Le monde de la musique tourne largement autour des groupes mais c’est une erreur. Ecrire sur la musique, tout comme faire un label ou organiser des concerts, ça a au moins autant de valeur et c’est au moins autant essentiel, en tous cas dans une scène où il n’y aurait pas d’un côté les musiciens et de l’autre juste des spectateurs.
Instant Bullshit est un blog – revendiqué comme tel, même pas honte – lyonnais qui publie des chroniques de disques et des reports de concerts accompagnés de jolies photos en noir et blanc. L’auteur a écrit dans Perte & fracas et la naissance de I.B. – qui fait suite à Heavy mental – semble plus ou moins correspondre au moment où Hazam a cessé de publier sur le site rennais.
Musicalement, le blog trempe en gros dans les mêmes eaux que Rad-Yaute – il arrive assez souvent qu’on en vienne à parler des mêmes groupes au même moment -, à savoir un spectre assez improbable qui va du punk jusqu’à des musiques plus expérimentales, en passant par tout ce qui touche de près ou de loin à la noise, ça va de soi. Le contenu est en plus solidement ancré dans la scène locale du fait des chroniques de concerts qui permettent souvent de découvrir des projets avant tout le monde – un groupe jouant la plupart du temps sur scène avant de sortir un disque, n’est-ce-pas. Dans un monde idéal, il y aurait des Instant bullshit, qui donneraient des nouvelles des mondes musicaux souterrains partout.
Faut pas trop chercher l’objectivité dans Instant bullshit et c’est vraiment ce qu’il y a de mieux. Les articles sont longs, souvent sinueux – l’auteur a initié une rubrique « Chroniques express » pour se forcer à plus de brièveté – mais creusent un truc qui leur est propre. J’imagine que les meilleurs magazines sont composés de gens comme ça, de voix individuelles qui t’ouvrent la porte d’un univers. Personne n’a besoin de lire que le groupe machin a sorti un album de métal-bidule et qu’une vidéo sera visible sur vos écrans le 25 décembre. La seule chose intéressante, c’est de lire sur ce qui aimante une personne de manière viscérale vers une musique et qui la pousse à creuser son sujet encore et encore.
Il n’y a pas d’autre façon d’écrire sur la musique.
Dans la foulée de leur concert au Poulpe, les membres du quatuor pop-punk-noise explosif Dewaere ont pris le temps de répondre à mes questions. Etaient présents Marc (basse), Julien (guitare) et Maxwell (chant) ainsi que Franck (batterie) et Yann (tour manager qui fera quelques interventions bien senties). J’ai l’habitude d’ajouter la mention (Rires) pour donner une idée de l’état d’esprit à ce moment mais, là, c’est toute l’interview qui est à lire avec un sens de l’humour et du second degré bien aiguisé. Dewaere, c’est des tubes en série qui explosent sur disque, des concerts pied au plancher souvent délirants et incontrôlables mais leur interviews aussi sont rock’n roll.
Vous jouez très
régulièrement et votre album en est à son troisième repressage :
ça a l’air de pas mal marcher pour Dewaere. Est-ce-que c’est le
fruit d’une stratégie établie et vous étiez sûrs de votre coup
ou, au contraire, est-ce-que ça vous prend un peu par surprise ?
Marc : Totalement par suprise. Quand j’ai été recruté pour un boulot, on m’a demandé : « Est-ce-que tu vas repartir en tournée ? Est-ce-que tu seras totalement dispo pour le travail qu’on te propose ? » Moi j’ai dit : « Les tournées, c’est terminé ! » – j’avais 38 balais à l’époque – et je me retrouve dans la situation totalement inverse ! Mais, à la base, ce groupe, c’était juste pour faire du rock.
Julien : On a composé des morceaux, on a rencontré Maxwell. On s’est dit c’est cool, ça nous plait, on enregistre. Notre batteur connaissait un gars de chez Bigoût records et de chez Phantom records. On a envoyé notre album. Les mecs ont dit : « Oh, c’est génial ! » Ils nous ont proposé un deal pour 300 vinyles. Donc on a sorti l’album et suite à la sortie de l’album, on a eu de bons retours, qui nous ont apporté des dates, qui nous ont apporté un tourneur, puis d’autres dates, encore de bons retours sur l’album hyper régulièrement… Tout s’est enchaîné mais c’était hyper inattendu…
Hugues jouait
dans Flying worker auparavant, et aussi Neige morte, Veuve SS – des
groupes qui tournaient ou tournent plutôt dans la scène
hardcore/DIY -, est-ce-que le fait de travailler avec des
intermédiaires comme votre tourneur et dans des circuits plus larges
vous pose certaines questions ?
Maxwell : Moi, je déteste chercher les dates, organiser les répètes – et je crois que tous les musiciens sont d’accord avec moi quand je dis ça. Quand tu as quelqu’un qui organise des dates, franchement tu peux te branler sous la douche tranquillement avec l’image de la reine dans ta tête ! (Marc plié de rire. NDLR)
Julien : Et puis, c’est pas comme si on était avec un agent véreux. Le mec, il est plus jeune que nous…
Marc : Il est méga passionné. Notre relation est hyper saine. On est à la même hauteur. Il nous aide à nous développer, il a capté le truc et… il bosse bien !
Maxwell : Il nous adore et on l’adore !
Julien : Parfois, il y a eu des gens qui nous disaient : « Nous, on veut pas passer par un tourneur, on veut passer en direct. » Mais c’est unE erreur totale parce qu’en passant par eux, c’est tellement plus simple. Eux, c’est leur métier. Nous, notre truc c’est de jouer de la musique et, eux, c’est d’organiser.
Du coup,
qu’est-ce-que vous pensez des pratiques des tourneurs qui
consistent à avoir un droit de regard sur les premières parties ?
Julien : Franchement… Pas grand-chose. Je pense que si j’étais tourneur, je ferais la même chose !
Marc : Là, tu poses la question aux musiciens, faudrait que tu demandes au tourneur. Basiquement, le tourneur, c’est un vendeur mais un vendeur qui kiffe son truc, pas un mec qui vend des pots de yaourts, c’est un métier passion. Si il nous fait jouer dans des lieux comme ici, c’est pas pour l’argent, c’est parce que c’est là que le groupe rencontre son public.
Julien : Il y a des tourneurs qui nous auraient fait jouer en première partie de Matmatah à l’Olympia mais lui si il nous fait jouer en première partie, c’est sur une date avec le Villejuif underground ou avec Cocaine piss.
Maxwell : Ca marcherait pas du tout…
Julien (interloqué) : Je sais pas… Pourquoi ?
Maxwell : Ca marcherait pas du tout parce que c’est NOUS les meilleurs ! (Rires)
Julien : Non, ce qui fait qu’on est bien avec lui, c’est que c’est pas business mais il y a un bon truc de développement.
Votre musique a
un côté assez entraînant, assez fun. Est-ce-que c’est une envie
que vous aviez dès le départ ?
Julien : Pas du tout ! Avant que Maxwell arrive, on avait que des instrumentaux orientés noise/math-rock. Assez rapidement, on s’est rendu compte qu’il fallait que nos morceaux deviennent des chansons.
C’est vrai
que la voix de Maxwell sur du math-rock, j’ai un peu du mal à
imaginer ce que ça pourrait donner…
Marc : Si ! Si ! Ca pourrait marcher mais ça serait vraiment chelou !
Julien : Il a apporté quelque chose de beaucoup plus pop à nos morceaux et c’est tant mieux.
Gloire à
Maxwell , quoi !
Marc : Ca a été un putain de coup de bol et c’est génial ! (Il se tourne vers Maxwell) Si tu veux, tout à l’heure, je te… (Une certaine conception de la décence m’empêche in extremis – malheureusement peut-être – de reproduire la proposition à caractère sexuel de Marc dans sa totalité, ni la réponse de Maxwell qui, il faut bien le dire, n’est JAMAIS pris en défaut de répartie.NDLR)
On entend
parfois dire que, pour les groupes à guitare, c’est un peu
la fin, qu’il y a plus trop de public, qu’est-ce-que vous en
pensez ?
Julien : Moi, je trouve que c’est le contraire, je trouve que ça revient !
Marc : Il y a toujours un public pour les bons groupes et pour les bonnes chansons. Tu peux faire de la techno au kilomètre, ça va marcher 5 ou 6 ans, tu vas remplir ton festival parce que les mecs sont sous MD et qu’ils sont défoncés. Mais que ce soit en rap, en rock, en pop, c’est exactement pareil, les gens viennent chercher une émotion. A partir du moment où tu dis vraiment quelque chose, de la manière la plus pop qui soit, tu touches tout à coup un public hyper large et réceptif !
Yann (semblant se réveiller tout-à-coup) : Est-ce que vous voulez voir ma raie ? Ou mon zizi ?
Maxwell : Yann Olivier entre en scène !
Les gens
parlent parfois des années 90 comme d’un âge d’or…
Marc : En tous cas, dans les années 90, Maxwell n’écoutait aucun groupe des années 90 !
Maxwell : C’est n’importe quoi : Michael Jackson, Spice girls, Fucking backstreet boys ! Mais bon, je suis né en 87, mec. These fucking dickheads listened to Nirvana, Sonic youth…
Marc : J’écoutais du black metal !
Maxwell : Non, toute ma vie, j’ai écouté les Beatles ! Pour moi, c’est tout ce qui compte ! Nirvana, je vois que c’est bien mais… ça m’emmerde ! C’est comme le massage shiatsu, c’est bien mais ça te fait rien !
(A ce moment, Julien essaye de m’expliquer le son de guitare qui l’inspire dans Nevermind pendant que les autres parlent de fantasme sexuels inspirés par la pochette de l’album de Nevermind de Nirvana… le résultat est difficile à transcrire. NDLR)
Maxwell (hurlant par-dessus la mélée) : FUCKING LISTEN TO THE BEATLES, YOU FUCKING IDIOTS !
OK, Maxwell
parle-nous un peu des Beatles…
Maxwell : Si tu veux, toute la musique d’aujourd’hui, c’est à base de Beatles !
Julien : Tu crois que Beethoven a attendu que les Beatles arrivent ?
Maxwell : Les Beatles, c’est Beethoven ! … Non, mais au niveau des pop, mélodies – bon, les paroles, on s’en fout – c’est juste génial.
Julien : En vrai, tu as complètement raison.
OK, Maxwell, tu
viens d’une autre culture, pas forcément rock, punk, noise, etc.
Qu’est-ce-que tu as pensé d’eux la première fois que tu les as
écoutés ?
Maxwell : Ils
m’avaient dit que c’était « noise-punk »…
C’est ce que
tout le monde dit, d’ailleurs…
Maxwell : Pour moi, « noise-punk », c’est The Fall mais hyper expérimental ! Pas de mélodies, rien ! C’est juste TRRRRFFFFFXXXXRRRRRZZZZ BBBBBRRRRRTTTTRRREWWWKKKKRRRR !!!!!!!! (Il fait le bruit avec sa bouche. NDLR) Ca m’excitait… Je suis arrivé à la répète, c’était pas du tout ça ! C’était un peu… organisé… un peu math-rock. C’était pas du tout ce que je pensais. Et du coup, je me suis un peu forcé parce que je connaissais personne à Saint-Brieuc et je voulais me faire des potes. (Rires) Je leur ai dit : « Vous faites de la merde, vous avez besoin de moi. »
Marc : On a pas besoin de toi ! Je t’ai trouvé ivre mort dans une soirée et je t’ai dit : « Eh putain, toi, t’as pas l’air français ! » et on a commencé à discuter. C’est exactement comme ça que ça c’est passé !
Julien : Le lendemain matin, j’avais un message de Marc qui disait : « Putain, j’ai rencontré un mec, il est australien, il a l’air complètement timbré mais ça peut être génial ! »
Vous racontez
deux moments différents, en fait…
Marc : Pendant la première répète, il est resté assis à boire pendant une heure et demie. Il a tisé une première bouteille de Chardonnay, puis il en a ouvert une deuxième et enfin il s’est tourné vers le micro et il s’est mis à hurler comme un sauvage !
Julien : On a l’enregistrement de la première répète, j’avais l’impression d’entendre Jim Morisson en train de faire des Oh-oh-oh sur notre musique ! On était hyper surpris mais c’était génial. Moi, le lendemain matin, je me suis réveillé en me disant : c’est bon.
Marc : Exactement, c’est le gars qui nous fallait et puis voilà ! On s’est pas posé la question trois secondes ! C’était génial, déglingo comme il fallait. Il chantait juste comme il fallait, il mettait l’émotion pile poil où il fallait. C’était parfait. Et la lumière fût !
Vous avez
complètement changé votre musique du coup ? Ca a mis longtemps
à se mettre en place ?
Marc : Non, non, on n’a pas complètement changé. Il y a des morceaux qu’on joue encore qui sont issus de cette période-là…
Julien : C’est pas ses préférés, à Maxwell, mais bon…
Marc : Ce qui s’est passé, c’est qu’on a recommencé à composer comme on ne faisait plus. On s’est remis à composer en studio, à amener des riffs, il avait ses propres chansons qu’on a bousculées. On a bousculés nos chansons pour mettre du Maxwell dedans et puis voilà ! En fait l’album est né de l’espèce de pâte à modeler de cette époque-là
Maxwell, quel
est ton rapport avec la langue française ? Est-ce-qu’il y a
des groupes qui chantent en français que tu aimes ?
Maxwell : Je peux name-drop beaucoup de mes potes, là… J’adore les groupes français qui chantent en françmportant. Ils sortent pleins de groupes super bien. Il y a un groupe qui s’appelle Kévin Colin et les Crazy Antonins, Roland Cristal, Kévin Cristal, Kévin Colin… Tous mes potes de Toulouse… sans eux, je ne suis rien !
Marc : Ben merci, on est vraiment très content de t’avoir parmi nous, connard de merde ! (Rires) On est vraiment très contents d’être là ce soir mais je pense qu’on va y aller maintenant…
Maxwell : C’est des gens qui m’ont vraiment touchés… Bref, la chanson française, j’adore ! Il faut que les français gardent la chanson française au lieu d’essayer de chanter en anglais !
Maxwell : Si, si, c’est rock, rock n’roll, un peu…
Julien : Françoise Hardy, rock ‘n roll ?
Maxwell : Serge Gainsbourg, Sheila, France Gall…
Pour moi, ça
tombe davantage dans la variété ou la pop…
Marc : Cette discussion est complètement dingue parce que c’est deux mondes totalement différents ! Tu attends des références alterno d’un type qui considère qu’en fait la pop est rock !
Maxwell : Pour moi, la pop ça couvre tout. Et le rock, c’est une petite partie de la pop.
Marc : Mais un truc vraiment rock en français que tu aimes, ça serait quoi ?
Maxwell : Cobra… mais en fait j’aime pas trop. Je trouve que c’est drôle mais j’écouterais jamais tout seul. Dans le camion, ça va !
Et au fait, je
suis sûr que c’est une question qu’on vous a posée plein de
fois, mais Patrick Dewaere, qu’est-ce qu’il représente pour
vous ? Pourquoi vous avez choisi ce nom ?
Maxwell : En fait, c’est l’oncle de Marc.
Julien : En fait, on cherchait un truc qui colle à notre musique et qui soit lié à Saint-Brieuc. Et d’un coup : Dewaere ! Il est né à saint-Brieuc. Le mec est torturé et en même temps, il y a un côté beau, émouvant chez ce mec-là et en même temps fou, violent, torturé et beau. C’était parfait, c’était ce qu’il nous fallait, Dewaere !
C’est marrant
d’être attaché à une ville, comme ça…
Julien : Y rien de spécialement glorieux… C’est notre ville !
Marc : C’est la plage ET les mobylettes. C’est la base !
Julien : Moi, je suis anti-patriotique mais j’aime bien Saint-Brieuc quand même !
Et l’avenir
pour Dewaere ?
Marc : On fait un deuxième disque, qui est plutôt bien en route. Les morceaux sont là mais il faut qu’on les dewaerise ! C’est la principale différence entre le disque que tu as écouté et celui qui va arriver. Sur Slot logic, on a tout composé ensemble, à l’ancienne, en répète. Pour le prochain, on a demandé à Maxwell – Maxwell compose tout le temps, de tout, il nous amène des trucs et souvent on lui dit « Non, ça, c’est pas pour nous… » – bref, on lui a demandé de nous sortir les trucs les plus pop possibles. Genre : si les Beatles étaient encore vivants, sors-nous les singles des Beatles vont sortir pour les dix prochaines années ! Nous derrière, on les détruit, on en fait les trucs les plus noise possible. Et ça donnera… ben, on verra bien, parce qu’on en sait rien, en fait.
Maxwell : Ce sera le meilleur album de 2020 ! Chaque morceau est un tube !
Ca fait déjà un mois, mais le souvenir est encore chaud comme la braise : Nurse et It it anita au Poulpe. Disons-le tout net : certainement le concert le plus mémorable que j’ai vu dans ce lieu.
Issu de différentes formations – Crappy stuff, NFO, Shivaz – Nurse pratique un rock noisy émotionnel très abouti, qui les place à part dans la scène locale.
Le groupe avait annoncé c’était leur dernier concert avant longtemps. Acculé par les contraintes diverses – comme tout ceux qui essaient de mener de front leur passion et le reste – ils tentent, si j’ai bien compris, de se dégager du temps pour créer de nouveau et, peut-être, donner une suite à leur merveilleux premier LP.
Les morceaux de Nurse sont une matière sombre mais hautement inflammable et il y a toujours un moment où elle s’embrase. C’est chouette de les réentendre sur cette scène, agrémentés d’une reprise du groupe grenoblois Virago que j’entendais pour la première fois. D’autant plus qu’à la console, Jérémie a ciselé un son d’une profondeur étonnante qui permet de les entendre dans les meilleures conditions qui soient.
Les Belges de It it anita étaient plutôt attendus, et pour cause, un premier concert au Brise-Glace avait laissé des marques et convaincu pas mal de monde. Y’a pas de hasard.
It it anita pratique aussi un rock bruyant qui, au-delà de l’influence Sonic youth évidente surtout sur les premiers disques, va piocher un peu partout sans a priori.
Mais sur scène, le mélange prend totalement corps. Rythmique baston, mélodies gorgées d’émotion et murs du son irradiants. It it anita joue sur tous les tableaux, appuie sur toutes les manettes en même temps, excelle dans toutes les disciplines. Et, là aussi, le son joue sa part et transcende la musique.
Un bon concert, c’est aussi un public qui vibre et réagit et l’action est dans la fosse autant que sur scène. Hystérie, tremblement, échange de fluide, osmose océanique entre les Belges soniques et la foule en sueur qui se presse contre la scène.
Le groupe finit par descendre la batterie au milieu du public – bien sûr qu’ils la descendent – pour une dernière transe sauvage et collective. Pas d’évanouissement, de visions ou d’état de conscience modifié mais on n’en était pas loin.
« Reignier, on va se faire tatouer tes initiales sur la poitrine ! », rigole le groupe. Sûr qu’en tous cas on t’oubliera pas de sitôt, Anita.
A suivre : une chouette interview, aussi bientôt qu’il sera possible.
PS Les photos sont encore une fois d’Olive. Je sais pas si il était inspiré ou si c’est un nouvel appareil photo, mais il faut absolument visiter son site Lowlightconditions pour aller voir toute la série qui est géniale. Merci Olive.
Avec Weasel Walter en grand maître de cérémonie… La précédente tournée avait évité Genève, mais on ne la fait pas deux fois à Cave12 et rendez-vous était pris cette fois avec cet ensemble noise tout en démesure. Pour être honnête, je suis loin de connaître toute leur discographie foisonnante ni l’historique des nombreux line-up. Ce que je savais, c’était la réputation qui les précédaient et que, selon toute vraisemblance, il allait se passer des trucs. Tout dimanche soir qu’on était.
Les gens arrivent peu-à-peu. Les conversations se mènent à voix basse. Ambiance feutrée, un peu club de jazz. Seul le drap de fond de scène au logo des Flying luttenbachers – accessoire absolument ridicule des groupes de rock mais bon eux, ça va, eux, c’est différent – indique le chaos à venir. Des copains arrivent qui viennent pour la première fois, sont ravis de découvrir cet endroit même si il est mal indiqué.
« Vous pouvez parlez, on est pas chatouilleux ! » balance Weasel Walter en montant sur scène suivi de sa troupe de mercenaire. Mèche qui lui barre le visage, marques noires sous les yeux, pantalon d’officier nazi (ou peut-être pas), bottes en cuirs et teeshirt de death-metal.
3.2.1. GO ! Soubressauts. Tremblements irrépressibles. Flashs. Epilepsie. Visage tordu par des spasmes. La musique des Flying luttenbachers, c’est une décharge continue, la chaise électrique musicale, l’électrocution à perpétuité. La noise dans ce qu’elle a de plus urgente et de plus stridente. Pour l’imaginer, faut se figurer le résultat d’une overdose de free-jazz et de black-métal.
Le saxophone de Matt Nelson apporte une touche no-wave très new-yorkaise – (hé, je suis pas mécontent d’avoir réussi à attirer Alain dans un concert no-wave !) On danse comme on peut mais, oui, on peut danser. Au premières loges devant les musiciens, c’est le régal. Alex Ward, guitariste pour cette tournée européenne. Grand, tiré à quatre épingles, jeu noise incroyable. La classe même quand il saute dans la fosse et remonte sur scène par d’étranges reptations doresales. Et Tim Dahl – oui, le Tim Dahl de Child abuse, qui doit quasiment habiter à Genève en ce moment vu qu’il était aussi en concert avec un projet jazz, Grid, récemment. Costume blanc, partitions froissées à ses pieds. Son épais, gorgé de parasites et de distortion et pourtant véloce, mécanique de précision. Le plus beau son de basse du monde. On en boufferait à tous les petits déjeuners.
Pas d’autre nom à l’affiche, mais aprés le concert ébouriffant de ce groupe de tous les superlatifs, c’est vraiment pas nécessaire. Juste un tour à la table de distro pour discuter un peu, chopper quelques disques et découvrir les différents projets de ces musiciens hyperactifs, quelques pièces supplémentaires au puzzle, quelques noms de plus à porter sur la carte imaginaire de cette musique impossible.
Avec Coilguns, il faut battre le métal tant qu’il est encore chaud*. A peine plus d’un an après le précédent album Millenials, voici le nouveau disque, placé sous le signe de l’urgence et de la conscience du temps qui passe et lui aussi composé et enregistré in situ, c’est-à-dire en studio. Car le hardcore de Coilguns, pour surpuissant et furieux qu’il soit, n’exclut pas le bouillonnement créatif et les idées spontanées et originales – ce qui fait de cet album un ensemble à la fois très cohérent et libre, presque hétéroclite. Des morceaux aux structures complexes alternent avec des compositions beaucoup plus linéaires, comme sur le mid-tempo Watchwinders, presque punk. On retrouve bien sûr le speed hardcore effréné du quatuor et la voix hurlée (Subculture encryptors, Big writer’s block) – moments durant lesquels ils me font penser à ABC Diabolo, un groupe des années 90 totalement oublié et c’est bien dommage car ça déchirait grave. Le groupe sait aussi ralentir le tempo (Growing block’s view), créer des ambiances plus insidieuses, rampantes, où le groove mortel est souvent assuré seul par la batterie – et quelle batterie !-, vu que la formation ne comporte pas de basse. Jusqu’à des ambiances sombres et mornes, où le temps semble suspendu de manière inquiétante : Prioress, avec sa voix pâteuse au flow quasi hip-hop, ou le choeur bluesy sur la fin de Watchwinders. Une veine presque gothique, qui parcourt le disque, fait pendant aux murs du son épais de la guitare de manière étonnamment naturelle et donne une couleur nouvelle à la musique de Coilguns.
Est-ce-que celle-ci atteint ce point d’équilibre un peu magique où la musique d’un groupe se met à ne ressembler à aucune autre et où tu as l’impression tout-à-coup qu’elle ne te parle qu’à toi ? Eh ben, c’est à chacun de se faire une opinion, en écoutant ce disque mais surtout, surtout, en allant voir le groupe en live**. Une expérience incandescente qui n’a pas beaucoup d’équivalent aujourd’hui.
*Comme noté par pas mal de chroniqueurs, hé hé.
**Par exemple, le 2 février sur la plateforme des Eaux-vives dans le cadre du festival genevois Antigel.