Massicot/Housewives split 7″

massicot hswvsLes split 7″ scellent en général l’amitié et la proximité artistique de deux groupes. C’est le cas avec ce disque que partagent les genevoises de Massicot et les anglais de Housewives, qui ont joué ensemble sur bon nombre de scènes et dont les approches déviantes du rock ont un air de parenté évident.

Une voix, monocorde, parlée, débite un fil tendu. Autour, les arabesques et accidents de la musique. Des petites notes de guitare, lumineuses et pétillantes, plombées tout à coup par une partie lourde et stridente. Massicot invente une transe électrique naïve et nerveuse – un peu dans le sillon d’anciens comme Dog faced hermans – et je crois bien que Kokteilis est mon morceau préféré du groupe.

Comme à leur habitude, Housewives, réunit des éléments totalement disparates dans un ensemble dont on se demande comment il tient. Leur EXC. 281016 est à la fois linéaire, répétitif, épars et aléatoire. Un post-punk crispant et déshumanisé, la tension sourde à l’état pur, suicidé par une fin abrupte. Faut vraiment découvrir ce groupe incroyable, avec une petite préférence pour les premiers enregistrements, plus punks.

 

Massicot/Housewives split 7″ (Blank Editions / Hands In The Dark / Red Wig / Et Mon Cul C’est Du Tofu? / Harbinger Sound)

>>>>>>>>>>>>>>>>>> MASSICOT

>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> HOUSEWIVES

L’Effondras, « Les Flavescences »

L'effondras couv

« Les Flavescences » est la suite du premier LP de L’Effondras, qui avait déjà bien marqué. Ce disque est sorti au début de l’année et a reçu un nombre impressionnant de chroniques, donnant le sentiment que le trio de Bourg-en-Bresse est un des groupes les plus commentés du moment – ce qui n’est qu’ une supposition, bien sûr.

On retrouve l’ampleur et le dépouillement des compositions de L’Effondras, cette façon d’esquisser, puis de reprendre une mélodie, par petite touches et variations, aussi longtemps qu’il le faut, jusqu’à atteindre quelque chose d’intense, de dramatique et de grandiose.

Chacun des quatre titres qui composent cet album propose une ambiance bien à lui et c’est une évolution par rapport au premier LP. Le disque s’ouvre sur Les rayons de cendre, son riff tumultueux et émotionnel et ses brusques ruptures de tensions. Commençant en demi-teinte, Lux furiosa bifurque en cours de route sur un riff enjoué, plein d’allant et presque pop, que n’aurait pas renié Ride en son temps. Suit alors une jolie accalmie, Phalène, apaisée et délicate comme un instant suspendu. Mais c’est pour mieux replonger dans la tempête de Le Serpentaire, super-morceau de plus de 30 minutes, toute amarre larguée, avec une idée mélodique encore plus primale et et où les rythmes et le bruit semblent se diluer dans l’air, se perdre jusqu’à se faire ambiants.

A coup sûr, ce groupe un peu obscur, esthétique (la pochette mystérieuse de Marion Bornaz est de toute beauté) et exigeant ne pourra pas plaire à tout le monde. En partie parce qu’il refuse la collaboration avec les névroses de l’époque : l’obsession de l’accessibilité immédiate, du message binaire et lisible (hé hé), du grand cirque du bavardage insignifiant et généralisé. Mais on le verrait bien dépasser le cadre des circuits rock, aussi alternatifs soient-ils, et ceux qui tenteront l’aventure pourraient bien être grandement récompensés.

L’Effondras, « Les Flavescences » (Noise parade / Dur & Doux, 2017).

>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> L’EFFONDRAS

>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> NOISE PARADE

>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> DUR&DOUXL'effondras recto

l'effondras verso

OWUN, 2.5

cover.jpg

Faudrait être archéologue. Ou spéléo, pour inspecter en profondeur et identifier les couches, les multiples strates qui constituent la musique des Grenoblois d’Owun. Il faut dire que la formation n’en est pas à son coup d’essai. Le groupe existe depuis environ une vingtaine d’années et 2.5, sorti sur le label Reafforests, grenoblois lui aussi, est son cinquième album.

Les neufs titres qui composent ce nouveau disque tissent tous les motifs mélodiques des synthés, parfois d’inspiration très new-wave/cold-wave, et quelque chose de plus épidermique, de plus rock. On pourrait s’amuser au jeu des rapprochements avec d’autres formations explorant ces territoires hybrides. Le groove aquatique de Foul pourrait rappeler Tortoise, Tom tombe a un air de parenté avec la trance glaçée d’Electric electric et All of us, avec ses voix trafiquées semblant suivre leur propre cours sur une musique qui défile, fait un peu penser à la noise cinématographique et rêveuse de Zëro…

Mais, au final, Owun creuse un sillon qui lui est propre. Les synthés pratiquent un espèce de pointillisme, comme dans Tom tombe et ses sonorités Steve Reichiennes, semblant chercher le point d’éblouissement où les sens se troublent, où la perception se modifie. Kaléidoscopes de motifs sans fin, géométries étranges, symétries, points de fuite. La répétition hypnotique – certains morceaux dépassent les dix minutes – finit d’engourdir les sens. On se laisse passer de l’autre côté, prisonnier de cette bulle d’illusions cotonneuse et inconfortable.

Mais l’engourdissement est risqué. Les longs passages martelés par des rythmes binaires débouchent souvent sur des nappes de bruits stridents, des océans, et les répétitions aboutissent régulièrement à des déflagrations noise. Des embrasements où toute nuance s’estompe, où les rythmes disparaissent et où tous les sons se fondent dans une distortion de fin du monde. Owun sait faire du bruit, beaucoup de bruit.

Bref, on ne peut pas trop reprocher à Owun de suivre une mode ou de se cantonner à un style facilement identifiable. Ces francs-tireurs contruisent une musique pensée et unique, à la fois dansante et martiale. Et cet album cohérent et pas toujours facile d’accés est une excellente occasion de découvrir ce groupe à contre-courant.

Owun, 2.5 (Reafforests)

Owun bandcamp

Reafforests

Robotnicka, synth-punk d’avant le synth-punk

enter

Qui connait Robotnicka ? Ce groupe né, je crois, aux Tanneries de Dijon, dont ils ont fait trembler et danser les murs plus d’une fois et qui donne encore signe de vie par intermittence.

Rejeton ironique et déviant de la scène punk/squatt/DIY, ce groupe a créé son propre univers, mélange de délire disco-punk-paillette futuriste et d’inspiration politique radicale. Dans une sorte de concept-band qui n’est pas sans rappeler les Teddy boys radicaux de Nation of Ulysses. (Un groupe finalement assez obscur mais dont la créativité débridée en a inspiré plus d’un dans les 90s. Refused, tu pourrais dire merci.)

robotnicka

Enfin bref, pour en revenir à Robotnicka, ils préfiguraient en quelque sorte la vague synth-punk qui fait rage actuellement. Bon, une rage relative, hein. Et ils ont quand même fait deux tournées états-uniennes – bon sang, ils ont joué avec 400 hundred years, Born dead icons, Capitalist casualties ou From ashes rise ! Et même un tour au Japon tout récent – 2016 – dont ils ont tiré une K7 best-of.

Leur joli site donne un aperçu de leur univers rétro-futuriste et permet d’écouter la totalité de la discographie de ce groupe à part.

a1668989315_10

Nono for an answer !

Tuco, EP

ep

Rétropédalage de grande ampleur pour cette chronique d’un EP autoproduit sorti en… 2010. En même temps, le groupe de Duillier (Suisse) a lui-même pris un break de plusieurs années entre-temps avant de revenir aux affaires et puis, après tout, on s’en tartine, non ?

Quatre titres qui, de toute façon, méritent amplement le coup de rétroviseur. Coulés dans le même plomb, la même matière brûlante sortie du studio de Serge Morratel. Batterie poid-lourd dépassant rarement le mid-tempo, grondements de basse ferrailleuse et guitare abondant dans la distortion et la dissonance. Noise-hardcore dans le sillon d’Unsane, forcément sanglant. Même si leur référence c’est plutôt Keelhaul, d’où ils tirent leur nom.

Mais n’allez pas croire que la musique de Tuco est monobloc ou que leurs morceaux soient interchangeables. Au contraire, sous des dehors bas du front, ça ruisselle de variations finaudes, d’idées poussées dans leurs retranchements et de rebondissements. Numb et son riff poussé inexorablement en guise de longue intro, jusqu’au coup de turbo stoner speedé génial. Point. Line. Plane., Looters et leurs gros riff ventrus se mariant avec des arpèges grinçants, dans une conception toute neurasthénique de la mélodie, bien propre au noise-rock.

C’est d’ailleurs une constance chez Tuco, cet alliage de puissance et de passages atmosphériques. Mais attention : ici, le muscle reste bandé. Pas de tentation post-hardcore blafarde, ni de chute dans le doom cafardeux. Et, dieu merci, Tuco n’est pas un groupe instrumental de plus. Même dans The Beef patrol, une voix finit par se frayer un chemin entre les rouages de la machine, une voix exaspérée, semblant lutter avec le manque d’air, qui donne à la musique du groupe comme un air de parenté avec Pord. Autres tailleurs de pierre avec les dents mais situés côté français, dans les Cévennes.

Bref, en un mot comme en cent, Tuco frappait avec ce premier EP un putain de grand coup. Et c’est donc avec un plaisir non-feint qu’on voit le groupe reprendre du service et encore plus préparer un nouveau disque, prévu quelque part courant 2017.

 

4 4 is now illegal

Taulard/Ultrademon split 10 »

Ce qui frappe d’entrée de jeu sur la face Taulard, c’est le son, qui opère un virage à 180° par rapport aux enregistrements précédents. Alors qu’ils lorgnaient vers un certain minimalisme, un peu lo-fi, mettant en valeur le caractère naïf des paroles de Taulard, il s’est épaissi ici, le synthé et la voix sont un peu plus prises dans le mix où basse et batterie se sont musclés. Taulard ressemble presque à un groupe de punk-rock, tout à coup.

Ca fait bizarre, au début. Mais pourquoi pas ? Et, de toutes façons, la personnalité du groupe traverse cette mue sans encombres. On retrouve les textes personnels où le réalisme peut cotoyer la poésie, comme dans « Sombre et inquiet » – le morceau le plus fort du disque, à mon avis, et qui lui donne son titre. Si « Stressé » nous refait le coup du morceau débordant et frénétique, « T’es susceptible » vibre de ces mélodies simples typiques du groupe, un peu sous influence new-wave, pleines d’allant et néanmoins toujours menacées d’une pesanteur sournoise. Toujours entre légèreté apparente et anxiété déclarée.

De leur côté du disque, Ultradémon proposent deux morceaux, alternant mélodies vénéneuses, grooves surfisants décalés et explosions de démence, qui devraient eux-aussi retenir toute votre attention.

Ce disque est disponible pour 5 euros auprès des groupes : Taulard et Ultrademon.

« Racaille du bruit » (Kunz, Pigs pigs pigs pigs pigs pigs pigs, Raketkanon – Usine, 6 fév.)

RKTKNN 0.JPG

Waouh, premier concert de l’année 2017 pour l’asso Drone to the bone et une affiche explosive avec trois groupes à forte personnalité.

kun-z-1

L’occasion d’abord de voir Kunz. Ce duo basse/batterie originaire de La Chaux-de-fond prévu l’an dernier en première partie de Arabröt et qui avait été remplacé un peu en dernière minute.

Kunz, c’est une affaire à la fois simple et compliquée. Compliquée parce que pour décrire leur musique on pourrait parler de punk-hardcore pour certains tempos, d’un côté bluesy et swinguant qu’ont souvent leurs morceaux et sans compter qu’ils savent aussi appuyer sur la pédale noise destructuré et répétitif. Mais simple, aussi, parce que ça reste un groupe de rock qui fait des morceaux qui rock et sur lesquels tu ne peux t’empêcher de trépigner.

Le groupe joue à même la salle, dans le public, de la même manière que Pneu et leur prestation convulsive les rapproche du duo tourangeau. Mise-en-bouche de grande classe.

Pigs 0.JPG

Changement de tempo avec les anglais de Pigs (x7) et leur stoner psychédélique massif crashé dans une lenteur hallucinée.

Pigs 1.JPG

Les longs hurlements du chanteur charismatique font beaucoup aussi dans ce groupe et accentue le côté vision cauchemardesque de leur musique…

Pigs 2.JPG

Puis vint Raketkanon, précédés de leur réputation démentielle sur scène – et d’un album enregistré chez Steve Albini, évidemment*. Les belges balancent eux-aussi une musique mutante quasi-impossible à décrire. Empruntant à toutes les formes de rock et de métal, malaxées, digérées et régurgitées en une nouvelle forme de noise-rock, ultra-percutant, à la fois violent et sardonique, prêts pour le troisième millénaire.

rktknn-1

Mais cette musique est aussi un support d’expression pour le crooner de la mort Pieter-Paul Devos. Un peu remonté comme une pile contre l’abus de smartphones devant la scène (il a d’abord foutu un coup dans une caméra qui passait puis s’est carrément rué sur un cameraman un peu entreprenant pour le bourrer de coups – il s’est excusé par la suite, c’était pas très clair)… mais bon dieu, les passages les plus rock’n roll où il est en mode punk braillard sont tout simplement génialissimes !

Beau, dérangeant, violent. La force de frappe du groupe est massive. Avec un logo en néon sur scène et un livre de photos bien classe sur leur table de merchandising, ils cultivent même pas mal leur image et ont un peu des petites gueules à être un prochain sujet de Tracks, l’émission chic et choc d’Arte. Faut en profiter tant qu’ils sont encore à nous, ha ha.

Bref, bref, bref, c’était super.

rktknn-3

Après nous, la ruine

*Comme Cocaine piss, le dernier groupe proposé par DTTB en 2016, hé hé – et d’ailleurs, en passant, Shellac sera en concert le 5 juin à la Belle Electrique à Grenoble.

The Sloks – s/t 7″

sloks.jpg

Ce modeste mais néanmoins classieux 7″ à la couverture sérigraphiée constitue le véritable acte de naissance discographique du trio turbogarage de Turin. Les quatre morceaux gravés sur ce bout de vinyle étaient connus, puisqu’ils s’écoutaient déjà sur leur bandcamp, mais on les découvre ici dans une nouvelle version. Son de guitare resserré et qui a pris un dose supplémentaire de fuzz, si c’était possible, et la voix d’Ivy Claudy parfois un peu davantage prise dans le mix, mais qui garde toute sa saveur acide et féroce.

Pour le reste, on retrouve les riffs de guitare échevelés, la batterie métronomique et la voix totalement déviante qui composent la formule du trio et ses compositions rock’n roll minimalistes hautement inflammables. Tank of gasoline, avec une allumette la fête est plus folle. Use me et sa rage froide droit dans les yeux. Into the mud, on se vautre dedans avec un plaisir de gorets. Et mon petit préféré, Close the door et son riff dru qui va finir par l’enfoncer, la porte. Un rock’n roll speedé, jouant la carte de la répétition, le cerveau en position off, jusqu’à la transe, la combustion spontanée.

Soit à peu près l’effet que produit en concert ce groupe dévastateur et salvateur.