Yoke, « Posture » EP

Après « Immorale émotion », le terroriste sonore chambérien Yoke revient avec 4 nouveaux morceaux, cette fois publiés sous l’égide d’un label, Larmes – mais uniquement en format numérique semble-t-il – et donne une suite à ses plongées sonores, ses chutes dans un espace sombre, magnétique et sans fond. Environnement sonore sculpté – au grain plus fin peut-être que sur l’enregistrement précédent. Motifs qui s’entrechoquent, échos d’une scène inidentifiable, bloqués sur une répétition cauchemardesque. Inquiétantes mécaniques sourdes qui travaillent en profondeur. Entre précision maniaque et délitement des repères auditifs, les narrations sonores de Yoke déroulent leurs paysages angoissants, hors-contrôles, poursuivent leur lancinant travail de sape.

>>>>>>>>>> YOKE

>>>>>>>>>> LARMES

Coilguns, « Watchwinders » LP (Hummus records)

Avec Coilguns, il faut battre le métal tant qu’il est encore chaud*. A peine plus d’un an après le précédent album Millenials, voici le nouveau disque, placé sous le signe de l’urgence et de la conscience du temps qui passe et lui aussi composé et enregistré in situ, c’est-à-dire en studio. Car le hardcore de Coilguns, pour surpuissant et furieux qu’il soit, n’exclut pas le bouillonnement créatif et les idées spontanées et originales – ce qui fait de cet album un ensemble à la fois très cohérent et libre, presque hétéroclite. Des morceaux aux structures complexes alternent avec des compositions beaucoup plus linéaires, comme sur le mid-tempo  Watchwinders, presque punk. On retrouve bien sûr le speed hardcore effréné du quatuor et la voix hurlée (Subculture encryptors, Big writer’s block)  – moments durant lesquels  ils me font penser à ABC Diabolo, un groupe des années 90 totalement oublié et c’est bien dommage car ça déchirait grave. Le groupe sait aussi ralentir le tempo (Growing block’s view), créer des ambiances plus insidieuses, rampantes, où le groove mortel est souvent assuré seul par la batterie – et quelle batterie !-, vu que la formation ne comporte pas de basse. Jusqu’à des ambiances sombres et mornes, où le temps semble suspendu de manière inquiétante : Prioress, avec sa voix pâteuse au flow quasi hip-hop, ou le choeur bluesy sur la fin de Watchwinders. Une veine presque gothique, qui parcourt le disque, fait pendant aux murs du son épais de la guitare de manière étonnamment naturelle et donne une couleur nouvelle à la musique de Coilguns.

Est-ce-que celle-ci atteint ce point d’équilibre un peu magique où la musique d’un groupe se met à ne ressembler à aucune autre et où tu as l’impression tout-à-coup qu’elle ne te parle qu’à toi ? Eh ben, c’est à chacun de se faire une opinion, en écoutant ce disque mais surtout, surtout, en allant voir le groupe en live**. Une expérience incandescente qui n’a pas beaucoup d’équivalent aujourd’hui.

*Comme noté par pas mal de chroniqueurs, hé hé.

**Par exemple, le 2 février sur la plateforme des Eaux-vives dans le cadre du festival genevois Antigel.

>>>>>>>>>> COILGUNS

Welldone dumboyz, « Tombé dans l’escalier » (Repulsive medias, No way asso, 939K15)

Découverte de ce groupe orginaire de Belfort avec cet album. Les huit titres qui le composent sont totalement indéfinissables mais brillent par leur énergie et leur spontanéité.  Stoner gueulard pour le gros son, noise pour la (dé)constrution foutraque et les plans absurdes et toujours blues détraqué et débraillé dans le fond. On ne sait jamais trop à quoi s’attendre. On ne s’embarasse pas de cohérence mais on préfère en foutre partout à fond la caisse, à l’image de l’esthétique gluante de la pochette. Lorsque le rythme ralentit (The hole), c’est pour sonner comme un Nick Cave pochetron et agressif. Elle se permet toutes les bizarreries, un Black space aux ambiances à la Pink Floyd, un Kim plus expérimental et même une derniere Bald story accoustique avec des voix qui chevauchent tout ça avec panache, notamment dans Tombé dans l’escalier, probablement le morceau que je préfère. Ce groupe a son propre truc, il sonne comme lui-même. Une engeance qui se fait rare. Je vois sur leur site que c’est leur huitième enregistrement et qu’il sortent des disques depuis plus de 10 ans. Merde, si ça se trouve, c’est un groupe culte !

>>>>>>>>>> WELLDONE DUMBOYZ

>>>>>>>>>> 939K15

Brutalist demo CD

On retient son souffle dès les premières secondes et on se dit que là il se passe quelque chose. Brutalist est un projet mené pendant quelques années et, il semble, une poignée de concerts par trois des membres de Knut, accompagné par Adriano Perlini (qui jouait déjà avec le guitariste Tim Robert-Charrue dans Commodor). Ce CD que le groupe présente comme une démo ne nous laisse honnêtement que nos yeux pour pleurer que le groupe ne soit plus. Il contient cinq morceaux enregistrés  entre 2016 et 2019. Instrumentaux sinueux, construits autour de longues plages répétitives, tunnels obscurs qui débouchent tout à coup dans de vastes espaces. Si Trabajo et Cobra propose un métal expérimental, répétitif, tendu à craquer, étourdissant, le reste du disque dessine les contours d’un noisecore déconstruit totalement ahurissant. Piton, le premier morceau, sonne – comment dire ? – comme la rencontre de John Coltrane et de Godflesh dans un rêve de Death grips, si une telle chose est imaginable. Base rythmique massive syncopée, allant se densifier, se déployer, s’entrelacer. Guitare bloquée dans des stridences dissonantes en contrepoint, qui part en échappée et prend tout à coup des accents de saxo free magnifique.  Instant magique est un champ de bataille désolé , ambiance de décombres infestés, cendres fumantes. Avec des guitares vrillées, rampantes qui rodent en embuscade et une basse colossale, agonisante. New light clôt le disque en renouant avec une noise extatique et libre. Cinq morceaux. Un ensemble hétéroclite. Un instantané qui documente ce que ce groupe a été et laisse deviner ce que le futur aurait pu être. A écouter absolument.

>>>>>>>>>> BRUTALIST

Yoke, « Immorale Emotion » EP

 

Yoke est un tout jeune projet solo basé à Chambéry et ce EP 4 titres est son faire-part de naissance. Yoke pratique le drone – vous savez, cette musique qui existait déjà au moyen-âge, fondée sur une note tenue que d’autres viennent enrichir. Sauf qu’ici ce n’est pas de musique grégorienne dont il est question mais plutôt une version moderne, industrielle et stridente. Des paysages mornes, uniformes, désolés, présence humaine incertaine, qui mutent lentement, se métamorphosent au contact de débris sonores qui s’entrechoquent.  Sur une seule des quatre pièces apparaîtra une rythmique battante. Indus massif en boucle, jet continu au coeur du réacteur. Méditative et angoissante, la musique de Yoke convoque immanquablement des références cinématographiques – David Lynch tapi dans l’ombre, Tetsuo, l’ovni cyberpunk japonais de la fin des années 80. Un film sans images. Du cinéma noise pour tes oreilles, en quelque sorte.

 

>>>>>>>>>> YOKE

 

« En lambeaux dans le chaos » (Tuscoma, Coilguns – L’Ecurie, 22 sept.)

La petite cour devant l’Ecurie est presque noire de monde lorsqu’on arrive. Drone to the bone fête ses 9 ans et, malgré quelques concerts moins suivis, sa programmation radicale et avant-gardiste est incontournable pour les amateurs de bruit et de fureur. Puis faut dire que Coilguns est précédé d’une sacré réputation sur scène, hé hé. A peine le temps de passer au bar, que Bruno annonce le début des hostilités avec Tuscoma. C’est parti !

Loins d’être des inconnus, ce duo néo-zélandais officiait auparavant sous le nom de Hollywoodfun downstairs – passés à Genève il n’y a pas si longtemps d’ailleurs (déjà en formule à deux). Le groupe a opéré une mue progressive : originellement trio, ils pratiquaient un punk noise qui se prenait parfois des coup de speed ultra-rapides et hurlés qui faisaient leur particularité. Des surfeurs de satan en quelque sorte, mais qui ne crachaient pas sur les mélodies. Sous le nom Tuscoma, le speed prend le devant de la scène et le surf reste au placard.

Mur du son quasi ininterrompu. Blast-beats impitoyables et voix hurlée en arrière-plan comme sous le choc d’une électrocution continue, dont l’effet est encore accentué par l’éclairage aux néons blancs éblouissants. Je sais pas si le public attentif et statique est comme moi, légèrement surpris et dubitatif devant la décharge sonore des néo-zélandais fortement déconseillée aux épileptiques. Pas inintéressant, loin de là, mais on respire un peu quand le groupe retrouve du groove avec le dernier morceau et sa rythmique presque garage.

Les quatre lascars de Coilguns font une entrée bien classe en trinquant sur scène (whisky ?), instruments déjà en place. Ca sent le savoir-vivre et la camaraderie. Et l’envie d’en découdre aussi. Dés les premiers accords, Louis Jucker, le chanteur, se jette sur les premiers rangs, dans un espèce de saut de l’ange mi-ruée de mélée, mi-pulsion suicidaire. Le groupe place son concert sous le signe de la tension maximum, de la folie, de la confrontation avec le public et de l’envie de vivre un moment taré avec lui.

Et c’est exactement ce qu’ils firent. Coilguns soumet le public à un feu nourri et interrompu de leurs brulôts hardcore-noise-metal qui ne se soucie pas trop des genres et de la bienséance, tant que ça défouraille. Et parfois avec tout à coup un groove électrocuté génial à tomber. Coilguns sait même faire le rock.

L’intensité émotionnelle et l’engagement physique ont quelque chose qui rappelle certains groupes hardcore des années 90. Born against ou Heroin, au hasard. Même si c’est pas exactement la même chose évidemment. De même les danses folles et le discours personnel et inconventionnel du chanteur entre les morceaux, très loin des poses habituelles dans ce genre de musique. En sortant de ce concert éreintant, tu ne sais plus grand chose mais tu sais au moins que tu as vu de la musique vivante.

>>>>>>>>>> TUSCOMA

>>>>>>>>>> COILGUNS

>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE

« La théorie de l’électrocution » (La Confraternita del purgatorio, Don Vito – Cave12, 9 oct.)

don vito

Dans la programmation de Cave12, des groupes de « rock » – attention, on est quand même assez loin de Téléphone, hein -, il y en a pas des masses. Mais quand il y en a, c’est souvent de la haute voltige.

A peine le temps d’entrer que déjà, La Confraternita del purgatorio, groupe italien on l’aura compris, fait résonner les premiers sons de son set. Une batterie pour marteler les rythmiques syncopées et deux gars aux machines pour faire jaillir un flux continu d’électronique grouillant. Symphonie pour épileptiques.

LCDP 3

Viva il papa !

Y’a comme un organisme bizarre qu’a pris greffe sur la machine, une bactérie qui prospère dans les circuits. Une forme mutante qui pullule et prend contrôle du système. Bref, je crois qu’on a un problème.

Le batteur avait même le tee-shirt qui dit « I like the pope and the pope smokes dope » où on voit Jean-Paul II qui fume un joint. Sacrément vintage. Ils en ont pas fait pour Benoît XVI, d’ailleurs. Faut dire que Jean-Paul II, il avait un peu plus une gueule que Benoît XVI aussi. Mais bon, c’est pas le sujet.

LCDP 1

Assez sur cette Confraternita qui, d’ailleurs, n’a joué que 30 minutes. Et au tour des allemands de Don Vito dont le set sera lui aussi court et intense.

don vito 1.JPG

Noise-rock haletant, cartoonesque, en éruption permanente. A la vitesse de la lumière, dans le sillon de Melt-Banana et Lightning bolt, mais qui sait aussi faire danser. Même si c’est la bave au lèvre et le regard fixe et vide.

don vito 2.JPG

Une cocktail explosif génial et finalement assez populaire et qui leur vaudra même un rappel.

Comme un groupe de rock.

Ha.

>>>> LA CONFRATERNITA DEL PURGATORIO

>>>> DON VITO

 

« Usine intime » (Zerö, Mike Watt & Il Sogno del Marinaio – Usine, 12 octobre)

sgno-nb-2

L’Usine en mode café-cabaret feutré, si, si, c’est possible. Peu d’affluence ce mercredi soir, malgré les grands noms à l’affiche.

dscn2511Les lumières de Zérö étaient intégralement rouges, sûrement pour rappeler la pochette de leur dernier disque. De Bästard, leur ancien groupe (dont ils joueront d’ailleurs un titre), je me rappelle une musique balladeuse, capable d’emprunter à presque tout, de l’ambiant au noise, au cabaret, aux musiques traditionnelles…

zero-nb

Zérö a aussi cette dimension touche-à-tout, cinématographique. Musique tendue, brumeuse. Parfois un peu insaisissable, à l’image des visages évanouis de leur pochette encore une fois. Mais aussi traversée de montées de tension stridentes…

mike-w-nb

Après les ombres mouvantes de Zérö, le punk-rock expérimental et malicieux de Mike Watt, acoquiné avec le duo italien Il Sogno del Marionaio.

sgno-3

Avec toujours ce style inimitable – quelque part entre rock minimaliste et progressif, si vous avez du mal à imaginer, vous n’avez qu’à écouter –  et cette voix reconnaissable entre mille, Mike Watt continue de tracer son bonhomme de chemin. L’ex-Minutemen (pères de tous les punks de traviole de la terre) et bassiste des Stooges* a toujours la patate pour venir jouer dans des endroits sombres et enfumés. L’Usine cette année, Bellecombe-en-Bauges en 2014. A plus de 60 ans, avec son inamovible chemise à carreaux, il est la preuve vivante que le punk-rock, ça peut être autre chose qu’une musique formatée. Il me fait penser à un monde où on oublierait pas qu’on a été un gosse, où on oublierait pas qu’on peut être passionné, que ça peut être beau de créer, envers et contre tout.

Hey, c’est pas un peu la classe, ça ?

*Après Steve MacKay au Poulpe (avec Bunktilt), en 2014 ou quelque chose comme ça, c’est le 2e Stooges que je vois en concert dans le coin ! Hé hé ! A quand Iggy pop à Urgence disks?

« Sonique beauté » (Filiamotsa/G.W.Sok, Bouffon de la Taverne, 12 sept. 2015)

DSCN0070

Hey, quelques images du concert de Filiamotsa, hier, à la Taverne de la république avec G.W.Sok.  Un groupe assez unique : deux violons, une voix, une batterie et un synthé (ou une machine qui y ressemble…) et des morceaux impressionnants qui tissent post-punk the Exien, psychédélisme grinçant style Velvet et atteignent au bout d’un moment la vitesse supersonique dans une atmosphère symphonique très post-rock. Impressionnants, même si une certaine urgence punk me manquait parfois. Heureusement qu’il y avait G.W.Sok et ses poèmes surréalistico-politiques (textes pas inclus dans leur dernier disque, dommage), sa voix et son attitude immuables, comme déterminé à débiter la litanie des absurdités du monde jusqu’à sa fin.

DSCN0069

Même s’il ne leur ressemble pas, j’ai trouvé que ce groupe sonnait parfois comme un hommage à The Ex, à leur façon assez unique d’être de traviole et de faire du bruit, depuis pas mal d’années.

Plutôt classe, en tous cas, de voir des concerts comme ça à prix libre…

DSCN0063

Le groupe rejoue mardi, au même endroit je crois, un set davantage consacré à la poésie – dont on a eu un petit aperçu avec une reprise de « Holy » de Allen Ginsberg. Ca donnait des frissons, beau comme du Patti Smith. Ca pourrait être une soirée pas trop mal…

DSCN0077

Et puis, le concert a été mis en ligne (mais c’était mieux en vrai)…

« Partouze sonique intégrale »* (La Colonie de vacances – Place des volontaires, 6 juillet)

M 4 Un petit mot sur ce concert hors du commun qui s’est tenu lundi 6 juillet en fin d’aprem, sur la place des Volontaires, devant l’Usine. La colonie de vacances, c’est quatre groupes – Marvin, Papier tigre, Pneu et Electric electric -,  sur quatre scènes, se faisant face, et le public au milieu. Le dispositif fait son petit effet et les passants que je croise n’en croient pas leur yeux.

EE 3

Electric electric

EE 2 Les groupes jouent à la fois des morceaux qui appartiennent au répertoire de chacun – en général le groupe commence son morceau et les autres interviennent petit à petit sans crier gare, ou envoient tous la purée en même temps – ou composés pour ce projet spécifique.

Marvin 1

Yeah Marvin yeah

On peut rester au centre et profiter un maximum du son, façon rave party, ou se balader d’un groupe à l’autre, façon British museum, goûter un peu à la noise électro énigmatique d’Electric electric, au rock tendu et ciselé de Papier tigre, au chaos bubblegum core de Pneu ou aux tubes heavy de Marvin.

PT 3

Papier tigre

Quelques petits problèmes techniques viennent perturber le concert mais ne gâche pas le plaisir de ces groupes de faire du noise ensemble. Se démener sous la canicule, une bien chouette façon de fêter l’été.

pneu 1

Ladies and gentlemen : Pneu

*Oui, c’est clair que j’aurai pu trouver un titre plus classe (j’avais pensé à des choses comme « Les polyphonies noise »…) mais je me suis dit qu’une référence cochonne bien sentie aurait plus de chance d’attirer des visiteurs… Malin, hein ?