« Making hardcore jazz again » (Coilguns – plateforme des Eaux-vives, 9 fév.)

Une plateforme en chantier, à la tombée du jour, au bout d’une jetée sur le lac Léman soufflé par des bourrasques annonciatrices de la tempête à venir. Grande ambiance pour le hardcore mutant de Coilguns.

Leur dernier disque le prouve encore une fois : le hardcore de Coilguns évolue lentement vers quelque chose de toujours plus personnel, toujours plus ouvert à des influences diverses et sans jamais se départir de sa virulence originelle dont la puissance est démultipliée en live. On sent une certaine ferveur chez les adeptes massés devant la petite scène montée pour l’occasion.

Comme le disque, le concert s’ouvre sur Shortcuts, morceau mid-tempo frontal génial et assez surprenant, où la voix à haut débit est au premier plan et qui a quelque chose d’un peu British, un peu post-punk. Un peu Idles, pour tout dire. Après, les choses s’enchaînent, les événements s’accélèrent et se bousculent dans une chronologie difficile à reconstituer. Coilguns tord le metal dans tous les sens. Les guitares de Jona Nido déversent un son absolument massif. Une sonorisation de haut vol permet à un rendu à la fois maîtrisé et crade, où les larsens dégueulent de partout. Y compris sur le chant furieux de Louis Jucker. Tantôt perché sur les enceintes, tantôt rampant sous la scène, sa présence déchaînée distille une intensité de malade. Il se tord, se disloque comme un personnage d’Egon Shiele. Ce mec est le Guy Picciotto du 21e siècle et Coilguns explose le hardcore, le transcende, le sublime et lui insuffle une folie pour en faire quelque chose d’autre, quelque chose de personnel et qui suscite une émotion étrange, un peu difficile à définir.

« C’est libérateur » dit un copain après le concert. Peut-être que, comme toute autre forme d’expression, ces musiques peuvent aussi se hisser jusqu’à ce qu’on appelle l’art et justifier qu’on continue à les sonder, année après année, disque après disque, concert après concert, encore et encore.

Les photos de cinéma sont de Sanjay Ray. Merci.

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Coilguns, « Watchwinders » LP (Hummus records)

Avec Coilguns, il faut battre le métal tant qu’il est encore chaud*. A peine plus d’un an après le précédent album Millenials, voici le nouveau disque, placé sous le signe de l’urgence et de la conscience du temps qui passe et lui aussi composé et enregistré in situ, c’est-à-dire en studio. Car le hardcore de Coilguns, pour surpuissant et furieux qu’il soit, n’exclut pas le bouillonnement créatif et les idées spontanées et originales – ce qui fait de cet album un ensemble à la fois très cohérent et libre, presque hétéroclite. Des morceaux aux structures complexes alternent avec des compositions beaucoup plus linéaires, comme sur le mid-tempo  Watchwinders, presque punk. On retrouve bien sûr le speed hardcore effréné du quatuor et la voix hurlée (Subculture encryptors, Big writer’s block)  – moments durant lesquels  ils me font penser à ABC Diabolo, un groupe des années 90 totalement oublié et c’est bien dommage car ça déchirait grave. Le groupe sait aussi ralentir le tempo (Growing block’s view), créer des ambiances plus insidieuses, rampantes, où le groove mortel est souvent assuré seul par la batterie – et quelle batterie !-, vu que la formation ne comporte pas de basse. Jusqu’à des ambiances sombres et mornes, où le temps semble suspendu de manière inquiétante : Prioress, avec sa voix pâteuse au flow quasi hip-hop, ou le choeur bluesy sur la fin de Watchwinders. Une veine presque gothique, qui parcourt le disque, fait pendant aux murs du son épais de la guitare de manière étonnamment naturelle et donne une couleur nouvelle à la musique de Coilguns.

Est-ce-que celle-ci atteint ce point d’équilibre un peu magique où la musique d’un groupe se met à ne ressembler à aucune autre et où tu as l’impression tout-à-coup qu’elle ne te parle qu’à toi ? Eh ben, c’est à chacun de se faire une opinion, en écoutant ce disque mais surtout, surtout, en allant voir le groupe en live**. Une expérience incandescente qui n’a pas beaucoup d’équivalent aujourd’hui.

*Comme noté par pas mal de chroniqueurs, hé hé.

**Par exemple, le 2 février sur la plateforme des Eaux-vives dans le cadre du festival genevois Antigel.

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« En lambeaux dans le chaos » (Tuscoma, Coilguns – L’Ecurie, 22 sept.)

La petite cour devant l’Ecurie est presque noire de monde lorsqu’on arrive. Drone to the bone fête ses 9 ans et, malgré quelques concerts moins suivis, sa programmation radicale et avant-gardiste est incontournable pour les amateurs de bruit et de fureur. Puis faut dire que Coilguns est précédé d’une sacré réputation sur scène, hé hé. A peine le temps de passer au bar, que Bruno annonce le début des hostilités avec Tuscoma. C’est parti !

Loins d’être des inconnus, ce duo néo-zélandais officiait auparavant sous le nom de Hollywoodfun downstairs – passés à Genève il n’y a pas si longtemps d’ailleurs (déjà en formule à deux). Le groupe a opéré une mue progressive : originellement trio, ils pratiquaient un punk noise qui se prenait parfois des coup de speed ultra-rapides et hurlés qui faisaient leur particularité. Des surfeurs de satan en quelque sorte, mais qui ne crachaient pas sur les mélodies. Sous le nom Tuscoma, le speed prend le devant de la scène et le surf reste au placard.

Mur du son quasi ininterrompu. Blast-beats impitoyables et voix hurlée en arrière-plan comme sous le choc d’une électrocution continue, dont l’effet est encore accentué par l’éclairage aux néons blancs éblouissants. Je sais pas si le public attentif et statique est comme moi, légèrement surpris et dubitatif devant la décharge sonore des néo-zélandais fortement déconseillée aux épileptiques. Pas inintéressant, loin de là, mais on respire un peu quand le groupe retrouve du groove avec le dernier morceau et sa rythmique presque garage.

Les quatre lascars de Coilguns font une entrée bien classe en trinquant sur scène (whisky ?), instruments déjà en place. Ca sent le savoir-vivre et la camaraderie. Et l’envie d’en découdre aussi. Dés les premiers accords, Louis Jucker, le chanteur, se jette sur les premiers rangs, dans un espèce de saut de l’ange mi-ruée de mélée, mi-pulsion suicidaire. Le groupe place son concert sous le signe de la tension maximum, de la folie, de la confrontation avec le public et de l’envie de vivre un moment taré avec lui.

Et c’est exactement ce qu’ils firent. Coilguns soumet le public à un feu nourri et interrompu de leurs brulôts hardcore-noise-metal qui ne se soucie pas trop des genres et de la bienséance, tant que ça défouraille. Et parfois avec tout à coup un groove électrocuté génial à tomber. Coilguns sait même faire le rock.

L’intensité émotionnelle et l’engagement physique ont quelque chose qui rappelle certains groupes hardcore des années 90. Born against ou Heroin, au hasard. Même si c’est pas exactement la même chose évidemment. De même les danses folles et le discours personnel et inconventionnel du chanteur entre les morceaux, très loin des poses habituelles dans ce genre de musique. En sortant de ce concert éreintant, tu ne sais plus grand chose mais tu sais au moins que tu as vu de la musique vivante.

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