ni pour moi ni pour les personnes concernées, à chier dans la soupe publiquement. Au fond, même si parfois je peine à avaler la pilule, je pense qu’on est tous humains et que des fois on peut faire ou dire d’la merde ; j’aime à croire que les gens peuvent changer, c’est pas parce qu’une fois tu t’es comporté comme un connard que tu seras un connard toute ta vie.

As-tu une anecdote ou aventure que tu aimerais partager ?

Il y en a un paquet mais il y en a une qui m’amuse beaucoup. C’était plutôt angoissant sur le moment mais une fois que c’était passé on a bien ri. Une date de 2015, quand Jozef van Wissem s’est rendu compte que son luth s’était cassé durant le voyage, un dimanche, et que tous les luthiers de la ville étaient soit fermés soit absents. Sans compter que le luth s’était brisé pile entre le haut du manche et le chevillier (la tête) ! Des dizaines de coups de fil pour essayer de trouver un luth de rechange, en vain. On a fini par fixer tout ça à la super-glue, trois heures avant le concert… A chaque pause entre les morceaux, Wissem accordait son luth et à chaque tour de cheville on serrait les dents de peur que ça pète à nouveau !

Il y a aussi eu la fois où Supayniyux ont repeint les murs et le sol de La Gravière avec quelques litres de sang de cochon… la fois où Impetuous Ritual ont bouché la douche avec de la boue et des feuilles mortes…

Est-ce que tu aurais envie d’étendre les activités de DTB ? Par exemple, lancer un label, organiser un festival ou avoir ta propre salle de concert ? En gros, quels sont les projets qu’il t’intéresserait de réaliser ?

Des festivals, j’en fais de temps à autres ; il y a eu le Helvete Underground en 2014, un festival intégralement consacré à la scène black metal helvétique, il y a aussi eu deux éditions des Geneva Doom Days, l’une en 2013, l’autre en 2017, un festival plutôt orienté doom et black metal avec quelques incursions hip- hop lors de la seconde édition. Après ce n’est pas un but en soi, j’ai pas l’intention chaque année ou tous les 3, 4, 5, 6 ans de réitérer la même formule. Un label, je ne crois pas que ça me tente plus que ça mais je n’y ai jamais vraiment pensé. Peut-être un délire du genre « print on demand » comme ça se fait actuellement pour les livres aurait un intérêt à être développé ? Je pense à voix haute, j’en sais rien.

En revanche, à terme, avoir une salle sous la main ne serait pas de refus. Pas que j’estime le mériter plus que d’autres, au contraire, mais une salle supplémentaire, avec une petite jauge, qu’on partagerait entre divers acteurs de la scène, rendrait bien service à toute la communauté c’est certain. Pour le moment, dans tous les cas, j’organise des dates à gauche à droite sans me poser trop de questions et ça va bien comme ça. Affaire à suivre.

Tu es libre d’ajouter ce dont tu as envie à cette interview ! Fanzine libre, on fait et on dit ce qu’on veut !

Merci pour cet espace de liberté. Vous êtes supers ! Continuez ! Le bon sens voudrait que je m’étale ici sur la nécessité de soutenir les scènes locales et tout le blabla. Mais je pense que vous êtes bien assez grands pour en tirer vos propres conclusions. Gloire à Satan et tous les activistes. Drone to the Bone est Amour.

 

>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE

« Amphetamine reptile dans ton salon » (Bug – Usine, 1er nov.)

Bar In Grad, c’est la version light de Kalvingrad. Concerts un peu plus tôt que d’habitude, prix libre. On commencera directement avec BUG, vu qu’une arrivée tardive ne permet pas d’apprécier le set de Bar, ni celui de Lunch à Urgence disk un peu plus tôt – qui, paraît-il, étaient tous deux très bons dans leur style. L’Usine, on pourrait y passer sa vie.

Bug, drôle de bestiole. Une vingtaine d’années d’existence, environ huit disques à leur actif, une notoriété plutôt relative. C’était la première fois que les Autrichiens passaient à l’Usine. Musicalement, c’est aussi déviant et rétif à la classification. Touche-à-tout. Blues titubant implosant en noise-rock chauffé à blanc. Disco vrillant à la crise de nerf. L’expression de Bruno Drone to the bone – « blackened noise-rock » – résume assez bien la chose.

Sur scène, c’est d’abord la présence du chanteur qui marque. Pas trop d’inhibition, ni au niveau vestimentaire ni au niveau de la danse. John Travolta d’Allemagne de l’est qui aurait fait un tour par la case prison. Ultra-expressif, théâtral, il incarne et orchestre la folie du groupe. Des flashs du concert de The Conformists – autre band conduite par un crooner excentrique – reviennent à l’esprit.

Moins démonstratifs, le reste du groupe ne fournit pas moins une performance irréprochable. Honnêtes artisans d’un noise-rock obscur, frelaté. On pressent parfois un air de famille avec les groupes géniaux d’Europe du nord comme Arabrot ou Raketkonen. Eux aussi conviés par Drone to the bone dans ces murs par le passé. Tiens, tiens.

L’originalité, la sincérité et l’engagement du groupe font de ce concert un moment mémorable. Groupe génial devant une poignée de personnes.

On est habitués.

>>>>>>>>>> BUG

>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE

« ChAOS = OK » (Varukers, The Turin horse – 10 oct.)

Affiche plutôt européenne ce soir-là à l’Usine – comme l’a fait remarqué quelqu’un. Les lillois de Psychophore (avec un(e) membre de 20 minutes de chaos) jouaient d’abord, suivis de Coupe-gorge, un groupe punk-oï genevois très actif en ce moment. J’étais pas là pour ces deux groupes mais quiconque veut savoir ce qu’il en était peut regarder ici ou .

Arrivée tardive donc, au milieu du set des punks anglais The Varukers. Groupe historique assez proche,  idéologiquement et musicalement, de Discharge, dont il compte – ou comptait, suis pas allé vérifié – des membres. Le chanteur annonce que le groupe célèbre ses 40 ans d’activités l’an prochain. Ce qui d’ailleurs ne fait pas réagir grand monde. Est-ce que c’est du au degré d’ébriété dans le public ou au niveau moyen du punk genevois en anglais, ça j’en sais rien.

N’empêche que leur set reste bien agressif. Toutes crêtes dehors, avec paroles haineuses contre les gouvernements, le capitalisme et la guerre et accent anglais à couper au couteau, comme il se doit. Enrico, le guitariste de Turin horse qui joueront juste après, racontera que, lorsqu’il est monté sur scène à la fin du set pour féliciter le guitariste, celui-ci lui a répondu « C’est sympa, mec, mais j’en ai rien à foutre. » Ha ha.

Initialement prévus à la Makhno, à l’étage au-dessus, The Turin Horse avaient été rajoutés sur l’affiche. L’occasion de mélanger les publics, aussi bien. Le 1er EP de ce duo turinois avait fait carrément forte impression et on peut d’ailleurs lire son interview par ici.

Enrico – T-shirt de Père Ubu, petit, trapu et jovial – et Alain –  longiligne, tatoué, plus réservé – sont deux gars à priori assez différents. Mais sur scène c’est une seule et même créature enragée, écumante et tentaculaire. On reconnait The regret song et The light that failed, les deux morceaux du EP – pas de reprise d’Unsane ce soir-là . Et on découvre tout un tas de brulôts tirés des mêmes charbons ardents, qui devraient fournir la matière de l’album à venir. L’ambiance est à peine tempérée par un morceau plus calme, atmosphérique et menaçant, au mileu du set. Comme du Pink floyd acide.

C’est quand même autre chose de les voir sur scène. On se rend compte de la précision et de la force de frappe du duo. Emotionnel, chaotique et évocateur, leur noise-rock furieux transcende les genres et pourrait certainement parler à des gens de tous horizons. En tous cas, il a fait le bonheur des 15 personnes présentes, qui hurlent leur enthousiasme à chaque morceau et empêchent le groupe de quitter la scène à la fin du concert.

Ben ouais, il y a encore des gens prêts à rester éveillés jusqu’à deux heures du mat en semaine pour être témoins de ça.

>>>>>>>>>>>> THE TURIN HORSE

>>>>>>>>>>>> THE VARUKERS

>>>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE

« En lambeaux dans le chaos » (Tuscoma, Coilguns – L’Ecurie, 22 sept.)

La petite cour devant l’Ecurie est presque noire de monde lorsqu’on arrive. Drone to the bone fête ses 9 ans et, malgré quelques concerts moins suivis, sa programmation radicale et avant-gardiste est incontournable pour les amateurs de bruit et de fureur. Puis faut dire que Coilguns est précédé d’une sacré réputation sur scène, hé hé. A peine le temps de passer au bar, que Bruno annonce le début des hostilités avec Tuscoma. C’est parti !

Loins d’être des inconnus, ce duo néo-zélandais officiait auparavant sous le nom de Hollywoodfun downstairs – passés à Genève il n’y a pas si longtemps d’ailleurs (déjà en formule à deux). Le groupe a opéré une mue progressive : originellement trio, ils pratiquaient un punk noise qui se prenait parfois des coup de speed ultra-rapides et hurlés qui faisaient leur particularité. Des surfeurs de satan en quelque sorte, mais qui ne crachaient pas sur les mélodies. Sous le nom Tuscoma, le speed prend le devant de la scène et le surf reste au placard.

Mur du son quasi ininterrompu. Blast-beats impitoyables et voix hurlée en arrière-plan comme sous le choc d’une électrocution continue, dont l’effet est encore accentué par l’éclairage aux néons blancs éblouissants. Je sais pas si le public attentif et statique est comme moi, légèrement surpris et dubitatif devant la décharge sonore des néo-zélandais fortement déconseillée aux épileptiques. Pas inintéressant, loin de là, mais on respire un peu quand le groupe retrouve du groove avec le dernier morceau et sa rythmique presque garage.

Les quatre lascars de Coilguns font une entrée bien classe en trinquant sur scène (whisky ?), instruments déjà en place. Ca sent le savoir-vivre et la camaraderie. Et l’envie d’en découdre aussi. Dés les premiers accords, Louis Jucker, le chanteur, se jette sur les premiers rangs, dans un espèce de saut de l’ange mi-ruée de mélée, mi-pulsion suicidaire. Le groupe place son concert sous le signe de la tension maximum, de la folie, de la confrontation avec le public et de l’envie de vivre un moment taré avec lui.

Et c’est exactement ce qu’ils firent. Coilguns soumet le public à un feu nourri et interrompu de leurs brulôts hardcore-noise-metal qui ne se soucie pas trop des genres et de la bienséance, tant que ça défouraille. Et parfois avec tout à coup un groove électrocuté génial à tomber. Coilguns sait même faire le rock.

L’intensité émotionnelle et l’engagement physique ont quelque chose qui rappelle certains groupes hardcore des années 90. Born against ou Heroin, au hasard. Même si c’est pas exactement la même chose évidemment. De même les danses folles et le discours personnel et inconventionnel du chanteur entre les morceaux, très loin des poses habituelles dans ce genre de musique. En sortant de ce concert éreintant, tu ne sais plus grand chose mais tu sais au moins que tu as vu de la musique vivante.

>>>>>>>>>> TUSCOMA

>>>>>>>>>> COILGUNS

>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE

« Bande de fanatiques » (Dustriders, Hollywoodfun downstairs, Vorvan – Makhno, 22 nov.)

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Rien de plus ennuyeux que ces concerts estampillés tel ou tel genre, où les groupes ressassent les mêmes codes et où la surprise et la prise de risque sont minimes. Heureusement ce concert à la Makhno, organisée par l’asso essentielle Drone to the bone, n’avait rien de tel, même si une arrivée tardive n’aura pas permis d’apprécier les locaux de Dustrider.

HFD 1Hollywoodfun downstairs, c’est un duo néo-zélandais et si il y a des fanatiques, c’est bien eux. Des tournées comme des forcenés – c’est quand même leur deuxième passage à Genève dans l’année et ils ont d’ailleurs perdu un bassiste dans le bataille -, une musique sans répit et un dernier album sorti chez les polonais d’Antena krzyku (super label). Preuve s’il en fallait que le réseau DIY 2.0 fonctionne.

hfd 6.JPGFaut au moins venir de l’autre côté de la terre pour jouer la musique qu’ils font. Effectivement il y a un côté garage dans la réverb et cette voix nasillarde mais passé à la moulinette de rythmiques effrénées qui lui donne parfois des airs de hardcore hurlé – screamo pour les intimes.

hfd 5Une sorte d’accouplement contre-nature entre les Buzzcocks et Lightning bolt (ouille !), ou quelque chose comme ça. Une musique qui peut être fun mais aussi assez malsaine et stressante. Entre névrose et psychose, mon coeur balance.

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C’est peut-être bête mais la première chose qui m’a frappée chez les Russes de Vorvan, c’est les tee-shirts qu’ils portaient sur scène ou sur les photos que j’avais pu voir : Doom, Extreme noise terror, Misery, Disfear… Clairement des gens de bon goût.

vrvn 1Leur hardcore « moderne » convoque tout ce qui butte, qui latte et qui tabasse. La voix gueulée est au final assez linéaire mais, bon dieu, c’est en-dessous que ça se passe. Une basse de plomb en fusion – jouée au doigts -, des riffs de tueurs à la guitare mais parsemés de déconstructions noise aux petits oignons et surtout, surtout, une batterie démentielle qui sonnait comme c’est pas possible. Un régal pour les yeux et les oreilles.

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Les compos ultra incisives maintiennent une pression constante. Chaque morceau pilonne et capte l’attention, sans jamais lasser. Ce groupe a clairement la science de la composition et – chose rare – donne envie d’aller écouter leur musique sur disque pour comprendre exactement c’était quoi, ce truc qu’on s’est pris dans les oreilles.

>>>>>>>>>> HOLLYWOODFUN DOWNSTAIRS

>>>>>>>>>> VORVAN

>>>>>>>>>> ANTENA KRZYKU RECORDS

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Et c’est quoi, cette société où il faut clamer les évidences ?

« Racaille du bruit » (Kunz, Pigs pigs pigs pigs pigs pigs pigs, Raketkanon – Usine, 6 fév.)

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Waouh, premier concert de l’année 2017 pour l’asso Drone to the bone et une affiche explosive avec trois groupes à forte personnalité.

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L’occasion d’abord de voir Kunz. Ce duo basse/batterie originaire de La Chaux-de-fond prévu l’an dernier en première partie de Arabröt et qui avait été remplacé un peu en dernière minute.

Kunz, c’est une affaire à la fois simple et compliquée. Compliquée parce que pour décrire leur musique on pourrait parler de punk-hardcore pour certains tempos, d’un côté bluesy et swinguant qu’ont souvent leurs morceaux et sans compter qu’ils savent aussi appuyer sur la pédale noise destructuré et répétitif. Mais simple, aussi, parce que ça reste un groupe de rock qui fait des morceaux qui rock et sur lesquels tu ne peux t’empêcher de trépigner.

Le groupe joue à même la salle, dans le public, de la même manière que Pneu et leur prestation convulsive les rapproche du duo tourangeau. Mise-en-bouche de grande classe.

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Changement de tempo avec les anglais de Pigs (x7) et leur stoner psychédélique massif crashé dans une lenteur hallucinée.

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Les longs hurlements du chanteur charismatique font beaucoup aussi dans ce groupe et accentue le côté vision cauchemardesque de leur musique…

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Puis vint Raketkanon, précédés de leur réputation démentielle sur scène – et d’un album enregistré chez Steve Albini, évidemment*. Les belges balancent eux-aussi une musique mutante quasi-impossible à décrire. Empruntant à toutes les formes de rock et de métal, malaxées, digérées et régurgitées en une nouvelle forme de noise-rock, ultra-percutant, à la fois violent et sardonique, prêts pour le troisième millénaire.

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Mais cette musique est aussi un support d’expression pour le crooner de la mort Pieter-Paul Devos. Un peu remonté comme une pile contre l’abus de smartphones devant la scène (il a d’abord foutu un coup dans une caméra qui passait puis s’est carrément rué sur un cameraman un peu entreprenant pour le bourrer de coups – il s’est excusé par la suite, c’était pas très clair)… mais bon dieu, les passages les plus rock’n roll où il est en mode punk braillard sont tout simplement génialissimes !

Beau, dérangeant, violent. La force de frappe du groupe est massive. Avec un logo en néon sur scène et un livre de photos bien classe sur leur table de merchandising, ils cultivent même pas mal leur image et ont un peu des petites gueules à être un prochain sujet de Tracks, l’émission chic et choc d’Arte. Faut en profiter tant qu’ils sont encore à nous, ha ha.

Bref, bref, bref, c’était super.

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Après nous, la ruine

*Comme Cocaine piss, le dernier groupe proposé par DTTB en 2016, hé hé – et d’ailleurs, en passant, Shellac sera en concert le 5 juin à la Belle Electrique à Grenoble.