Cyclamen (Urgence disks – 28 octobre)

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De passage à Genève sur la fin d’une tournée européenne, le trio du Mans Cyclamen jouait à Urgence disks, cette antre géniale où passe à peu près tout ce qui touche, gratte ou cogne sur des cordes ou des peaux.

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Difficile de pas penser à Amanda Woodward en les écoutant – et à la façon dont ce groupe a marqué le hardcore, en France et ailleurs – cet émo qui rocke, ces changements abrupts, cette façon de gueuler ou de parler et jusqu’à certains effets, certaines évocations dub, sur la guitare.

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Le groupe apporte aussi sa dose de chaos et de folie personnelle. Et des idées originales, comme le banjo sur Les turpitudes, extrait de leur dernier EP.

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Phyllis Dietrichson est putain mort

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Phyllis Dietrichson est putain mort, il y a 3 ans ou quelque chose comme ça. Formé sur les cendres de The June Ampera, du désir de faire cette putain de musique qui te brûle de l’intérieur. Un EP sorti en 2011 et un deuxième disque en split avec les américains de Dérive en 2013. Un petit tour à l’est, à l’arrache, puis un projet de deuxième, avorté.

Puis, plus rien.

Consumé.

Phyllis Dietrichson is about our hearts, our loneliness and the conviction that we have to fight again and again even if there’s no hope to win.
We are The Losers.

Depuis, un membre est parti et fait un groupe de bruit, un autre bidouille de l’électrique et boit des cafés et Ben officie dans Nurse, dont on devrait entendre parler dans un futur plus ou moins proche.

https://phyllisdietrichson.bandcamp.com/

« Usine intime » (Zerö, Mike Watt & Il Sogno del Marinaio – Usine, 12 octobre)

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L’Usine en mode café-cabaret feutré, si, si, c’est possible. Peu d’affluence ce mercredi soir, malgré les grands noms à l’affiche.

dscn2511Les lumières de Zérö étaient intégralement rouges, sûrement pour rappeler la pochette de leur dernier disque. De Bästard, leur ancien groupe (dont ils joueront d’ailleurs un titre), je me rappelle une musique balladeuse, capable d’emprunter à presque tout, de l’ambiant au noise, au cabaret, aux musiques traditionnelles…

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Zérö a aussi cette dimension touche-à-tout, cinématographique. Musique tendue, brumeuse. Parfois un peu insaisissable, à l’image des visages évanouis de leur pochette encore une fois. Mais aussi traversée de montées de tension stridentes…

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Après les ombres mouvantes de Zérö, le punk-rock expérimental et malicieux de Mike Watt, acoquiné avec le duo italien Il Sogno del Marionaio.

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Avec toujours ce style inimitable – quelque part entre rock minimaliste et progressif, si vous avez du mal à imaginer, vous n’avez qu’à écouter –  et cette voix reconnaissable entre mille, Mike Watt continue de tracer son bonhomme de chemin. L’ex-Minutemen (pères de tous les punks de traviole de la terre) et bassiste des Stooges* a toujours la patate pour venir jouer dans des endroits sombres et enfumés. L’Usine cette année, Bellecombe-en-Bauges en 2014. A plus de 60 ans, avec son inamovible chemise à carreaux, il est la preuve vivante que le punk-rock, ça peut être autre chose qu’une musique formatée. Il me fait penser à un monde où on oublierait pas qu’on a été un gosse, où on oublierait pas qu’on peut être passionné, que ça peut être beau de créer, envers et contre tout.

Hey, c’est pas un peu la classe, ça ?

*Après Steve MacKay au Poulpe (avec Bunktilt), en 2014 ou quelque chose comme ça, c’est le 2e Stooges que je vois en concert dans le coin ! Hé hé ! A quand Iggy pop à Urgence disks?

Nevraska, sous haute tension

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Grave romance (Gabu asso, Urgence records, En veux-tu? En v’là !)

Les choses dans l’ordre. Après une première démo déjà bien aguichante, le duo basse/batterie annecien Nevraska a poncé, poli ses morceaux lors de tournées à répétition et sur le moindre bout de scène locale qui lui est tombée sous la main. Jusqu’à les graver, tout beaux, tout chauds, sur les sillons d’un vinyle, produit par le groupe et une poignée de petits labels indépendants.

10 titres qui font bloc, trempés dans le même bouillon d’un noise-rock émotionnel et urgent. Enregistrés au Rec studio de Serge Morattel, garant d’un son ferrailleux et d’une ampleur titanesque. Riffs sous haute tension, qui tournoient et se chargent d’électrons jusqu’à l’implosion. Mathy noise-rock, comme disent les américains. Ou noisy math-rock. Dans les parages sombres et haletants de Doppler. Pour situer.

Mais Nevraska, c’est bien plus qu’une simple histoire d’étiquette ou d’influences. Comme il le dit lui-même, le duo ne ferme la porte à aucune source d’inspiration. L’ouverture de l’album, Dux Bellorum, rappelle que les deux musiciens officiaient plutôt dans des combos post-hardcore. Malta s’autorise un groove presque fusion et le break d’Alkaline pourrait rappeler une ligne d’électro, avant qu’il ne s’enflamme dans un gros riff noise – quelle classe, ce genre de morceau, où un groupe sait habilement fondre un riff typé dans sa musique, qui fait son effet presque à l’insu de l’auditeur. Le duo distille les ambiances, appuyé par des samples assez présents sans pour autant être envahissants, jouant parfois le rôle du chant (magnifique Liru) ou osant des contrastes qui rappellent les expérimentations de Human side, le groupe précédent de Pascal. Nemesis et ses choeurs. Les petites notes désolées de Tomoe Gozen, posées délicatement sur une succession de riffs survoltés… Une musique mature, qui ne joue dans aucune chapelle. Et c’est bien dommage, ça aurait de la gueule.

Impossible ici de regretter l’absence d’une quelconque six-cordes – mais qui oserait ? Les deux instruments mènent un dialogue serré. Basse qui fait feu de tout bois, maniant autant le riff frontal et compact, le coup de butoir que les tensions mélodiques, lorsque ce ne sont pas les variations d’une batterie particulièrement inspirée qui prennent le dessus. Le duo s’autorise à peine à ralentir le rythme sur Kollapse, qui, curieusement, est un des morceaux les plus marquants, sur l’album comme en concert. Trois petites notes tristounettes prenant peu à peu de la vigueur, jusqu’à vibrer d’énergie et même – mais oui, mais oui – de joie, puis disparaissant sur une descente de piano, fondu au noir de grande classe pour un morceau atypique et attachant.

Enveloppés dans une pochette au premier abord un peu froide, mais finalement cohérente avec l’esthétique sobre, toute en clair-obscurs, que le groupe s’est choisie, ce premier album est donc bourré jusqu’à la gueule de morceaux qui respirent l’expérience mais aussi la fraîcheur des premières fois. Pas mal pour un groupe qui avait commencé comme une ultime tentative de deux « ex » un peu désabusés. Sacré coup, même.

https://nevraska.bandcamp.com/

« Le futur dure longtemps » (Dinky Dwale, Catalgine, Les Cancres, Fisted by a priest – Café Chateau-rouge)

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Organisé par la fine équipe des studios de Chateau-rouge, cette soirée sur le thème « No future? » réunissait une affiche bien variée…

Dinky Dwale a ouvert le bal… Duo folk-punk taillé pour ce genre de scène entre le concert et le café, avec un chouette contraste entre la guitare accoustique, la voix féminine et les accents plus rugueux du second guitariste.

group-e-4Ce fût ensuite notre tour. On (Catalgine) a essayé de proposer quelque chose d’assez personnel, en partie parce qu’on trouvait pas très punk de se limiter à faire des reprises fidèles de « standards punks »…

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Au final, c’était quand même assez fidèle. A part la reprise libre de « Punk is dead » de Crass qui n’avait pas grand chose à voir avec l’original.

DSCN2410.JPGC’était un bon moment, en tous cas. On s’est demandé si les gens connaissait encore Joy division, au vu des réactions…

Pris par les conversations d’après concert, je n’ai pas réellement écouté le set des  Cancres. Une musique aux accents carrément trad, avec un chanteur bien jeté, à ce qu’on m’a dit. Ils ont fait une reprise de « Bankrobber » des Clash. Une sacrément bonne idée, ces reprises trad de morceaux punks. Je pense que le concept aurait pu être poussé encore plus loin, d’ailleurs.

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Vu que, dans le punk, il faut à peu près 20 ans d’activité pour se voir qualifier (ou s’auto-qualifier dans certains cas) de « légende », cela fait de Fisted by a priest  une semi-légende annemassienne.

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Fisted by a priest, père fouettard du punk-rock

Au vu du show explosif et joyeux du punk cover-band, ça parait pas usurpé. Black flag, Ramones, Bad Brains, Turbo negro – les tubes punks s’enchainent. On boude pas son plaisir, constamment en train de se dire « Ah ouais attends, je la connais celle-là ». On lève le poing, on beugle les choeurs et Trasho de Grilled flesh party aura  même droit à un slam jusqu’à l’extérieur de Chateau-rouge.

DSCN2477.JPGLe groupe a clairement une préférence pour les tout débuts du punk-hardcore – en fait, je connaissais même pas le morceau antique de Bad Brains qu’ils ont joué (Regulator). Et surtout, à écouter leurs versions de « New rose » ou de « California über alles », on se dit quand même que ce sont des putains de bons morceaux.

Merci donc à eux de faire vivre le patrimoine !

« Riot garage à l’étage » (What the fuck?, Thee Sweeders, The Sloks – La Spirale, 17 septembre)

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On continue la découverte des lieux alternatifs d’Annecy. Parfois, je me fais l’impression de faire le (fuck da) touriste de la scène annecienne, mais bon, comme les gens sont sympas et qu’ils me parlent, ça va.

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Située dans les replis d’un parking souterrain, La Spirale c’est une petite salle qui permet à une poignée de groupes de répéter et, à l’occasion, d’organiser des concerts, moyennant âpre négociation avec les voisins.

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What the fuck? est un trio batterie et deux guitares, il y a pas de basse mais, eh, mec ! On s’en fout, on joue du garage ! On pourrait taper sur des bidons, en fait. Bref, après quelques titres de chauffe, leur set s’électrise et c’est parti. Donne-moi du riff  jurassique. Donne-moi du tatapoum épileptique.

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Le batteur-chanteur a une voix de redneck morveux, tandis que celle d’Olive à la guitare est plus hargneuse. What the fuck? défendent fièrement les couleurs du wild garage rock’n roll, avec un son plutôt puissant et granuleux.

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C’était le premier concert de Thee Sweeders, un groupe où on retrouvait Olive de What the fuck? (mais dans combien de groupes ce type joue-t-il ?), visiblement tout excité d’étrenner ici son orgue sur scène.

sweeders 2.JPGThee Sweeders oeuvre également dans une veine rock’n roll, mais avec moins de gras sur la couenne que WTF ?, je dirais. Compos ciselées, chant aux mélodies tendues, rythmiques métronimiques. Une science de l’écriture classe… Ca donne envie d’en écouter plus.

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The Sloks viennent de pas très loin, de Turin, et le trio propose une version encore plus squelettique de l’orchestre – batterie, guitare, voix. Mais c’est ce groupe minimaliste qui offre clairement la version la plus tarée du rock garage ce soir.

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Si les riffs sont typés, le groupe envoie tournoyer sa musique loin, loin, loin de la rengaine couplet-refrain-couplet -pont-refrain. Un peu de la même manière que leurs compatriotes siciliens des Spritz, j’ai trouvé, bien que ceux-ci aient même pas de chant et que probablement ce soit assez différent. La chanteuse aux yeux exorbités débite de longues exhortations, où l’on sent qu’il n’est pas question de sujets jolis-jolis. Râle. Viande saignante encore chaude. Nerfs en spasmes.

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Toute à beugler ses histoires de souffrance, elle semble parfois se foutre royalement de ce que jouent ses compères, et toute la musique du groupe fonctionne sur ce décalage hypnotisant. Oublie le rock. Oublie le garage. Oublie tes étiquettes. Je sais pas ce que c’est. Je sais pas si c’est de l’art. De la thérapie pour cas ruinés ou quoi que ce soit, la seule chose que je peux te dire, c’est que c’est vivant. Et que c’est bon.

Bref…  Y se passe des trucs bizarres dans les parkings souterrains d’Annecy la nuit, moi je vous l’ dis…

Devriez faire gaffe….

PS Merci Cédric pour le disque.

Lilith (Festival Dehors, 20 août)

DSCN2211.JPGLilith au festival Dehors, à Portes-lès-Valence… Un festival qui pratique une forme d’autogestion puisque les membres des compagnies assurent aussi l’accueil ou le service. Ca doit être fatigant mais assure aussi une ambiance très conviviale et des rencontres intéressantes pour le public.

Lilith, c’est un long poême de Joumana Haddad, dans lequel elle donne la parole à ce mythe déviant de la première femme, celle qui n’aurait pas voulu se soumettre et aurait préféré fuir le paradis plutôt que d’obéir à la loi patriarcale de Dieu et d’Adam.

Ici le poême est joué/incarné par une comédienne – Géraldine Doat. L’expression « engagement total » m’est venu plusieurs fois à l’esprit (les habitués des concerts punk pourraient y retrouver quelque chose). Son corps presque nu enduit de terre est agissant mais aussi élément d’un décor (accessoires minimalistes : un tas de terre, un arbre mort, quelques pots, un rideau transparent), d’une histoire aux dimensions myhiques. Dans le flux de cette longue performance entre danse et monologue déclamé, ce corps est tour à tour violent ou jouissant, menaçant ou fragile, séduisant ou horrible, et donne à voir  les différentes dimensions du personnage. Grandiose et sauvage, ou plus philosophique, ou enfin presque banale, humaine.

Lilith, c’est un spectacle des Fées rosses, une  compagnie grenobloise qui a l’ambition de porter – notamment par l’outil du théâtre de l’opprimé mais pas seulement – des thématiques politiques, au-delà des cercles féministes ou libertaires.

 

Les Fées rosses

Festival Dehors

Maximum cuvette #3, #4, #5

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Ils sont forts à Grenoble. Ils ont le Moucherotte, les nanotechnologies et même un fanzine. Un vrai en papier, pas un bidule sur internet, photocopié avec de jolies couvertures sérigraphiées.

Ce zine collectif, au nom en forme de private joke (en référence à un fanzine bien plus connu, que je ne ferai pas l’affront de citer mais je laisse quand même trainer un petit lien on ne sait jamais) propose d’une part des interviews et des chroniques (musique, fanzines, livres) et d’autre part des textes plus personnels : récits ou petits essais.

Certains textes ressortent du lot, comme le tour report de Chicken’s call en Asie, qui s’étale sur les #4 et 5. J’adore ce genre d’écriture, à la fois récit du quotidien d’une tournée – jouer, manger, dormir, rouler -, de rencontres éphémères, d’anecdotes souvent drôles mais parfois pas tant (la rencontre avec le groupe de hardcore facho) et d’obervations socio-politiques. Punk writing at its best !

Le #5 contient également un texte excellent sur la sérigraphie. La démarche de l’auteure, qui pratique elle-même la sérigraphie, est vraiment originale : elle  part de questions qu’elle se pose ou de problèmes qu’elle a rencontrés pour  aller à la rencontre d’autres  personnes pratiquant la sérigraphie artisanale. Les discussions abordent des aspects techniques mais aussi des choix artistiques et soulève des questions intéressantes sur le rapport à l’imperfection, au défaut. J’ai trouvé très pertinente le questionnement sur le rapport à la maîtrise de techniques et les motivation de l’apprentissage. Cela fait carrément écho à des choses qu’on entend dans le punk, qu’on est pas obligé de jouer de manière parfaite, académique, qu’un défaut peut produire un effet intéressant, ce genre de choses.

Certains récits/fictions sont vraiment bien tournés et se lisent avec plaisir, comme le texte « Comme un oiseau », avec une bonne dose d’autodérision dans la mise-en-scène de soi ou « Un simple problème de soudure », sur le rapport à la mort.

Les textes théoriques sont plus inégaux. Il y a une défense intéressante du prix libre dans le #3, où l’auteur aurait pu relever que la pratique du chapeau existait bien avant que les punks ne se l’approprient, et différentes reflexions sur le punk aussi. On remarque parfois dans ces textes que la volonté de dépasser les étiquettes, les préjugés, n’empêche pas forcément d’en faire usage dans d’autres contextes, mais bon, je crois que ça fait partie des contradictions du punk.

Les couvertures sérigraphiées sont super et la présence des dessins apporte un bon contrepoint aux textes, même si elle est assez discrète. Bon, je sais pas si la chronique d’un fanzine punk est le lieu de considérations graphiques mais, à mon avis, de ce point de vue, le #5 est le plus réussi et peut-être que ce serait encore mieux en allant vers encore plus de dépouillement. La photo pourrait aussi être davantage présente, apporter une respiration vis-à-vis des textes.

Pour résumer, Maximum cuvette permet de se faire une petite idée des réflexions et des initiatives au sein de la scène punk/DIY/autogérée grenobloise et au-delà. Sur les 5 numéros sortis, les trois derniers sont encore disponibles.  J’en ai pris quelques exemplaires en dépôt, n’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés.

 

« Jour de Koller » (une conversation avec Lou Koller de Sick of it all)

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Comme son groupe, qui joue avec la même ferveur devant des milliers de personnes ou pour quelques fans regroupés dans une salle, Lou Koller, chanteur-hurleur de Sick of it all, ne fait pas de différence entre les questions d’un petit fanzine ou celles d’une grosse télé. Même simplicité, même franchise. Même entrain pour faire connaître et défendre la musique et la scène de New-York. L’occasion était donc trop belle, lors leur passage à Annecy pour la tournée anniversaire des 30 ans de SOIA, de causer un peu avec ce morceau d’histoire du New-York hardcore.

Cette interview est dédicacée à Wladi et à Megablast Limoges.

Quelle est votre relation au sport ? Les groupes de New-York hardcore sont connus pour être plutôt costauds….

Exact, tout le monde est très athlétique ! Mais je suis le plus fainéant de toute cette scène ! Dans le groupe, mon frère Pete, c’est du non-stop. En tournée ou hors-tournée, il s’entraîne sans arrêt ! Greg s’entraîne aussi mais, quand on est sur la route, Pete est le seul à faire des exercices tous les jours. Moi je déteste ça, c’est trop chiant ! Mais bon, j’ai la chance d’avoir toujours été mince. Le seul truc dont j’ai besoin, c’est l’endurance. A chaque fois, quelques semaines avant de partir en tournée, c’est du genre : Eh merde, on repart en tournée, faut que je fasse quelque chose ! Et je me mets à courir et à faire des exercices. Juste un peu, je devrais en faire plus mais j’ai un petite fille de 6 ans et ça me fait bien déjà courir. Par beau temps, on est toujours dehors et même en hiver on sort jouer dans la neige, dans la boue, peu importe !

D’où est-ce que ça vient, cette prééminence du sport et de l’entraînement, dans la scène hardcore new-yorkaise ?

De la période des squatts, au tout début. On squattait dans des quartiers maintenant très agréables mais qui étaient vraiment dangereux à l’époque, avec pas mal de gangs de rues. Les gens d’Agnostic front et des Cro-mags vivaient dans des squatts et les gangs pouvaient arriver à n’importe quel moment pour les chasser du lieu. Et puis, ils y vivaient, réparaient le batîment, bricolaient l’électricité, en plus de faire face aux gangs. Je pense que c’est une idée que les gens se sont faites à partir des premières photos d’Agnostic front, des Cro-Mags ou même de Murphy’s law, qui étaient tous bien costauds. Tout le monde était à fond dans les arts martiaux…

Puisqu’on parle de la scène new-yorkaise, j’ai toujors eu l’impression que le NYHC c’était pour une part être fier de l’endroit d’où on venait, de sa communauté. Est-ce que c’est vrai et, à ton avis, d’où ça vient ?

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Hmm…, je ne sais pas si c’est quelque chose de propre à New-York. Avant il y avait la scène de Boston qui avait sorti la compil « This is Boston not L.A. » et je crois qu’ils étaient fiers de l’endroit d’où ils venaient, eux aussi. Au tout début, New-York était coincée entre la grande scène hardcore de DC et celle de Boston. Bien sûr, on avait notre propre scène mais au début elle n’était pas très connue à travers le pays. D’où la fierté lorsqu’elle a acquis davantage de reconnaissance. Nous, on a eu de la chance, quand on est venu pour la première fois en Europe en 1992, le travail de fondation avait été fait par des groupes comme Agnostic front ou les Gorilla biscuits, qui n’étaient pas très connus mais qui se démenaient pour faire un maximum de tournées. Et tout le monde se demandait « Cest quoi ce nouveau style, le New-York hardcore ? » On a vraiment eu de la chance, parce que quand on est venu, tout le monde était intéressé par le hardcore de New-York. Et donc, on s’en est réclamé parce que c’est de là qu’on venait aussi. Parfois les gens disent « Vous êtes les rois du New-York hardcore » mais nous, on veut être les rois de rien du tout ! On voudrait être les ambassadeurs du New-York hardcore. On a ouvert pour des groupes de métal, pour Slayer, pour Exodus, on a tourné avec les Bosstones (Mighty-Mighty Bosstones, ska-punk NDLR) parce qu’on veut que le monde voit ce qu’on aime. Donc, je ne pense pas que ce soit propre à New-York. C’est comme le foot : les gens sont fous de l’équipe de leur ville mais ils soutiennent aussi leur équipe nationale.

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A ton avis, est-ce que c’est lié aussi à l’origine sociale des gens investis dans la scène hardcore ? Quelque chose de lié à des origines ouvrières ?

Les origines des gens étaient assez variées. Surtout une fois que la scène est devenue assez connue, elle a attiré pas mal de gamins. Moi par exemple, je viens de la banlieue, du Queens où la scène punk et hardcore était énorme. Les Ramones venaient de là-bas et des groupes comme Murphy’s law et Leeway aussi. Une bonne partie des membres de Reagan youth venaient du Queens. Puis, on a tous migré vers Manhattan, où se passaient vraiment les choses. Même là, c’était « Sick of it all, les mecs du Queens » et puis c’est juste devenu le hardcore de New-York. C’est étrange mais oui, je dirais que ça a à voir avec la culture ouvrière. Mais bon, il y en a qui venaient de familles aisées, comme les mecs de Youth of today, qui étaient du Connecticut – Youth of today, un groupe emblématique du New-York hardcore !

Vous jouez dans beaucoup de gros festivals maintenant. Est-ce que vous jouez souvent dans des salles plus petites et qu’est-ce que tu préfères ?

J’aime les deux ! J’aime vraiment le défi de jouer dans de gros festivals, d’essayer de capter l’attention de 10 ou 20 000 personnes et de les ouvrir à ton style de musique. Mais les clubs c’est parfait, tu sais que c’est 90 % de fans et que ça va être l’éclate. Sur une tournée comme celle-ci, on fait 3 petits concerts, puis le Hellfest, le Graspop et retour aux petits clubs.

Donc vous n’êtes pas frustrés de plus petites salles ?

Non, non, pas du tout. L’année dernière, on a joué au Secret spot (Je crois qu’il s’agit en fait du Secret place NDLR) à Montpellier. La scène était minuscule et le concert incroyable. Des gens juste devant toi, qui te rentrent dedans. Génial.

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Ma prochaine question nous fait pas mal remonter dans le passé. Je me rappelle que vous aviez fait un débat à la radio de l’université de New-York* avec les gens de Born against, tu t’en rappelles ?

Ha ha ha, tu parles si je m’en rappelle !

…et j’ai lu que, même si vous n’aviez pas la même vision des choses, tu étais d’accord sur certains points. Je me demandais sur quoi exactement ?

Mais je l’avais dit même à ce moment-là ! Je comprenais ce qu’ils voulaient dire mais ils refusaient de comprendre notre point-de-vue ! Dans Sick of it all, à l’époque, on bossait tous et certains d’entre nous travaillaient et allaient à l’école en même temps. Et ils nous disaient « Vous devriez fonder votre propre label ! » Putain, quand est-ce que j’aurais eu le temps ? Faut que je paye le loyer, que j’aille au boulot, j’ai pas le temps de faire un label ! Peut-être, avec le recul, qu’on aurait dû créer notre propre label, peut-être qu’on aurait dû tout faire nous-mêmes, on aurait probablement gagné beaucoup plus d’argent ! Peut-être… on sait pas ! Mais bon, on travaillait toute la semaine et le vendredi on empilait le matos dans le van, on conduisait 5 ou 10 heures : concert. Le samedi : concert. Le dimanche : concert. Retour à la maison le dimanche soir. Lundi matin : retour du matériel, et direct au boulot. On a fait ça pendant des années ! Alors, quand quelqu’un est venu et nous a proposé de sortir nos disques, on a dit oui, bien sûr. Mais je comprend ce qu’ils voulaient dire… Tu sais, c’est marrant parce que, des années après, l’un d’entre eux, je ne me rappelle plus qui, a dit dans une interview « On avait nos convictions et ils avaient les leurs mais, hey, Sick of it all continuent à jouer et ils tournent plutôt pas mal donc je suppose qu’ils ont gagné. » Mais gagner, c’était pas le but ! C’était plutôt de comprendre les points-de-vue de chacun !

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A propos de New-York, c’est une ville qui avait la réputation d’être très violente autrefois et qui est aujourd’hui présentée comme une des plus sûres des Etats-Unis, qu’en penses-tu ?

C’est vrai dans une certaine mesure. Il y a toujours du crime mais ça a bien diminué. Mais c’est à double-tranchant : ils nettoient la ville mais elle perd beaucoup de sa personnalité. Une ville cool n’est pas obligée d’avoir des dealers à chaque coin de rue, des agressions et des gangs, mais ce sont les grosses entreprises qui ont pris la place. Il y avait beaucoup de petits restaurants (« Mom and pop restaurants » NDLR) et maintenant c’est beaucoup de grosses chaines et moi, j’en ai rien à foutre de ce genre de trucs. Je vais très rarement à Manhattan aujourd’hui, je vis dans le New-Jersey. Je vais dans le Queens, à Brooklyn, mon ancien quartier, c’est toujours comme avant. J’ai de bons amis qui ont vécu dans leur appartement à Brooklyn pendant des dizaines d’années et qui ont été obligé de partir plus vers l’extérieur parce que le quartier s’embourgeoise (« is getting gentrified » NDLR). C’est ça le progrès, je suppose (rires).

Si tu avais un ami qui venait à New-York pour la première fois, quels sont les endroits que tu lui conseillerais ?

Je pense que je conseillerais toujours Manhattan. Même si c’est bizarre parce qu’aujourdhui je connais des magasins de musique hors de New-York qui sont bien meilleurs que ceux de Manhattan. Vers le Bronx, il y a un endroit qui s’appelle Hastings-on-Hudson et il y a un magasin de disques, Clockwork records, tenu par un gars qui était dans la scène. Il était toujours avec nous et son magasin est un des meilleurs de New-York ! Mais bon, il y a toujours la boutique New-York Hardcore Tattoos et encore quelques magasins de disque dans le centre mais en ce qui concerne les clubs, tu ne peux pas te tromper avec le Webster hall, l’ABC No Rio qui fait toujours des concerts hardcore en sous-sol… Mais ils déménagent bientôt, le bâtiment a été acheté.

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As-tu un groupe français préféré ?

Un groupe français ? Oh… Je les connais pas assez… On en voit tellement… (Il cherche, il cherche…) Ah, j’aime Black Zombie Procession ! On les a rencontrés l’autre soir, ils nous ont donné des CDs et c’était vraiment bien ! Super crossover !

Vous avez pas mal de morceaux aux influences punk-rock. Est-ce-que c’est une direction dans laquelle vous allez vous diriger de plus en plus ?

C’est quelque chose qu’on joue depuis des années et des années ! Depuis le tout début même, dans le premier album : Friends like you, Give respect étaient influencées par le punk et la Oï qu’on adore, tout comme le harcore et le métal ! Les gens nous disent souvent : vous devriez écrire plus de titres avec des choeurs comme Stepdown ou Die alone et d’autres veulent plus de trucs lourds comme Scratch the surface. On vient de faire un nouvel EP pour le 30e anniversaire, 5 morceaux, plus orientés lourd, mais avec des refrains Oï. Donc ça reste toujours avec nous ! Les gens nous disent : regardez Hatebreed, c’est que du lourd et toute la salle devient dingue ! Mais nous, en concert, on a des supers réactions sur nos morceaux lourds et quand on fait nos singalongs, la salle explose ! Et ça, on pourra jamais s’en passer ! Mais je vois ce que tu veux dire… Pete écoute de plus en plus de punk, je sais pas si c’est parce qu’il vieillit… C’est un peu flippant : parfois il joue des trucs, je lui demande ce que c’est et en fait c’est des nouveaux morceaux vraiment punk. Mais quand il arrive au studio, il a toujours plein de riffs lourds aussi. Moi, je préfère les trucs lourds ! (rires)

Je pensais à Agnostic front, en fait, qui ont l’air d’aller de plus en plus dans cette direction…

Le truc avec Agnostic front, c’est que « Victims in pain » est tellement un classique. Pour moi, c’est ça Agnostic front. « Cause for alarm » était bien mais c’était un tel changement. Ils sont comme nous, des dizaines d’années à trouver le bon équilibre entre le lourd et les influences plus punk. « One voice » était un super disque et puis ils ont quasiment viré total street-punk et c’était classe. Et ils se sont remis à faire des morceaux plus lourds et je trouve que ça fonctionne bien aussi. Nous aussi, on a eu des périodes, plus punk-rock quand on était sur Fat Wreck, puis plus lourd… Mais bon, je crois qu’aujourd’hui, on est revenu à ce qui nous convient le mieux !

 

* Ce débat opposait entre autres des membres de Sick of it all à ceux de Born against, qui prônaient une approche beaucoup plus politique et radicale de la musique, refusant de fontionner à l’interieur du capitalisme. En France, Born against et la philosophie Do it yourself radicale inspireront notamment toute une scène autour de Stonehenge records.

Les photos de cette interview sont l’oeuvre de Karine, merci ! Cette interview est une collaboration avec le chouette webzine Rictus.

 

« Les kids ont toujours la rage » (Happening, Sick of it all – Brise-Glace, 17 juin)

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Pour inaugurer la soirée, Happening avaient mis leurs plus beaux costumes de mangeurs d’enfants – à moins que ce soit en référence aux jumeaux dans Alice au pays des merveilles, auxquels ils ressemblaient aussi. Je dirais bien que le trio revenait affuté de leur série de concerts, notamment la tournée française avec les anglais de Kidbrother, mais en fait ils ont toujours été affutés, affutés comme des lames d’opinels sortant de l’usine.

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Les voir sur scène permet de se rendre compte combien leur musique est ambitieuse, à la fois technique, abrupte, et en même temps très construite et sous forte influence mélodique. Même si Anthony, le chanteur, a toujours cette façon d’engueuler gentiment son public, les gens présents leur ont bien fait la fête.

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On pouvait s’attendre à ce qu’un groupe célébrant ses 30 années d’existence et habitués des méga-festivals ne fasse qu’une bouchée d’une salle modeste comme le Brise-Glace. Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé.

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Sick of it all attaque d’entrée de jeu avec trois titres ultra-rapides qui mettent le feu à la salle, avant d’enchaîner sur des morceaux plus punk-rock, plus entrainants comme le tube « Stepdown », qui parsèment leur set.

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Sick of it all, c’est une référence incontournable du hardcore new-yorkais. Leur musique emprunte à la fois au punk et au métal sans jamais perdre son identité hardcore, son côté direct et percutant. Le groupe a toujours maintenu, à ma connaissance, une attitude à la fois rageuse, réfléchie et accessible, perceptible dans leurs textes et dans leur présence sur scène.

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Pas de violence gratuite. La rage, mais aussi l’enthousiasme d’être là ensemble. En 2016 exactement comme en 1994, la première fois que je les avais vus et où ils avaient répondu aux questions d’un fanzine obscur, montrant pour toujours aux kids ébahis qu’on était que le hardcore est une musique qui appartient à ceux qui l’écoutent…

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Dans la fosse, c’est l’apocalypse. Pogo, slams et circle pits s’enchainent. Si quelques-uns croient encore que pogo rime avec violence, le bon esprit a pris rapidement le dessus. Les gens se soutiennent, se relèvent, font attention les uns aux autres – il y a quand même dû y avoir quelques articulations douloureuses le lendemain. Ca ne valait peut-être pas les fameuses « Sunday hardcore matinees » du CBGB à New-York mais je crois qu’on peut quand même dire qu’on s’est bien amusés !

Dans la salle bien remplie, les générations se croisent. Certains découvrent le groupe, voire assistent à leur premier concert de hardcore, et beaucoup d’autres, actifs dans la scène aujourd’hui ou par le passé, ont fait le déplacement pour ce que représente le groupe. Sur un certain réseau social, j’ai vu passer le hashtag #annecyhardcorecity. On y croirait presque…

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Enfin pour que ce soit vraiment vrai, ce serait encore mieux que les concerts d’Underground family – le collectif qui fait qu’une scène punk indépendante existe – fassent le plein. Et puis si la ville était submergée par une nouvelle vague de groupes de hardcore, ça serait bien, aussi.

Hardcore… ou quelle que soit la forme que les kids utilisent pour crier leur rage et leur envie d’une vie différente aujourd’hui.

Toutes les photos de SOIA sont de K’s photography. Merci Karine !