Soma skateboard medecine

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Photo Fabien Ponsero

Soma est un magazine de skate fabriqué à Grenoble. Comme tout mag de skate qui se respecte, il est bourré jusqu’à la gueule de photos, particulièrement esthétiques ici, notamment pour les couvertures qui jouent souvent avec des éléments architecturaux. Mais les articles – généralement des récits de vagabondages de skaters en tournée – valent le coup aussi. Une espèce d’écriture morveuse vraiment très marrante à lire, qui sent les bières cheap et un bon esprit de sale gosse monomaniaque n’ayant qu’une idée en tête : skater, skater et encore skater.

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La garantie d’un certain recul sur la vie donc, et sur la société en général. Et un état d’esprit assez proche de celui du fanzine. Plutôt critique de l’évolution toujours plus commerciale du skate avec une interview assez sceptique d’un « agent » de skater pro dans le dernier numéro et une lettre ouverte lasse et bien vue à Christian Dior à propos de l’utilisation du skate dans ses pubs. Et ce dernier numéro contient même une interview de Marie Dabbadie, une skateuse transgenre qui fait un zine (papier !), XEM skaters, dédié au skate queer.

En fait, le seul regret qu’on pourrait avoir, c’est qu’il n’y ait pas plus de pages dédiées à des sujets pas directement reliés au skate. Un peu à l’exemple de Thrasher magazine où certaines pages sont/étaient consacrées à des groupes de musique punk ou affiliés. Le skate a toujours été un réservoir de créativité incroyable, aucun autre sport n’a une relation aussi forte à la musique, à la photo, à l’esthétique. Sans parler des skaters peintres ou écrivains. Défendre une idée du skate autre que strictement commerciale ou sportive, parler du skate dans ce qu’il a d’original et d’unique, c’est aussi parler de ça. Soma en rend compte, mais pourrait le faire encore plus.

Bref, Soma se trouve gratuitement à ABS skateshop à Annecy et c’est, vous l’aurez compris, une lecture de toilettes de grande classe. N’hésitez pas, c’est comme ça qu’ils le vendent.

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http://www.somaskate.com/

Tôle froide, Owun, Lynhood – La Reliure, 18 fév.

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C’est à La Reliure, vieille baraque occupée par des ateliers artistiques à la facade psychédélique tout à fait incroyable, que se déroulait finalement ce concert.

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D’abord les lyonnaises de Tôle froide. Le trio propose une musique entre post-punk (un peu) rageur et pop acidulée. Des (petites) cousines de Massicot, en quelques sortes.

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Avec du chant en français, comme il sied bien à ce style à la fois revendicatif et naïf, leur set était frais et bien dynamique. Et elles avaient de jolies cassettes et patchs sur leur table de distribution.

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Owun sont Grenoblois et ce concert était l’étape genevoise d’une tournée à l’occasion de la sortie de leur album.

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Son massif, rythmiques répétitives, immuables, kaléidoscope d’effets et de réverbérations. La musique du trio est à la fois dansante et hypnotique, énergique et froide, martiale et aérienne.

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Un cocktail bien personnel, qui se mûrit dans le temps et demande de l’attention. D’ailleurs de nombreuses personnes – enfin, proportionnellement à la petite foule présente, hein – se sont assises au fil du set. L’impression d’avoir fait un voyage, transporté hors du temps… C’est donc que cette étrange machine fonctionne.

Lynhood clôturait cette soirée mais je n’ai fait qu’apercevoir ce projet solo qui semble tracer une ligne fragile et originale entre mélodies délicates et des éléments plus bruitistes. Elle aussi a sorti un disque sur le même label grenoblois, Reafforests.

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Taulard/Ultrademon split 10 »

Ce qui frappe d’entrée de jeu sur la face Taulard, c’est le son, qui opère un virage à 180° par rapport aux enregistrements précédents. Alors qu’ils lorgnaient vers un certain minimalisme, un peu lo-fi, mettant en valeur le caractère naïf des paroles de Taulard, il s’est épaissi ici, le synthé et la voix sont un peu plus prises dans le mix où basse et batterie se sont musclés. Taulard ressemble presque à un groupe de punk-rock, tout à coup.

Ca fait bizarre, au début. Mais pourquoi pas ? Et, de toutes façons, la personnalité du groupe traverse cette mue sans encombres. On retrouve les textes personnels où le réalisme peut cotoyer la poésie, comme dans « Sombre et inquiet » – le morceau le plus fort du disque, à mon avis, et qui lui donne son titre. Si « Stressé » nous refait le coup du morceau débordant et frénétique, « T’es susceptible » vibre de ces mélodies simples typiques du groupe, un peu sous influence new-wave, pleines d’allant et néanmoins toujours menacées d’une pesanteur sournoise. Toujours entre légèreté apparente et anxiété déclarée.

De leur côté du disque, Ultradémon proposent deux morceaux, alternant mélodies vénéneuses, grooves surfisants décalés et explosions de démence, qui devraient eux-aussi retenir toute votre attention.

Ce disque est disponible pour 5 euros auprès des groupes : Taulard et Ultrademon.

« Torrents d’amour soniques » (Black Mont-Blanc, Noyades, Satan – Le Poulpe, 6 janv.)

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Trois groupes au Poulpe, c’était presque un mini festival !

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Et trois groupes bruyants, en plus. C’est Black Mont-Blanc qui a ouvert le bal, bien qu’on était un peu trop serrés – mais c’est qu’il y a du monde – pour danser. Black Mont-Blanc, c’est un nouveau groupe – c’était leur premier concert – où, en plus du guitariste chanteur, l’on retrouve deux membres de We are the incredible noise, si je ne me trompe pas. Incredible noise qui répète également au Poulpe. Parce que le Poulpe, en plus d’organiser de bons concerts, sont aussi une pépinière de groupes. S’il-vous-plaît.

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Trio, donc. C’est beau les trios. C’est pur. Surtout quand ça envoie du noise-rock furibard, tendu. Breaks nerveux, cassures, voix qui s’étrangle en arrière-fond du torrent de bruit.

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Quelques morceaux plus planants aussi, où le groupe se laisse aller à des arpèges méditatifs. Belle entrée en matière, pas de doute, et qui donne grandement envie d’en voir et d’en écouter plus. Voilà un groupe qui devrait aller taquiner les Worst in me et autres Tuco de l’autre côté de la frontière.

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Noyades

La salle s’est remplie encore un peu plus, si c’était possible, pour Noyades. Ce trio lyonnais vient de sortir son premier album et enchaine les weekends de concerts dans une tournée en pointillés.

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La musique de Noyades est une sorte de croisement entre noise-rock (grosse basse) et musique psyché (cavalcades effrénées, portes de la perception traversées depuis belle lurette).

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Le tourbillonnement sonique entêtant fait son effet étourdissant, mais mes oreilles formatées au post-hardcore ne peuvent pas s’empêcher d’être génées par le côté très linéaire de cette musique, qui me semble désuet. J’essaye mais j’arrive pas vraiment à m’y faire.

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Satan viennent tout droit de Grenoble et ont asséné un set totalement furieux et totalement jouissif. Rafales de blasts incessantes. Grind-punk bloqué sur l’ultra-violence.

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Le chanteur de ce magnifique groupe portait un tee-shirt de Danzig et, à bien y réfléchir, leur « musique » a un petit côté rock ‘n roll, un petit côté horror-punk. Mais petit.

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All hail Satan !

Pour les adorateurs du malin et les amateurs de bruit vomi que nous sommes, par contre, c’était 100% de bonheur.

Maximum cuvette #3, #4, #5

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Ils sont forts à Grenoble. Ils ont le Moucherotte, les nanotechnologies et même un fanzine. Un vrai en papier, pas un bidule sur internet, photocopié avec de jolies couvertures sérigraphiées.

Ce zine collectif, au nom en forme de private joke (en référence à un fanzine bien plus connu, que je ne ferai pas l’affront de citer mais je laisse quand même trainer un petit lien on ne sait jamais) propose d’une part des interviews et des chroniques (musique, fanzines, livres) et d’autre part des textes plus personnels : récits ou petits essais.

Certains textes ressortent du lot, comme le tour report de Chicken’s call en Asie, qui s’étale sur les #4 et 5. J’adore ce genre d’écriture, à la fois récit du quotidien d’une tournée – jouer, manger, dormir, rouler -, de rencontres éphémères, d’anecdotes souvent drôles mais parfois pas tant (la rencontre avec le groupe de hardcore facho) et d’obervations socio-politiques. Punk writing at its best !

Le #5 contient également un texte excellent sur la sérigraphie. La démarche de l’auteure, qui pratique elle-même la sérigraphie, est vraiment originale : elle  part de questions qu’elle se pose ou de problèmes qu’elle a rencontrés pour  aller à la rencontre d’autres  personnes pratiquant la sérigraphie artisanale. Les discussions abordent des aspects techniques mais aussi des choix artistiques et soulève des questions intéressantes sur le rapport à l’imperfection, au défaut. J’ai trouvé très pertinente le questionnement sur le rapport à la maîtrise de techniques et les motivation de l’apprentissage. Cela fait carrément écho à des choses qu’on entend dans le punk, qu’on est pas obligé de jouer de manière parfaite, académique, qu’un défaut peut produire un effet intéressant, ce genre de choses.

Certains récits/fictions sont vraiment bien tournés et se lisent avec plaisir, comme le texte « Comme un oiseau », avec une bonne dose d’autodérision dans la mise-en-scène de soi ou « Un simple problème de soudure », sur le rapport à la mort.

Les textes théoriques sont plus inégaux. Il y a une défense intéressante du prix libre dans le #3, où l’auteur aurait pu relever que la pratique du chapeau existait bien avant que les punks ne se l’approprient, et différentes reflexions sur le punk aussi. On remarque parfois dans ces textes que la volonté de dépasser les étiquettes, les préjugés, n’empêche pas forcément d’en faire usage dans d’autres contextes, mais bon, je crois que ça fait partie des contradictions du punk.

Les couvertures sérigraphiées sont super et la présence des dessins apporte un bon contrepoint aux textes, même si elle est assez discrète. Bon, je sais pas si la chronique d’un fanzine punk est le lieu de considérations graphiques mais, à mon avis, de ce point de vue, le #5 est le plus réussi et peut-être que ce serait encore mieux en allant vers encore plus de dépouillement. La photo pourrait aussi être davantage présente, apporter une respiration vis-à-vis des textes.

Pour résumer, Maximum cuvette permet de se faire une petite idée des réflexions et des initiatives au sein de la scène punk/DIY/autogérée grenobloise et au-delà. Sur les 5 numéros sortis, les trois derniers sont encore disponibles.  J’en ai pris quelques exemplaires en dépôt, n’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés.

 

Nothing new for trash like you

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Découvert par le semi-hasard d’internet, ce blog/zine grenoblois propose principalement des chroniques de disques ou cassettes. Couvrant la période 2010-2015 – le blog n’est pas officiellement fermé mais le dernier post date de l’année dernière – il donne un chouette aperçu de ce qui est sorti dans la « scène souterraine » durant ces années, avec notamment pas mal de chroniques de groupes locaux (disons, rhône-alpins) – Monstre !, Phyllis Dietrichson, Walden, L’Oiseau mort, Inys, La crève, les Objets meurent, par exemple -, dont certains encore en activité.

L’angle d’attaque est clairement inspiré par la philosophie punk / « Do it yourself » et souvent critique de l’approche rock traditionnelle, où le groupe et sa musique sont d’abord et surtout un spectacle. Les styles de musiques abordés sont quand même très variés, depuis le hip-hop ou le folk jusqu’au black metal, même si on sent un enracinement dans le hardcore/screamo. Avec une chouette sensibilité artistique, qui pousse souvent l’auteur à faire des remarques pertinentes sur l’aspect musical et rendent les chroniques assez captivantes. Qu’est-ce que ça fait du bien de lire quelque chose de différent ! Autre chose que la communication quasi-professionnelle ou commerciale des groupes – elle est où l’alternative ? – ou le torrent d’infos souvent dispensables des sites spécialisés.

Nothing new for trash like you propose également quelques compte-rendus de livres politiques radicaux et des liens vers des médias, collectifs ou publications alternatives. Le blog semble donc un peu en hiatus actuellement mais son auteur est actif dans le zine collectif grenoblois Maximum cuvette – un vrai, en papier -et on peut aussi voir ses supers dessins et travaux graphiques ici.

 

« Chanson française cabossée » (Split Lovataraxx/Archet cassé !)

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Ce split est la première production d’un nouveau label de Grenoble, Four4 recordz, et est disponible uniquement en cassette – ce qui fait que je ne le possède pas physiquement, n’étant pas équipé de ce matériel de pointe. Je suis tombé dessus complètement par hasard, autrement je n’en aurais probablement jamais eu connaissance, comme la plupart des gens d’ailleurs.

Archet cassé !, c’est le projet solo de Josselin, le chanteur de Taulard. Difficile d’éviter les comparaisons avec ce groupe vu que l’air de famille est évident. Même rythmes binaires, mêmes synthés qui donnent envie de siffloter, comme un air de game-boy. A y regarder de plus près, les nappes de synthé sonnent quand même un peu plus molles, plus cotonneuses, les sonorités plus synthétiques. La musique a un peu moins d’allant et l’ambiance générale est plus intimiste, accentuant l’impression de solitude.

Le chant a un peu évolué aussi et se permet quelques effets qui lui donnent davantage l’air d’un « chanteur » mais sans qu’il perde non plus ce côté slammeur paniqué, ces lignes un peu bancales et ces rimes à deux balles, qui faisaient tout le charme de l’album de Taulard. Il a ce truc génial de faire sonner des phrases toutes bêtes – « L’endroit où j’ai grandi / était si p’tit / j’pouvais même pas choisir mes amis » – exactement comme, dans un style différent, certains groupes de rock français que j’aime presque malgré moi, les Wampas ou les Shériffs par exemple.

Mais ce qui est le plus captivant, c’est le contraste entre cette musique légère qui s’écoute et se retient en un clin d’oeil et le propos cru des textes. Anecdote glauque dans « Prof de français », douloureuse dans « Grincements ». On retrouve ce contraste dans pas mal de choses qui sortent en ce moment, sauf qu’ici c’est au-delà du style. Récit sans fard du quotidien, auto-analyse désarmante de sincérité des doutes et souffrances du personnage/chanteur au fil d’une année qu’on suit à travers des morceaux comme « la loose » ou « Année de merde ».

Le métier de prof revient comme un fil conducteur dans les morceaux. L’hésitation face à une voie tracée et la perspective de s’éloigner de la musique, de la création, jusqu’à cette fin hallucinante, « J’irai pas à Versailles », où la voix, citant la réponse froide et bureaucratique de l’institution face à la démission, semble perdre tout élan et se crasher dans la torpeur dépressive.

Version sous anxiolytique de Taulard en quelque sorte, Archet cassé !, c’ est un bijou de chanson française-ragga minimaliste et cabossée.

La face Lovataraxx, elle, est assez étrange. Une tonalité globalement new-wave sombre avec un son qu’on croirait tiré tout droit d’un Joy Division, mais les morceaux sont assez hétérogènes. « Ohrwurm » a des allures de titre de Yann Tiersen qui aurait trop tripé sur la bande à Ian Curtis (phrase cliché de chroniqueur de disques n°523), « Hymnel » lorgne du côté de Cure mais avec des choeurs un peu surf et « Roméo » propose un chant français narquois et répétitif. Cette face se termine sur « Idolon », un morceau qui pourrait être la bande-son d’un film d’horreur antique, quand on disait « film d’épouvante ». Bref, il y a tout un monde.

S’il-te-plait, clique .

 

Split cassette Lovataraxx/Archet cassé !, Four4 recordz, mars 2016.

« Voici le bruit incroyable » (Nevraska, We are the incredible noise – Makhno, 24 nov.)

Plein de monde ce soir-là à la Makhno – le restaurant frais, funky et d’extrême gauche libertaire de l’Usine, pour un concert made in la Yaute avec Nevraska et We are the incredible noise.

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Hé, mais c’est qu’il y a une bonne sono, ici ! Tout à coup, le math/noise-rock des Nevraska prend de l’ampleur. On retrouve un peu de la profondeur du son de leur démo, le jeu de basse bien complet, ses accords sur les cordes aigues en parallèle des cordes basses (Pascal utilise à la fois un ampli guitare et un ampli basse). Pareil pour les parties sur les tomes, qui prennent une autre allure. Le set claque. Clairement le meilleur concert que j’ai vu d’eux. Ils auront même droit à un petit rappel.

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Nevraska, c’est des mélodies sur le fil travaillées par des triturations noise, sur fond de rythmes  trépidants. Je pensais à No Means No en les regardant (allons-y pour  les références), pour leur capacité à mettre leur technique au service d’une musique finalement assez lisible.

J’espère qu’ils garderont ce côté abrasif, en tous cas… Ils devraient enregistrer leur album en mars prochain.

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J’ai fait une vidéo d’un des morceaux et j’étais bien content que ça tombe sur Nebula (https://www.youtube.com/watch?v=P_Kf4uFcwW4). J’aimerais bien faire ça régulièrement, pour des groupes ou des artistes locaux… Le son est assez pourri, par contre, reportez-vous à leur bandcamp pour une expérience d’écoute plus confortable…

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J’ai pas trop eu le le temps d’assister au set de We are the incredible noise (qui ont un nom qui claque, faut bien l’avouer). Chanteur très démonstratif et changements de styles abrupts, qui rappellent un peu certains groupes de Mike Patton (toutes proportions gardées, hein). Un style où t’as plutôt intérêt à être trés bon…

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J’ai également fait une vidéo d’un morceau – assez rock/stoner, j’ai trouvé -, visible ici : https://youtu.be/pPX2EYHjXLk.

Sur le retour, je suis témoin d’une fouille au corps, plus loin une avenue est barrée par des voitures de flics… ambiance état d’urgence… qui aurait clairement pu être un autre titre pour cette petite chronique de rien du tout.

 

 

Interview : « Jean-Christophe Rabiller, Minimum trip »

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Jean-Christophe est un drôle de gars et j’aime bien les drôles de gars. Il vît assez simplement à Grenoble, où je l’ai rencontré en faisant du ski de rando, et a la particularité de passer une partie non négligeable de l’année de l’autre côté de la terre, lors d’expéditions en kayak gonflable bricolé avec un budget minimal. Il écrit, photographie et filme ces voyages et il a également pratiqué la peinture. Et ici, il répond donc à mes questions, plus ou moins.

Pourrais-tu nous faire l’historique de tes expéditions ?

Ca a commencé par un gros but ! J’avais en tête de faire le tour de l’atoll de Rangiroa en Polynésie française et je me suis aperçu, sur place, que mon matos était pas au point, je me suis blessé et, donc, je n’ai pas fait le tour de l’atoll. Mais je suis revenu un ou deux ans plus tard et ça a été ma première expédition : le tour de l’atoll de Rangiroa sur un kayak gonflable.

J’ai mis un peu moins de trois semaines, dans des conditions extraordinaires. Seul avec le sable blancs, les cocotiers, les îles – y’a à peu près deux cents îles autour d’un lagon, pratiquement inhabitées – l’eau turquoise, les oiseaux. J’arrivais sur des îles totalement improbables encore plus belles que les plus belles cartes postales du coin. C’était il y a sept ou huit ans, je n’arrive plus trop à me rappeler.

C’était avec un kayak que je n’avais pas construit moi-même. Petit à petit, dans les expéditions qui ont suivi, j’ai mis au point un kayak.

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La deuxième expédition que j’ai faite, c’était à Madagascar, avec un kayak gonflable que j’ai construit moi-même, mais à partir d’une housse préexistante dans laquelle j’ai mis quatre boudins gonflables indépendants. C’est pour une question de sécurité – comme ça si dans une traversée, tu as un boudin qui se dégonfle, il en reste trois. D’ailleurs, j’ai eu ce problème aux Fidji, à cause d’une valve défectueuse que je n’avais pas faite moi-même.

L’expédition d’après, c’était aux Fidji et là j’ai fait la totalité du kayak. Sauf les valves et du coup j’ai eu un souci de valve sur place !

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Iles Salomon, 2014.

Donc tu n’utilises maintenant que du matériel que tu as fabriqué toi-même ?

Ouais. Alors, le kayak, je l’ai fabriqué avec du pvc et de la colle pvc. J’ai fabriqué la tente, aussi. Et puis tout un tas de petit matos. Par exemple, le sac étanche que je mets à l’arrière du kayak, et dans lequel je range le kayak quand je prends l’avion. Tout ça pour avoir du matériel léger, solide et efficace.

En fait, on s’aperçoit que, dans le commerce, le plupart des choses qui sont vendues sont axées sur le design – c’est dans l’air du temps, les constructeurs refont le monde chaque année pour faire marcher le business. Mais très souvent, c’est mal conçu, pas solide, avec des défauts qui sont inconcevables. Par exemple, leurs sacs étanches – sacs étanches qui servent aussi de sacs à dos – sont de couleur noire. Sous un cagnard énorme, il va faire 80°C dans le sac, donc tout est bousillé. Donc, il faut avoir des sacs blancs. Mais pour trouver des sacs blancs, étanches, avec des fermetures costauds, c’est galère.

Decathlon, à un moment, avait fait une tente de trek noire. C’est terrible, quand il pleut et qu’on doit rester dans la tente, on ne voit rien ! Et le moindre rayon de soleil chauffe beaucoup trop !

C’est donc extrêmement important d’être bricoleur pour pouvoir faire son matos soi-même. J’y passe des heures. Sur le kayak, j’ai encore passé une cinquantaine d’heures à modifier sa forme pour le rendre plus hydrodynamique.

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Quelque part aux Fidjis.

Tu as fait une expédition que tu as appelée « Expédition 6 kilos »…

C’était Madagascar. C’était le poids du kayak et la totalité du matériel faisait 20 kilos, sans les affaires de chasse sous-marine. Mais maintenant je pars très souvent avec les affaires de chasse sous-marine et, en tout, j’ai 25 kilos. L’avantage, c’est que je ne suis dépendant de personne. J’arrive, je gonfle mon kayak et je pars.

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Quels sont tes objectifs quand tu pars en voyage ?

Je ne sais même pas si j’ai d’explications. J’aime beaucoup la mer. Je trouve extraordinaire de se retrouver tout seul dans des endroits aussi beaux et déserts. C’est un peu un recentrage sur soi-même. Le fait de se retrouver tout seul, ça coupe un peu avec la vie que j’ai à Grenoble. Et ça me permet d’avoir la mer en été et la montagne en hiver !

Ca permet d’être libre, de faire ses propres choix sans que ce soit imposé par quoi que ce soit, si ce n’est les conditions climatiques ou la nature. Sinon, il n’y a personne pour nous dire ce qu’il faut faire, où dormir.

Les rencontres avec les gens sont importantes quand même. Dans mes voyages, j’ai largement le temps d’être tout seul et de rencontrer des gens. Quand je suis dans des coins où il y a de quoi chasser, je m’arrête dans des villages et je ramène mon poisson pour les gens. Et du coup je mange avec eux et il y a un bon échange et parfois on tombe sur des gens qui sont très très contents de vous avoir – pas forcément que pour le poisson, hein (rires) ! Je pense par exemple à une semaine que j’ai passée dans les îles Salomon, dans un lieu totalement paumé où habite une famille, une douzaine de personnes peut-être, le mari travaillait dans un des seuls resort à touristes du coin. Chaque jour, je leur ramenais 15 voire 20 kilos de poisson, on le mangeait ensemble, ils pouvaient le revendre éventuellement quand il y en avait trop. C’était vraiment un très bon deal. Ils m’ont trouvé une terrasse couverte pour mettre ma tente et on a passé une semaine très agréable à partager.

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Les gens sont-ils intrigués par ce que tu fais ? Est-ce quelque chose dont ils te parlent ?

J’ai du avoir ces discussions-là mais je n’arrive pas à m’en rappeler. C’est rare. Je pense que pour eux, ça doit être assez naturel de venir dans des endroits comme ça. Il sont en pleine nature, ils sont heureux, je crois. Après, je choisis bien mes îles aussi ! (rires)

Suite de l’historique ?

Juste avant Madagascar, il y a eu les Fidji avec le kayak que j’avais construit à partir d’une housse préexistante et je me suis pris un but aux Fidji. J’avais fait une grosse erreur sur les boudins. J’ai fini mon kayak une semaine avant de partir, j’ai pas pu le tester. Je suis arrivé sur place, j’ai fait un kilomètre en kayak et je me suis aperçu qu’il était totalement instable et que je ne pouvais pas faire mon expédition. Je suis resté 35 jours sur la même plage sur une île assez paumée. J’étais à 1 km d’un resort à touristes mais l’endroit était quand même paradisiaque, hein ! Heureusement, j’avais mon matos de chasse sous-marine et j’allais porter mon poisson au staff du resort et en échange ils me filaient des trucs, genre Coca-cola, pizzas, du chocolat… et sinon, je mangeais du poisson et des noix de cocos. Ca, c’était au mois de juillet, après je suis rentré en France. J’ai mis au point mon kayak et c’est le même été que je suis parti à Madagascar faire l’expédition 6 kilos, qui a très bien marché.

fidji machette détouréeAprès, je suis retourné aux Fidjis, pour me venger, avec un kayak entièrement construit. Une expédition superbe pendant un mois. Puis, je suis retourné à Madgascar, un peu sur les traces de ma première expédition mais pas tout à fait pareil. Ensuite, j’ai refait les Fidjis, une troisième fois, et après j’ai fait les îles Salomon, cet été.

Quels sont les dangers dans tes voyages ?

Aux îles Salomon, j’ai su après avoir pris mon billet d’avion qu’il y avait des des crocodiles ! Il a fallu gérer les crocodiles ! Je me suis renseigné sur les zones dangereuses où il ne fallait pas aller, ou au moins où je pouvais traverser mais pas descendre du kayak… Les requins, c’est pas un danger. Par contre, quand je chasse, il y en a à tous les coins de rue et, de temps en temps, il faut leur taper sur le museau pour pas qu’ils ne s’approchent trop près. C’est comme s’il y avait des chiens qui te tournaient un peu autour. De toutes façons, à partir du moment où tu mets ton poisson sur le kayak et pas à la ceinture, il y a assez peu de risque.

Tu voyages seul, le partage ne te manque-t-il pas ?

Eh bien, non. Parce que j’ai besoin de ces moments-là. Par contre, j’ai un retour gràce aux compte-rendus et films que je fais. Quand je fais un reportage sur place, je sais que ça va être vu après et donc partagé. Ce serait quand même frustrant si il n’y avait pas un partage après.

D’où te vient l’inspiration pour faire ces expéditions aussi lointaines ?

Le but, c’est se retrouver dans un endroit isolé. Je suis obligé d’aller de l’autre côté de la terre pour trouver des conditions agréables pour naviguer. Pendant l’été français, il faut aller dans l’hémisphère sud. Si j’allais dans l’hémisphère nord, il y aurait des risques cycloniques et il fait très chaud, il pleut. C’est très désagréable. Je vais d’ailleurs aller dans les Bahamas. Pour la première fois dans l’hémisphère nord. En plus, il n’y a pas de cocotiers. L’ombre va être difficile à trouver. On va voir comment ça se gère… Ca se gèrera de toutes façons…

Les noix de cocos, c’est vraiment un truc basique dans mes voyages. En gros, les trois-quarts de ce que je bois, c’est des cocos verts (Noix de cocos qu’il faut décrocher de l’arbre et qui contiennent le plus de jus). C’est aussi la nourriture que je mange le midi. En Polynésie française, des cocoteraies, il y en a partout. Ca permet d’emporter moins d’eau, moins de nourriture. Donc, aux Bahamas, ça va être compliqué. Non seulement, il y aura moins de cocotiers mais il y aura moins de magasins ! (rires)

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Tu montes en haut des cocotiers ?

Non, j’ai juste un crochet que j’accroche avec de la chambre à air sur un bout de bois que je trouve sur place et coupe à la machette. Sans machette, dans ces pays-là, on n’est rien !

As-tu connaissance de personnes qui font des expéditions similaires en kayak gonflable ?

Non. D’ailleurs, le kayak, si je l’ai fabriqué, c’est qu’il n’existait pas, a priori. Je n’ai jamais vu personne partir en solo sur un kayak gonflable. J’ai cherché sur internet : il y a des gens qui ont fait des choses sur des kayaks gonflables mais plus gros, plus lourds et pas en solo. D’ailleurs, je n’ai jamais croisé de kayakiste en solo quand j’y étais. Je croise parfois des voyages organisés qui sont en kayaks.

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Quelles sont les caractéristiques de ton kayak par rapport à ceux que tu peux trouver dans le commerce ?

Le poids, surtout. Le modèle que j’ai fabriqué entièrement fait 7 kilos. Et les quatre boudins pour la sécurité. Et puis, il est vraiment extrêmement résistant. Je n’ai jamais percé un boudin. Les bâches de camion PVC, c’est vraiment solide. Même sur du corail, faudrait y aller…

Donc : poids, sécurité, solidité. Le modèle que j’ai fabriqué entièrement fait 7 kilos. Je mets au défi quiconque de trouver l’équivalent dans le commerce. Ca serait d’ailleurs peut-être intéressant de produire ça, il y aurait peut-être des gens prêts à investir. Ce qui est extraordinaire, c’est que je peux aller partout. Porter le kayak, c’est vraiment pas un problème. Dès que je débarque quelque part, tout est simple. Pas besoin de s’échiner à tirer un kayak lourd. Si il y a besoin, je peux même traverser à pied des endroits. Je pense notamment que ce sera utile dans des endroits comme les lacs au Canada.

As-tu connu des moments difficiles dans tes expéditions ?

Il y a des moments qui ne sont pas évidents. Le premier, le deuxième jour, il faut se faire violence. Il faut complètement changer de repères par rapport à la vie qu’on a d’habitude. Quand je suis arrivé aux îles Salomon, il flottait, il faisait humide, super chaud, avec des moustiques. Je découvrais qu’il n’y avait pas de plage, que de la mangrove. C’était le bordel pour débarquer. Et je comprenais que ça n’allait pas être simple. Mais bon, au bout de deux ou trois jours, on prend ses repères. Différents de la vie de patachon qu’on mène ici. Même quand tu fais de la montagne, le soir, tu rentres chez toi. Quand tu vis trente-trois jours sur un lagon, c’est différent. Mais après, une fois que c’est lancé, c’est le paradis.

Tes voyages sont complètement autofinancés ?

Oui. Je ne cherche pas à avoir de sponsor, parce qu’après tu es redevable de quelque chose. Il n’y a que le billet d’avion qui me coûte quelque chose. Sur place, je ne dépense pratiquement rien. Le matériel ne me coûte pas grand-chose puisque je fabrique moi-même. C’est surtout du temps. J’ai un budget zéro !

salomon photo famille

Iles Salomon, 2014.

Est-ce que tu travailles ici juste pour partir ?

Ben, je vis pas pour travailler, ça c’est sûr ! Mais je ne déteste pas du tout ce que je fais. (Jean-Christophe donne des cours particuliers de Maths-Physique) Aujourd’hui j’ai une telle liberté que je ne pourrais plus être dans un cadre avec une hiérarchie, des horaires imposés.

Même si je travaille assez peu, je travaille. J’ai une vie normale, je ne suis pas marginal mais j’ai complètement quitté la société de consommation. Je ne pouvais pas être dans la société comme tout le monde, ça c’est sûr, et je crois que j’ai réussi à trouver un équilibre par rapport à la vie que je recherchais. Après, ça peut changer. Peut-être qu’un jour, il y aura un départ définitif…ou au moins vivre isolé, trouver un atelier pour reprendre la peinture…

Après, il y a tout le côté après voyage qui est de monter les films. Ils sont à cheval entre la recherche artistique et le compte-rendu d’expédition.

afro détouré

Est-ce que tu pourrais définir ton approche esthétique ?

Ce que je recherche, c’est à me faire plaisir dans une aventure. Les films je les vois comme une sorte d’oeuvre, quelque chose que j’ai besoin de faire. Tout comme dans la peinture, j’avais besoin de montrer certaines choses que j’avais dans la tête… Je veux que ce soit le contenu qui fasse mon film, la nature, sa beauté, les rencontres avec les gens… Il y a quand même une sorte de militantisme pour montrer aux gens qu’il y a autre chose que la société de consommation, que de se faire manipuler par les grands groupes, par la publicité. Qu’on peut faire autre chose de sa vie. Quand les gens sont dans la société de consommation, ils ne peuvent pas être heureux, c’est pas possible. Au bout d’un moment, ils sont frustrés, ils font chier les autres et ça profite à personne. Donc, il y a l’envie de montrer qu’il existe une autre réalité. Ou plutôt, qu’il existe une seule réalité et qu’elle est occultée par les conneries qu’on veut nous faire avaler. Je dirais que chez beaucoup d’artistes, il y a un recul par rapport à la société parce que, par définition, ce sont des gens qui ne voudront jamais être dans le moule.

Etre artiste, c’est uniquement une réaction à la société ?

Même s’il ne faut pas généraliser, il y a une réaction, je pense, chez beaucoup d’artistes. Ou, en tous cas, un besoin de ne pas être dans les clous… Un besoin plus prononcé que chez d’autres, d’aller dans des chemins de traverse…

Ca a l’air d’être assez important pour toi, qui te surnomme « artiste autoproclamé »…

J’ai toujours critiqué l’art contemporain officiel, c’est-à-dire quelque chose qui nous dicte ce qu’on doit penser et faire et j’ai toujours milité pour essayer de dénoncer cet état de fait, un peu comme je dénonce la société de consommation. Et un jour je me suis fait traité d’ « artiste autoproclamé ». Je me suis dit « Ben ouais… C’est exactement ce que je suis. » Et la phrase est restée…

fidji chouette photo canoé

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Sitographie

http://jcrabiller.free.fr/

PS

Jean-Christophe vient de sortir un album d’électro – sous son pseudo « Karderouge »-  qui s’appelle « Presshertz » et qu’il a fait tout seul avec ses petites mains et son petit ordinateur. C’est assez fou et ça s’écoute ici : https://www.youtube.com/watch?v=uO8qYrvRNk8 en plus de s’acheter sur certains sites spécialisés bien connus.