« Punk au chapeau » : une interview avec Olivier Lowlight (PART 1)

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Impossible de ne pas l’avoir déjà croisé à un concert punk, rock ou hardcore, où sa silhouette dégingandée occupe souvent une place du premier rang. Sans compter qu’il trouve le moyen de jouer dans pas moins de quatre groupes et de s’occuper de Lowlightconditions, son site de photos de concerts. Ce type est-il humain ? Une chose est sûre, en tous cas, Olive est un hardcore punk-rocker et un activiste de longue date de la scène annecienne. Je lui ai donc envoyé quelques questions. Vu son agenda de candidat en campagne poursuivi par la justice, ça a pris un petit bout de temps mais les réponses sont finalement là et chaque ligne vaut dix fois les semaines d’attente. L’interview sera publiée en deux fois en raison de sa longueur. Enjoy !

Peux-tu nous présenter les groupes dans lesquels tu joues et nous parler un peu de leur actualité ?

C’est parti !

Je commence par le plus ancien : Fuck Da Tourist. Le groupe se définit comme de l’anarko punk’n’roll, comme ça nous avons notre case pour être classifié et rangé : paroles engagées et influences hardcore des 80’s / rock’n’roll. Le groupe s’est formé en 2000. Mais il existait une « proto version » en 1995/96, sans nom, dans laquelle officiaient déjà trois membres, le canal historique comme nous le définissons, ha ha ha!

Je ne vais pas te faire la généalogie parce que il faudrait bientôt une page complète mais pour l’instant nous sommes cinq : Laurent à la batterie, Cyril à la basse, Cédric à la guitare rythmique et moi à la guitare lead (façon de parler). Et pour finir Manon au chant. Elle nous a rejoint récemment et elle est la cinquième personne à prendre le poste. Pour l’instant nous répétons des anciens morceaux, des nouveaux arrivent petit à petit. Nous avons déjà fait quelques concerts et ça s’est très très bien passé. Ce groupe a sorti deux albums et donné quelques morceaux pour diverses compilations à buts militants. Un rythme très lent au niveau de la production, un album pour 2024 ?

Passons à What The Fuck ?! C’est du garage dans le style Crypt Records ou In The Red Records, donc très basique, punk quoi ! On y trouve Jab (ancien Fuck Da tourist) à la batterie et au chant, Pedro et moi aux guitares. Parfois je me colle au chant (hum hum…).Pas de basse.

Notre projet le plus immédiat est d’enregistrer enfin un album (2017?) après bientôt 14 ans d’existence et un seul 45 tours split avec Jack Burton. Oui, encore un rythme très lent. Les changements de rythme de vie (enfants, travail…) expliqueraient en partie tout ça. Mais nous sommes toujours partants pour les concerts.

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Ensuite vient Smutt, un groupe de Punk’n’roll efficace, aux textes engagés, parfois non. Formation à cinq membres qui a débutée en 2012/13 : Oliv à la batterie, Jim et Ben aux guitares, Mouss (ancien Fuck Da Tourist) au chant et pour finir moi à la basse. Nous avons enregistré sept titres chez Big Balls Studio et ils devraient atterrir sur différents supports : un 45 tours disponible dès maintenant pour la modique somme de 5 euros, un split 45 tours (reste à trouver l’autre groupe…) et peut-être une compilation.

Comme les deux groupes précédents (et celui qui suit), le but premier, tout du moins pour ma vision du truc, c’est de jouer partout où c’est possible.

Et pour finir Thee Sweeders, le groupe le plus récent, que j’ai rejoint en 2016. Je ne sais pas trop comment nous définir, peut-être du garage 60’s, mais version années 2000? Tout ce que je sais c’est qu’avec ce groupe, je me suis bien mis dans la galère puisque je suis à l’orgue électrique… Et je ne sais pas du tout jouer du clavier. Je ne suis déjà pas un grand bassiste ni un grand guitariste, mais alors le clavier… Donc j’apprends en répète, sur le tas, car je n’ai qu’un seul orgue. De toute façon, je ne joue déjà pas de basse ou de guitare chez moi, ça ne change pas grand chose à mon incompétence musicale.

Ce groupe est composé de Flo à la Batterie, Nox à la basse, Guibs à la guitare et au chant, et pour finir moi avec mon orgue électrique GEM Joker 61 de la fin des années 70.

Nous avons un set de 40 minutes avec deux reprise (Murder City Devils et Gun Club). Ca s’étoffe petit à petit. Nous avons fait quelques concerts qui se sont très bien passés. Les gens me posent même des questions sur mon son d’orgue car ils le trouvent intéressant, comme quoi la technique on s’en branle…

Avec autant de différents projets, t’arrive-t-il de te mélanger les pinceaux, de confondre les morceaux ?

Les groupes ne se ressemblent pas, même si tous ont pour trait commun une approche punk, j’utilise divers instruments pour faire du bruit, et surtout je ne suis pas encore sénile donc ça va, je ne mélange pas tout.

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Je crois que tu as environ 40 ans… A ton avis, qu’est-ce que le punk-rock peut encore apporter aujourd’hui ? Et à toi, qu’est-ce qu’il t’apporte ?

Ca va faire 26 ans que j’ai 15 ans. Rien de grave.

Le punk-rock n’est qu’un genre musical, une des multiples évolutions du rock’n’roll. Il n’amènera aucun changement ou aucune révolution dans la société actuelle où tout est digéré, assimilé et rendu obsolète en un temps record. Dans les années 70, ça a sûrement été une petite révolution et les maisons de disques ont flairé le truc en signant des groupes de punk-rock. Il ne faut pas croire que c’est l’industrie de la musique qui impose ses goûts aux consommateurs. L’industrie de la musique repère ce qui plaît, fait du marketing et le propose ensuite au consommateur lambda, souvent jusqu’à l’overdose. Et le consommateur lambda aime se gaver de merde. Tu n’as qu’à constater ce qui cartonne.

Je suis conscient que c’est bien plus complexe que ça et que ma vision est un peu caricaturale et simpliste, ce que tu retrouves souvent dans le dogme du punk-rock. C’était déjà dénoncé par Jello Biafra à l’époque des Dead Kennedys avec le morceau Chickenshit Conformist où il explique clairement que la scène punk est centrée sur elle-même et qu’elle ne changera jamais rien, que le punk rock mérite de mourir car il répète les schémas qu’il était censé combattre. Et relisez aussi les paroles de Nazi Punks Fuck Off, ça ne parle pas spécialement des nazis, mais d’un état d’esprit proche du fascisme dans le punk-rock.

L’industrie musicale se plante parfois, même souvent, personne ne sait comment faire un tube, et il existe de très bonnes choses sur les majors. Mais, encore une fois, j’ai l’impression que c’est la soupe qui gagne, que le consommateur lambda n’a pas envie de chercher, d’explorer, et cela malgré internet qui est un « endroit » formidable pour découvrir et apprendre. Quand j’écoute Built To Spill ou Radio Birdman au boulot, je ne suis pas très sûr que ça plaise à mes collègues, mais tant pis. Après tout je dois subir Radio Nostalgie en contre coup. Donc pour le consommateur lambda, qui est majoritaire, le punk-rock n’amène rien, c’est un genre musical à aimer ou détester, point barre.

L’une des premières fois où le mot punk est employé pour définir une attitude et un genre musical, c’est dans les notes de pochettes des « Nuggets », sortie en 1972 par Leny Kaye, qui compile des groupes garages et psychés des années 60. Ces chansons parlaient surtout des désirs, des frustrations et des expériences d’adolescents, ce n’était qu’une variation du rock’n’roll des années 50. Nombre de groupes proto-punks (ce néologisme n’est pas de moi!) ont été influencés par cette approche primitive, hédoniste et parfois pessimiste, les Stooges étant pour moi le meilleur exemple.

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Le MC5 est peut-être le premier groupe à y mêler une vision politique.

Donc je résume, le punk-rock, je le définirai comme étant :

1 – une catégorie, une case parmi d’autres pour l’industrie musicale, les réseaux sociaux (ou pas) et le consommateur lambda.

2 – une tentative d’appliquer le principe du D.I.Y. des Hippies. Et souvent une approche élitiste et snobinarde, ce qui va à l’encontre des principes d’ouverture d’esprit du punk, on n’en est pas à une contradiction près…

Ma vision du punk correspond à ma deuxième définition.

J’aime des groupes tels que les Ramones, The Clash, Nirvana ou The Strokes mais mon admiration va toujours vers des groupes tels que les Pagans : des groupes underground (ce qui parfois n’est pas forcément la volonté des groupes, ah ah ah !), sortant leur musique sur leurs propres labels parce qu’il n’y a rien d’autre, par exemple les groupes hardcore (au sens large) de la fin 70’s/début 80’s. Les Dead Kennedys étant un de mes groupes cultes, si ce n’était pas déjà évident, ah ah ah !

Une chose intéressante c’est que le punk n’est pas forcément rock. Tout peut-être mis à la sauce punk : le blues, la musette, le ska… Donc le punk est un excellent moyen de découvrir, d’être curieux. Le D.I.Y. c’est aussi la littérature, la peinture, le graphisme, le cinéma, la mode… C’est un état d’esprit qui a poussé un adolescent ayant un fort penchant pour le bizarre, l’étrange, à être curieux et à plus se cultiver tout en restant un peu en marge, et en le vivant très bien. Je parle de moi. Je n’étais plus seul. D’autres personnes un peu bizarres se bougeaient et faisaient avancer leurs petits mondes à elles tout en ayant rien à battre de l’opinion des autres.

Cependant j’avoue que dernièrement j’ai perdu un peu de ma curiosité, je suis un peu déconnecté et plus très au courant de ce qui se fait. Je continue à acheter des disques, moins qu’avant. Moins de livres et moins de DVD. Les finances y sont pour quelque chose. Et j’ai surtout passé une année à remonter ma vieille Vespa, donc j’ai lu de la revue technique et visité du site de pièces détachées. Maintenant je répare des amplis guitare, des platines vinyle, et j’achète des pédales d’effets en kit, à monter soi-même, ce sont mes nouveaux passe-temps… Tout en écoutant de la musique, évidemment, mais moins de nouveautés, c’est certain.

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J’imagine que tu connais plutôt bien la scène d’Annecy, qu’est-ce qu’il s’y passe en ce moment ?

J’ai commencé à trainer sur la scène annécienne vers 1995. Je restais avec des potes à glander dans Seynod, ville dortoir. On n’imaginait même pas qu’il pouvait se dérouler des choses sur Annecy, donc j’ai manqué ce qui s’est passé au début des années 90.

Comme partout, des groupes se forment et d’autres splittent. En ce moment je n’entends pas parler d’un groupe qui envoie le pâté et dans lequel il y aurait des jeunes Par jeunes, j’entends 15/25 ans. Bon après, peut-être qu’il y a un effet générationnel dans le punk-rock aussi, les jeunes ne s’intéressent pas aux vieux, et réciproquement. Et puis le punk n’est qu’une phase de la vie, non ? Donc il est normal que moins de monde vienne au concert des vieux groupes, ah ah ah! Ceci dit il y a Anarmada, du punk d-beat fait par des jeunes, mais plus trop jeunes non plus.

Des lieux ouvrent, d’autres ferment. Aujourd’hui il reste surtout des bars : le Bistro des Tilleuls (où tu as aussi des soirées littéraires), Le Chicago, La Brasserie Pirate. Des lieux plus alternatifs ont, ou vont cesser toute activité : La Machine Utile (encore que, on ne sait jamais si ce lieu est vraiment mort…), l’Alterlocal. Il y a un squat qui a ouvert récemment à Rumilly, et eux se bougent pas mal, les concerts ont lieu le dimanche après-midi. Et ça draine du monde, surtout pour un dimanche. Mais ils commencent à être emmerdé(e)s.

Pour en revenir à Annecy, j’ai l’impression que c’est un peu mort. Sauf pour les groupes célèbres, qui n’ont pas trop de mal à remplir le Brise Glace. Je me répète mais le punk rock n’est qu’un genre musical…

En même temps ça n’a jamais été très vivant, on reste dans une petite ville, les passionné(e)s et les militant(e)s tournent en vase clos, comme depuis toujours. Il faut faire avec une politique culturelle catastrophique, J’ai le sentiment qu’Annecy se transforme de plus en plus en ville 5 étoiles.

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What the fuck?! à la Spirale en septembre 2016

Peux-tu nous dire une chose positive et une chose négative à propos de la scène d’Annecy ?

Annecy étant une ville à l’esprit petit bourgeois bien étriqué, tout du moins c’est l’impression qui en ressort, si tu t’intéresses tu as vite fait de connaître tous les gens valables, et vite fait d’écarter les poseurs, les m’as-tu-vu.

La scène underground est petite et au niveau musical, c’est très incestueux. Les gens jouent dans pleins de groupes, ou projets comme on dit, ah ah ah ! Et tu as une sincérité et une humilité, c’est vraiment appréciable, tu ne retrouves pas cet état d’esprit de merde qui caractérise l’Annécien(ne): péter plus haut que son cul. Et puis ça bouge quand même bien, malgré le manque de moyens. Tu peux toujours te faire prêter une sono ou un ampli pour dépanner. Mais comme partout en France, ça manque un peu de lieux pour jouer. Comme dit plus haut, il y a quelques bars, mais en général « le sens de la fête » est limité par la présence du voisinage. Si tu ne joues pas trop fort, tu as l’Amnésie ou Chez Dudu. Un autre problème est le prix des loyers : si tu veux essayer de monter une structure indépendante pour ne pas dépendre de la politique culturelle locale, il faut bien tout calculer parce que le prix de la location ou de l’achat d’un local va être considérable.

Et pour finir, il manque un groupe de post-hardcore, un truc à la Cult Of Luna. Si des gens motivés lisent ces lignes…

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Quelle est ta vision d’une scène indépendante ? Penses-tu que les punks devraient complètement refuser tout ce qui touche au capitalisme ou à l’état (codes-barres, circuits de distributions culturels classiques, promotions, subventions, etc.) ou es-tu plus « cool » ?

A partir du moment où tu vends quelque chose, c’est du commerce, donc du capitalisme, ah ah ah ! Raccourci à la con. Comme je l’ai déjà longuement expliqué plus haut, je me méfie des dogmatismes, il est trop facile de simplifier les choses et d’en faire une règle : ça c’est de la merde parce que c’est sur une major, ça c’est bien parce que c’est sur un label indé… On ne peut pas nier la subjectivité et les goûts de chaque individu.

Donc chacun fait comme il le sent, personnellement mon but est l’échange. Pour autant que je sache, aucun des morceaux des groupes dans lequels je joue n’est enregistré à la SACEM, et aucun des disques n’arbore un code barre.

On a joué dans des squats, des salles subventionnées ou pour des associations. Pas d’apolitisme évidemment, soyons clairs, mais pas d’extrémisme non plus. Et je me fais souvent cette réflexon : jouer du punk et avoir un discours plolitisé dans un squat, c’est facile. Quand c’est pour une fête de village, une kermesse ou un festival de MJC, c’est là que ça devient super dur. Tu réalises que 99% des gens s’en branlent de ton discours politisé, ah ah ah ! Ils veulent juste danser et s’amuser, « pis la sono est pourrie, on comprend pas les paroles… »

Je sais que je suis très très mauvais commerçant, j’ai tendance à donner les choses, les disques de mes groupes ou mes photos de concerts… Mais après tout, c’est le but. Pourquoi garder tout un stock de disques dans une cave ? Je préfère les donner et me dire que éventuellement la personne l’écoutera une fois rentrée chez elle. C’est comme ça qu’il y a des disques de Fuck Da Tourist un peu partout dans le monde, hé hé hé…

Pareil pour les photos, si le groupe veut utiliser une photo pour son site ou pour une pochette, pas de problème. Je ne demande qu’un exemplaire du disque, c’est tout. Je ne mets jamais de copyright. Ce n’est pas moi sur la photo, c’est le groupe.

Par contre il existe une chose qui me rebute et dont je n’arrive vraiment pas à comprendre l’utilité, c’est Facebook. A quoi ça sert réellement ? Si tu revendiques un minimum de créativité, si tu te prétends quand même un peu artiste, tu te fabriques un site, ou tu demandes à un(e) pote graphiste de le faire.

J’arrive bien à faire une espèce de site de photos alors que je n’y connais rien.

Et puis Facebook n’a jamais drainé plus de monde dans les concerts, enfin je n’espère pas…

Fin de la 1re partie.

Fuck da tourist

Smutt

What the fuck?!

Thee Sweeders

Lowlightconditions

Punk ain’t no religious cult
Punk means thinking for yourself
You ain’t hardcore ’cause you spike your hair
When a jock still lives inside your head
Nazi punks
Nazi punks
Nazi punks, fuck off!
Nazi punks
Nazi punks
Nazi punks, fuck off!
If you’ve come to fight, get outta here
You ain’t no better than the bouncers
We ain’t trying to be police
When you ape the cops it ain’t anarchy
Nazi punks
Nazi punks
Nazi punks, fuck off!
Nazi punks
Nazi punks
Nazi punks, fuck off!
Ten guys jump one, what a man
You fight each other, the police state wins
Stab your backs when you trash our halls
Trash a bank if you’ve got real balls
You still think swastikas look cool
The real nazis run your schools
They’re coaches, businessmen and cops
In a real fourth reich you’ll be the first to goYou’ll be the first to go
You’ll be the first to go
You’ll be the first to go
Unless you think
Dead Kennedys, « Nazi punks fuck off »

OWUN, 2.5

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Faudrait être archéologue. Ou spéléo, pour inspecter en profondeur et identifier les couches, les multiples strates qui constituent la musique des Grenoblois d’Owun. Il faut dire que la formation n’en est pas à son coup d’essai. Le groupe existe depuis environ une vingtaine d’années et 2.5, sorti sur le label Reafforests, grenoblois lui aussi, est son cinquième album.

Les neufs titres qui composent ce nouveau disque tissent tous les motifs mélodiques des synthés, parfois d’inspiration très new-wave/cold-wave, et quelque chose de plus épidermique, de plus rock. On pourrait s’amuser au jeu des rapprochements avec d’autres formations explorant ces territoires hybrides. Le groove aquatique de Foul pourrait rappeler Tortoise, Tom tombe a un air de parenté avec la trance glaçée d’Electric electric et All of us, avec ses voix trafiquées semblant suivre leur propre cours sur une musique qui défile, fait un peu penser à la noise cinématographique et rêveuse de Zëro…

Mais, au final, Owun creuse un sillon qui lui est propre. Les synthés pratiquent un espèce de pointillisme, comme dans Tom tombe et ses sonorités Steve Reichiennes, semblant chercher le point d’éblouissement où les sens se troublent, où la perception se modifie. Kaléidoscopes de motifs sans fin, géométries étranges, symétries, points de fuite. La répétition hypnotique – certains morceaux dépassent les dix minutes – finit d’engourdir les sens. On se laisse passer de l’autre côté, prisonnier de cette bulle d’illusions cotonneuse et inconfortable.

Mais l’engourdissement est risqué. Les longs passages martelés par des rythmes binaires débouchent souvent sur des nappes de bruits stridents, des océans, et les répétitions aboutissent régulièrement à des déflagrations noise. Des embrasements où toute nuance s’estompe, où les rythmes disparaissent et où tous les sons se fondent dans une distortion de fin du monde. Owun sait faire du bruit, beaucoup de bruit.

Bref, on ne peut pas trop reprocher à Owun de suivre une mode ou de se cantonner à un style facilement identifiable. Ces francs-tireurs contruisent une musique pensée et unique, à la fois dansante et martiale. Et cet album cohérent et pas toujours facile d’accés est une excellente occasion de découvrir ce groupe à contre-courant.

Owun, 2.5 (Reafforests)

Owun bandcamp

Reafforests

Robotnicka, synth-punk d’avant le synth-punk

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Qui connait Robotnicka ? Ce groupe né, je crois, aux Tanneries de Dijon, dont ils ont fait trembler et danser les murs plus d’une fois et qui donne encore signe de vie par intermittence.

Rejeton ironique et déviant de la scène punk/squatt/DIY, ce groupe a créé son propre univers, mélange de délire disco-punk-paillette futuriste et d’inspiration politique radicale. Dans une sorte de concept-band qui n’est pas sans rappeler les Teddy boys radicaux de Nation of Ulysses. (Un groupe finalement assez obscur mais dont la créativité débridée en a inspiré plus d’un dans les 90s. Refused, tu pourrais dire merci.)

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Enfin bref, pour en revenir à Robotnicka, ils préfiguraient en quelque sorte la vague synth-punk qui fait rage actuellement. Bon, une rage relative, hein. Et ils ont quand même fait deux tournées états-uniennes – bon sang, ils ont joué avec 400 hundred years, Born dead icons, Capitalist casualties ou From ashes rise ! Et même un tour au Japon tout récent – 2016 – dont ils ont tiré une K7 best-of.

Leur joli site donne un aperçu de leur univers rétro-futuriste et permet d’écouter la totalité de la discographie de ce groupe à part.

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Nono for an answer !

Soma skateboard medecine

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Photo Fabien Ponsero

Soma est un magazine de skate fabriqué à Grenoble. Comme tout mag de skate qui se respecte, il est bourré jusqu’à la gueule de photos, particulièrement esthétiques ici, notamment pour les couvertures qui jouent souvent avec des éléments architecturaux. Mais les articles – généralement des récits de vagabondages de skaters en tournée – valent le coup aussi. Une espèce d’écriture morveuse vraiment très marrante à lire, qui sent les bières cheap et un bon esprit de sale gosse monomaniaque n’ayant qu’une idée en tête : skater, skater et encore skater.

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La garantie d’un certain recul sur la vie donc, et sur la société en général. Et un état d’esprit assez proche de celui du fanzine. Plutôt critique de l’évolution toujours plus commerciale du skate avec une interview assez sceptique d’un « agent » de skater pro dans le dernier numéro et une lettre ouverte lasse et bien vue à Christian Dior à propos de l’utilisation du skate dans ses pubs. Et ce dernier numéro contient même une interview de Marie Dabbadie, une skateuse transgenre qui fait un zine (papier !), XEM skaters, dédié au skate queer.

En fait, le seul regret qu’on pourrait avoir, c’est qu’il n’y ait pas plus de pages dédiées à des sujets pas directement reliés au skate. Un peu à l’exemple de Thrasher magazine où certaines pages sont/étaient consacrées à des groupes de musique punk ou affiliés. Le skate a toujours été un réservoir de créativité incroyable, aucun autre sport n’a une relation aussi forte à la musique, à la photo, à l’esthétique. Sans parler des skaters peintres ou écrivains. Défendre une idée du skate autre que strictement commerciale ou sportive, parler du skate dans ce qu’il a d’original et d’unique, c’est aussi parler de ça. Soma en rend compte, mais pourrait le faire encore plus.

Bref, Soma se trouve gratuitement à ABS skateshop à Annecy et c’est, vous l’aurez compris, une lecture de toilettes de grande classe. N’hésitez pas, c’est comme ça qu’ils le vendent.

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http://www.somaskate.com/

Tuco, EP

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Rétropédalage de grande ampleur pour cette chronique d’un EP autoproduit sorti en… 2010. En même temps, le groupe de Duillier (Suisse) a lui-même pris un break de plusieurs années entre-temps avant de revenir aux affaires et puis, après tout, on s’en tartine, non ?

Quatre titres qui, de toute façon, méritent amplement le coup de rétroviseur. Coulés dans le même plomb, la même matière brûlante sortie du studio de Serge Morratel. Batterie poid-lourd dépassant rarement le mid-tempo, grondements de basse ferrailleuse et guitare abondant dans la distortion et la dissonance. Noise-hardcore dans le sillon d’Unsane, forcément sanglant. Même si leur référence c’est plutôt Keelhaul, d’où ils tirent leur nom.

Mais n’allez pas croire que la musique de Tuco est monobloc ou que leurs morceaux soient interchangeables. Au contraire, sous des dehors bas du front, ça ruisselle de variations finaudes, d’idées poussées dans leurs retranchements et de rebondissements. Numb et son riff poussé inexorablement en guise de longue intro, jusqu’au coup de turbo stoner speedé génial. Point. Line. Plane., Looters et leurs gros riff ventrus se mariant avec des arpèges grinçants, dans une conception toute neurasthénique de la mélodie, bien propre au noise-rock.

C’est d’ailleurs une constance chez Tuco, cet alliage de puissance et de passages atmosphériques. Mais attention : ici, le muscle reste bandé. Pas de tentation post-hardcore blafarde, ni de chute dans le doom cafardeux. Et, dieu merci, Tuco n’est pas un groupe instrumental de plus. Même dans The Beef patrol, une voix finit par se frayer un chemin entre les rouages de la machine, une voix exaspérée, semblant lutter avec le manque d’air, qui donne à la musique du groupe comme un air de parenté avec Pord. Autres tailleurs de pierre avec les dents mais situés côté français, dans les Cévennes.

Bref, en un mot comme en cent, Tuco frappait avec ce premier EP un putain de grand coup. Et c’est donc avec un plaisir non-feint qu’on voit le groupe reprendre du service et encore plus préparer un nouveau disque, prévu quelque part courant 2017.

 

4 4 is now illegal

Anartisanart

Capture d’écran_2017-03-13_10-48-42.jpgA la base plutôt un service d’impression en sérigraphie, ce site distribue aussi pas mal de choses intéressantes, des disques de groupes locaux ou pas, des trucs essentiels comme des tee-shirts des Bérus ou encore la biographie de Crass récemment sortie.

Ce qui donne peut-être une idée de l’inspiration de cette initiative, basée dans la campagne chablaisienne (Marcellaz), un peu comme les fameux anarcho-punks du sud de l’Angleterre. Un état d’esprit d’autonomie, d’auto-organisation et d’indépendance beaucoup trop rare dans notre coin de montagnes.

Tôle froide, Owun, Lynhood – La Reliure, 18 fév.

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C’est à La Reliure, vieille baraque occupée par des ateliers artistiques à la facade psychédélique tout à fait incroyable, que se déroulait finalement ce concert.

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D’abord les lyonnaises de Tôle froide. Le trio propose une musique entre post-punk (un peu) rageur et pop acidulée. Des (petites) cousines de Massicot, en quelques sortes.

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Avec du chant en français, comme il sied bien à ce style à la fois revendicatif et naïf, leur set était frais et bien dynamique. Et elles avaient de jolies cassettes et patchs sur leur table de distribution.

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Owun sont Grenoblois et ce concert était l’étape genevoise d’une tournée à l’occasion de la sortie de leur album.

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Son massif, rythmiques répétitives, immuables, kaléidoscope d’effets et de réverbérations. La musique du trio est à la fois dansante et hypnotique, énergique et froide, martiale et aérienne.

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Un cocktail bien personnel, qui se mûrit dans le temps et demande de l’attention. D’ailleurs de nombreuses personnes – enfin, proportionnellement à la petite foule présente, hein – se sont assises au fil du set. L’impression d’avoir fait un voyage, transporté hors du temps… C’est donc que cette étrange machine fonctionne.

Lynhood clôturait cette soirée mais je n’ai fait qu’apercevoir ce projet solo qui semble tracer une ligne fragile et originale entre mélodies délicates et des éléments plus bruitistes. Elle aussi a sorti un disque sur le même label grenoblois, Reafforests.

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