Printemps noise ! part 1 (The dawn, Deveikuth, It it anita, Frustration, Catalgine, Nevraska)

C’est le printemps noise ! En Haute-Savoie, il n’y a pas que des pentes enneigées et des gilets jaunes en Audi, il y a aussi des concerts qui défouraillent. Retour en images sur quelques moments forts de la saison. Non… j’ai dit ça ?

On commence par un show à Genève, toute proche : The Dawn et Deveikuth à la Makhno. Deux groupes bien obscurs que Drone to the bone est allé cherché dans les tréfonds de l’underground marseillais.

T-Shirts rigolos  – dont celui du chanteur à l’effigie de Rorcal, clin d’oeil au patron ? – mais power-violence chaotique joué avec fougue pour The Dawn qui fait pas rigoler du tout. C’est lourd ? Rapide ? C’est le troisième morceau ou le dix-septième?

Avec un morceau intitulé « I bet you like Botch, bitch », on pouvait s’attendre à ce genre de correction. Le groupe existe depuis 10 ans, a sorti plusieurs albums et faisait ici son dernier concert avec son chanteur/hurleur. Sortie avec les honneurs.

On retrouve le bassiste de The Dawn dans Deveikuth, mais derrière les fûts. Plus question de blasts et de morceaux pieds au plancher ici car il s’agit de Funeral doom. Eh oui, c’était mon premier concert de Funeral doom ! Peut-être bien que vous vous demandez ce que c’est. Eh bien, une sorte de doom minimaliste bloqué sur des tempos ultra lents.

Invocations caverneuses déchirantes, effet de trance hallucinée. Bon enfin, on sent le temps passer quand même au bout d’un moment. Ah le concert est fini ? OK, c’était le moment.

Passons sans transition aux Belges de It it anita, qui jouaient  au Club du Brise-Glace mercredi 13 mars – c’est-à-dire le même soir que Zu à genève, y’a des jours comme ça… –  dans le cadre du festival Hors-Pistes. Même qu’il y avait du monde. Et un premier groupe aussi, que je n’ai pas vraiment vu.

Par contre, It it anita pas question d’en perdre une miette. Ouverture du concert tout en larsens et déjà c’est beau. Disposition atypique du groupe sur scène – les deux guitaristes et la paire basse-batterie se faisant face, de profil par rapport au public. Un concert tonitruant où tu avais parfois vraiment l’impression de te retrouver à la grande époque de la  Jeunesse sonique – période Goo ou quelque chose comme ça – tant le groupe maîtrise ses envolées noise. Ce en quoi ils sont un peu les cousins de A Shape, autres héritiers Sonic youthiens, mais parisiens.

Les deux chants très travaillés savent aussi ciseler de chouettes mélodies et d’ailleurs ce serait idiot de réduire ce groupe à cette influence tant ils sautent d’un registre à l’autre avec naturel.

Le final sauvage dans la fosse a mis tout le monde d’accord : ce groupe est géant. Et je crois bien qu’on devrait en entendre parler dans pas trop longtemps, du côté du Poulpe à l’automne prochain pour être plus précis. Hmm, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Le Poulpe justement, où jouait Frustration le 30 mars dernier.  Y’a des groupes, c’est comme si tu étais maudit et que chaque fois qu’ils jouent quelque part, il y a un empêchement. Ca a été le cas pendant un bout de temps avec Frustration donc ce concert était un peu comme une revanche.

Un DJ, deux ou trois gars qui dansent et font les cons devant – tiens c’est le groupe. Eh ben, ils ont l’air en forme. Les échos du concert de la veille à Cave 12 avec Usé sont pourtant moyens. Assez froid, fatigués peut-être. Mais ce ne sera absolument pas le cas ce soir : le groupe enfile ses tubes post-punk comme des perles. Après un début plutôt cool, le groupe enchaîne les morceaux plus lourds ou plus expérimentaux. Leur post-punk de connaisseur donne l’impression de voyager dans le temps, de revisiter des périodes, des styles, avec toujours ce côté à la fois martial, raide, mais aussi dansant qui caractérise ce style plus à la mode que jamais. Inusable.

C’est un Frustration joyeux, enjoué qu’on verra au Poulpe. Même le chanteur – qui n’a pas la réputation d’être toujours très communicatif – est hilare. Mais la palme revient au bassiste. Pour une raison que je n’ai pas très bien saisie, il avait fait le trajet depuis Genève à pied, avec une bouteille de pastis pour seul ravitaillement. Résultat, il est déchainé, casse ses cordes, prend la parole à tort et à travers. Le set prend des allures absolument hilarantes. Il  donne l’impression de vouloir se battre avec la totalité du public. C’est le bordel, tout le monde se marre, danse et ceux qui s’amusent le plus, ce sont certainement les Frustration. Superbe.

On finit avec Catalgine et Nevraska au café de Chateau-rouge le 27 avril (on est jamais mieux servi que par soi-même, hein). Concert dont la préparation fiévreuse aura d’ailleurs empêché d’aller voir Alabaster et Noiss au Brise-Glace. Dommage.

Un chouette concert en ce qui nous concerne, devant un public restreint mais chaleureux. Faut dire qu’il y avait de la concurrence ce soir-là et aussi que ces soirées, pourtant gratuites et tournées vers la scène locale, peinent un peu à faire recette. A tel point que Julien – pourtant un enjailleur de premier ordre tout dévoué à la cause – jetterait l’éponge. Faut faire quelque chose.

C’était  surtout le plaisir de revoir Nevraska après une assez longue période sans concert, durant laquelle Kick a pris la place de Cyril devenu parisien. Ils ouvrent avec Kollapse, morceau génial à écouter absolument, un de mes morceaux favoris du duo. Ca part donc bien. Alternent ensuite titres connus et cinq nouveaux morceaux. A part un passage à effet électro/boîte à rythmes assez frappant, difficile de se faire une idée sur un seul concert, même si on retrouve souvent ce noise-rock swinguant et survolté qui est la marque de fabrique du groupe. Blues-punk power !

Le nouveau batteur a un jeu plus ramassé que Cyril et ramènera peut-être le duo vers quelque chose de plus brut, qui sait ? A vérifier lors des prochains concerts, par exemple le 15 juin avec les excellents Tuco aux Tilleuls. En attendant un prochain enregistrement. Comme il se doit à Chateau-rouge, tout ça s’est terminé en karaoké post-hardcore entre gens gentils, copieusement arrosé de bières artisanales. Tu veux quoi d’autre ?

>>>>>>>>>> THE DAWN

>>>>>>>>>> DEVEIKUTH

>>>>>>>>>> IT IT ANITA

>>>>>>>>>> FRUSTRATION

>>>>>>>>>> CATALGINE

>>>>>>>>>> NEVRASKA

« Doing it together » : an interview with Videoiid

French and Swedish threesome Videoiid played Annecy’s Bistro des Tilleuls last December. Their set was a noisy, ear-splitting affair for sure and yet the memory of it is crystal clear, like one of those moments where everything falls naturally into place. After the gig, I met with Arvid (guitar), Sara (guitar) and Frank (drums) in the back room of the bar. Surrounded by whisky bottles, we had a little chat. Here it is.

So, what did you think of the gig tonight ?

Arvid : I think it was the best gig so far !

Frank : I think so too ! We have a new set and two of the new songs we played for the first time at the gig before this one, in Paris. We’re really happy with this new set !

Sara : We wrote the new songs in Brussels, three days ago…

On tour ?

F : Yeah, one morning we had a bit of time and wrote two new songs.

Pretty quick !

F : I think it took us two hours or so. They’re pretty easy but they work !

Talking about your music with a friend, we were saying that it sounds like it’s quite rythm-driven. Do the drums come first in your way of writing ?

F : No, only for one song. All the other songs start with guitar ideas. Also because they write songs when I’m on tour with another band.

Coming back to the history of the band, how did it start ? How did you meet ?

S : I posted a message on this Facebook group of musicians in Göteborg saying I was looking for people to start an experimental music project. I mentioned Suicide and Swans, I think. I got two separate answers, first Frank and then Arvid. We met and discussed. While Frank was on tour, we rehearsed and I got back in touch with Frank saying things worked pretty well and would he be OK to rehearse with us and he was fine with that.

F : Of course ! It went super fast. After the first rehearsal, we already had two songs, working on a third one. Second rehearsal : we basically had the first EP ! Well not quite but it went really fast !

How do yo explain that ? Do you have some really clear common ground ? You mentioned Swans but you don’t sound like them…

S : And neither like Suicide ! (Laughs)

F : Even if we never mention it, the common ground is early Sonic youth, Arab on radar, US Maple, that kind of stuff.

S : No wave…

F : Yeah, no-wave, noise…

For sure I was going to ask about Arab on radar because it’s mentioned in almost all the reviews. I swear I didn’t read them before writing mine and then I realized I had been writing almost word for word what everybody else had written !! (Laughs)

F : It’s great ! If everybody says the same thing then maybe it’s true !

I found interesting that the reviews said that the influences kind of came through clearly but also that is still sounded fresh and spontaneous and natural…

F : We never talk about how we want to sound. We bring our own ideas but we never say « I’d like the guitar or the drums to sound like that ». At the end it sounds a bit like this or a bit like that but it’s never been an intention.

S : We have a very open-minded approach to each other’s way of making music. We’re really supportive of each other’s music making. It’s a really creative environment to be in.

F : The idea is that anyone can try anything.

S : Exactly !

F : If it doesn’t work, it doesn’t work, but at least we try !

Starting a punk-rock band today can be quite daunting in the sense that so much has been done before by so many great bands. Is that scary for you or not a problem at all ?

F : It’s not scary in the sense that we never wanted to do something that nobody had done before. I just want to play music that I consider to be good music with them and have fun. I don’t consider that we have to be super original. If it happens, it happens, but if someone comes up and says this songs sounds like this other song, well, whatever ! We don’t try to copy on purpose but we don’t try to sound super original on purpose !

A : I think our set-up kind of makes it easier for us. Two guitars and drums, that’s not as common as the typical bass – drums – guitar.

F : And we don’t try to create a bass sound. Often when you see this kind of set-up, the guy is playing on a big bass amp or a baritone guitar. But we have no bass and we don’t care !

Frank, I’ve read that you moved to Sweden to become a full-time musician…

F : Yeah, I quit my job in France and thought that what I wanted to do was playing music. And if I want to play music then I don’t have to stay in Lyon ! Sweden wasn’t my first choice but I finally ended up there and it’s even better than what I thought. Music is really a big part of the culture. It’s super easy to find a practice room, to make contacts, to find venues. And there are shitloads of bands – super good bands ! When I arrived in Gẗheborg, I rented this room and thought I was going to stay for one or two months, but then I was like « Oh, fuck it ! It’s so awesome, I’m gonna stay here ! » (Laughs)

You’re touring in a DIY network, do you find that this is a good way to tour as a full-time musician ?

F : For me, it’s the best way. With my solo project, Sheik anorak, I played some bigger venues and festivals and I have to say that DIY – the way we’re doing it right now – is my favourite way. When you play bigger venues, you don’t really meet people and I have the feeling that, especially for the music we do, I’d rather play smaller venues for 30 or 40 people who are really into it than on big stages in front of thousands of people who are basically waiting for us to be finished to see the band after. Basically, it’s what happens. I mean, until you are big and have a name, playing bigger places doesn’t make sense to me. It feels you’re in-between. Too big to play the small venues and not big enough to be the headliner. Being the constant opening band for bigger acts, for me, it’s not interesting at all. I’d rather stay in this DIY scene and enjoy the touring, meeting people, make contacts and have a good time instead of being more professional and doing it as a job.

So you don’t see it as a job…

F : No, not at all. I’ve been doing this for so many years but if someone came and said this DIY thing, playing for 30 or 40 people every night, it’s gonna stay like this forever, I’d sign directly ! I love it !

Do you manage to live from it ?

F : Yeah, sometimes it’s pretty tough but I kinda like it… More money would be nice but more money is more concessions and I don’t want to do it. I’m glad the way it is now.

About the EP : I think it was released on tape. Whay did you choose that format and how do you consider the actual object on which the music is released ?

F : We have different opinions… (Laughs)

S : Well, I’m a PhD student and I do my research, among other things, on record collectors so I know that there are at least some people who find value in the physical object ! Walter Benjamin wrote about the aura of the art object – or the withering of the aura but that’s a story for another day. I personally collect vinyls myself and I think a lot of people like to have something tangible to hold and touch when it comes to music. To have a tape and pay money for that, not just for a download code, makes a difference I think. And Ben Sanair did an amazing artwork…

Can we have a different point of view, now ?

A : I usually just listen to Spotify… It doesn’t matter as much what I’m listening to.

F : I used to have lots of vinyls – I also have a record label (Gaffer records – Ed.) – but for some reason I lost that interest in the object. I was paying a lot of attention to details, I love 7’’ and 10’’ and I did these series of 7’’ with different colours, black transparent sleeves and stuff. As a label I would still want to do that but as a person I don’t care anymore. I sold all my vinyls. I just listen to MP3 and Spotify. Now if I want to support a band, I would buy a tee-shirt but I won’t buy records anymore. I don’t like records anymore.

Is that a way to be simpler in your way of life ?

F : I just realized I didn’t need this anymore but it’s completely personal. Maybe because I don’t have the money anymore (Laughs).

And that’s where my recording device decided to stop, for some reason. There was a little bit of talking about music websites, fanzines and books, unanimous appraisal of the Skull defects being the one cool band to come out of Göteborg you had to listen to and then Frank expanding on how old school skateboarding gave him the original inspiration to play music. Streets on fire rules ! SST style ! For more information on the guy you can check this interview (in French !) published in 2012 but lots of information still relevant today.

>>>>>>>>>> VIDEOIID

>>>>>>>>>> GAFFER RECORDS

« Jeudi noise » (Black Mont-Blanc, Videoiid – Tilleuls, 6 déc.)

Virée aux Tilleuls un jeudi soir. Arrivé à l’arrache mais assez tôt pour passer un moment avec les groupes de la soirée. Alors qu’on avait prévu de les faire jouer tous deux ce soir, on a eu la surprise d’apprendre que les batteurs respectifs des deux groupes se connaissaient et avaient même joué ensemble à une époque ! La soirée part sous de bons auspices. Frank raconte sa tournée en autonomie en Russie, du nord jusqu’à la Crimée avec son projet solo Sheik anorak. Ca ferait un tour report d’enfer !

Il y a déjà un public assez nombreux – pour un jeudi – lorsque commence le concert de Black Mont-Blanc. Faut dire que le trio comporte la section rythmique des Don caballero locaux – We are the incredible noise – et qu’en plus ce groupe dont on compte les concerts sur les doigts de la main jouait pour la première fois à Annecy, il me semble bien.

Probablement à cause du son, leur musique fait une impression moins violente, moins rentre-dedans que lors de leur prestation au Poulpe. Post-hardcore technique, en ébullition. Voix gueulée qui se débat dans ses entrailles. Basse retorse, perverse, qui cherche le point de faiblesse, de rupture.

Quelques moments qui respirent davantage mais le trio ne laisse guère de repos au public et son set punitif le laisse pantelant, avec toujours l’envie lancinante d’en entendre plus. Quand sortiront-il quelque chose ? Un jour, peut-être, peut-être.

Le deuxième trio de la soirée, Videoiid donc, est un groupe plutôt groupe récent formé par Frank, lyonnais exilé à Göteborg, et Arvind et Sara, deux musiciens suédois. Ils n’ont pas tant tourné en France que ça et viennent de sortir leur premier EP, donc c’était plutôt cool de les recevoir ce soir-là aux Tilleuls

Punk dissonant, tribal, hypnotique. Gerbes de guitares qui déraillent. Sur scène, la musique de Videoiid est en éruption continue et leur set court mais intense fait une impression plus urgente, plus primaire encore que sur leur enregistrement.

Ou peut-être que c’était un de ces moments spéciaux où il se passe quelque chose, puisque le groupe lui-même nous racontera après que ce concert était pour eux particulièrement réussi. En tous cas, il laissera sa marque dans nos cerveaux sidérés, de même que cette excellente soirée qu’on prolonge par une interview à paraître très bientôt.

>>>>>>>>>> BLACK MONT-BLANC

>>>>>>>>>> VIDEOIID

>>>>>>>>>>BISTRO DES TILLEULS

« A shape of noise to come » (A Shape – Le Poulpe, 13 janv.)

a shape nb1.JPGUne bonne fée noise semble avoir touchée la programmation du Poulpe en ce début de mois de janvier, après la soirée terrible de vendredi dernier. Et quoi qu’il en soit, tant qu’ils en donnent, on prend, on prend !

Un seul groupe à l’affiche de l’auberge sonique de Reignier ce soir-là : A Shape. Un groupe qui n’a pas encore sorti de disque et où on retrouve Sasha, la chanteuse d’Heliogabale.

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Les morceaux de A Shape ont été mixés par Lee Ranaldo, le guitariste de Sonic Youth et il semble que la référence aux New-Yorkais soit assez incontournable, tant les entrelacs de guitare cristalline et la voix féminine se détachant sur la masse sonore y font parfois penser.

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Mais un Sonic Youth en morceaux, avec le verre concassé et les angles coupants dedans. A Shape, c’est les mélodies sucrés et les coups de butoir, le miel et le gravier mélangés dans la bouche.

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Les morceaux souvent assez longs du groupe déploient leurs spirales de résonnances, d’échos et de distortions. Des ambiances de fièvre et de confusion. Mais la confusion, c’est le sexe.

La chanteuse a un peu des airs de Kim Gordon française. Elle semble parfois s’adresser à un interlocuteur invisible pour dérouler ses histoires ou ses imprécations fiévreuses. D’une manière très proche de celle d’Ivy Claudy, la voix de The Sloks, ce groupe turinois qui avait fait forte impression lors de leur passage à Annecy et dont vous devriez entrendre reparler prochainement dans ces pages.

Bon sang, mais quelle chance de voir de tels groupes dans une salle si intime ! Ô émo-noise kid, fan des 90s, où étais-tu ce soir-là ? Et dire qu’en septembre Le Poulpe va ouvrir une salle de 400 places… On a eu droit à un CD de l’album pour quelques euros. Pour les autres, il y a toujours le bandcamp où on peut écouter trois des morceaux du groupe. En attendant un disque qui finira sûrement par venir.