Coilguns, « Watchwinders » LP (Hummus records)

Avec Coilguns, il faut battre le métal tant qu’il est encore chaud*. A peine plus d’un an après le précédent album Millenials, voici le nouveau disque, placé sous le signe de l’urgence et de la conscience du temps qui passe et lui aussi composé et enregistré in situ, c’est-à-dire en studio. Car le hardcore de Coilguns, pour surpuissant et furieux qu’il soit, n’exclut pas le bouillonnement créatif et les idées spontanées et originales – ce qui fait de cet album un ensemble à la fois très cohérent et libre, presque hétéroclite. Des morceaux aux structures complexes alternent avec des compositions beaucoup plus linéaires, comme sur le mid-tempo  Watchwinders, presque punk. On retrouve bien sûr le speed hardcore effréné du quatuor et la voix hurlée (Subculture encryptors, Big writer’s block)  – moments durant lesquels  ils me font penser à ABC Diabolo, un groupe des années 90 totalement oublié et c’est bien dommage car ça déchirait grave. Le groupe sait aussi ralentir le tempo (Growing block’s view), créer des ambiances plus insidieuses, rampantes, où le groove mortel est souvent assuré seul par la batterie – et quelle batterie !-, vu que la formation ne comporte pas de basse. Jusqu’à des ambiances sombres et mornes, où le temps semble suspendu de manière inquiétante : Prioress, avec sa voix pâteuse au flow quasi hip-hop, ou le choeur bluesy sur la fin de Watchwinders. Une veine presque gothique, qui parcourt le disque, fait pendant aux murs du son épais de la guitare de manière étonnamment naturelle et donne une couleur nouvelle à la musique de Coilguns.

Est-ce-que celle-ci atteint ce point d’équilibre un peu magique où la musique d’un groupe se met à ne ressembler à aucune autre et où tu as l’impression tout-à-coup qu’elle ne te parle qu’à toi ? Eh ben, c’est à chacun de se faire une opinion, en écoutant ce disque mais surtout, surtout, en allant voir le groupe en live**. Une expérience incandescente qui n’a pas beaucoup d’équivalent aujourd’hui.

*Comme noté par pas mal de chroniqueurs, hé hé.

**Par exemple, le 2 février sur la plateforme des Eaux-vives dans le cadre du festival genevois Antigel.

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« Boy, man, machine » : an interview with DROSE

The music of the american trio DROSE is a non-identified object in many regards. It’s a kind of slow and deconstructed industrial metal, where field recordings of sounds in a factory – the one where Dustin Rose, the thinking mind behind the band, works – are on equal terms with instruments and sometimes seem to impose their own relentless pace in a man-machine mimetism that is the very own source of inspiration of DROSE. Wether it is on the unique object/record published by the label Computer students (compiling their last album and several other recordings) or during one of their meticulous live performances, the encounter with this band is sure to have an effect on you. After going though that experience at their Urgence disk (Geneva) gig, I felt like following up with a bunch of questions I sent to Dustin by email.

This is your first time as a band touring Europe. What type of experience has this been so far ?

It’s been great! We have been shown excellent hospitality and the shows have been well attended.

The name DROSE seems to suggest that Dustin is central in the creation of your music. Is that the case ? I’ve read that your songwriting starts with the drums but can you shed more light on the process that leads to the writing of your songs ?

It’s true and the songs are usually written starting with a drum composition. The drums are very foundational in this music, so this is where I begin. I find it easy to explore different frameworks from the strongest rhythm element.

The creation of very particular soundscapes is obviously a major part of your music, with a sense of compressed space and the use of machine noises being key elements. Does this come first and do you have to work ways to recreate this sound during your live performances ? Would it be right to say that, in this respect, DROSE is similar to a studio band ?

I collect interesting audio when I come across it and then sort out how I can use it later. In order to bring this audio with us for live performances I have built some equipment to make that possible. We are able to reproduce any sounds from the recording in a live performance.

In particular, I noticed the drums were equipped with a sound system during your gig in Geneva. Can you tell us more about this system ? Are they used to modify the sound of the drums or to activate loops ?

I use pure data (puredata.info) to program our live sets or recordings. The drum sensors and foot switches are brought into pure data using a Teensy micro controller to play and manipulate sound files, synthesized or live audio. The audio is triggered in real-time, there is no click track, it keeps the performances expressive. The program counts drum hits in some sections, waits for button presses or is even allowed to behave randomly in some sections of songs.

The relation between man and machine is a theme running though « Boy man machine ». Would you say that this album is a concept album and, by extension, do you see DROSE as a concept band ?

It’s OK to call it a concept album I was attempting to describe an entire idea. I am not sure DROSE is a concept band.

A very dark, anguished outlook on the relation between man and the machine emerges from your music. Is this just a theme to expand on artistically or can you also see political and ethical implications  ?

Some of the ideas or tales of the songs are parallel with political or sociological happenings but it was not a direct intent. boy man and machine are a closed system, each effecting the other and representing thoughts, feelings, situations or experiences.

I heard you met Julien Fernandez of Computer students while he was on tour with his former band, Passe-montagne, and you were involved in setting up shows in your city. Can you tell us the story of your relationship with him ?

Julien was traveling with his band Passe Montagne. I believe it was 2009 or 2010 summer. My band Toads and Mice hosted Passe Montagne and The Conformists in Dayton Ohio. We were all friends instantly, it was a great time.

I hardly know anything about the musical and artistic scene in Columbus, Ohio. How does a band such as yours fit in with the local scene ?

The Columbus Ohio music scene was very hospitable to DROSE, I am grateful to everyone who has ever came to a show, bought something or shared.

I’ve been told there’s a new DROSE album in the works. How do you approach this new recording and what do you expect from it ?

That’s true! This material has a different sound but it’s the same DROSE.

 

>>>>>>>>>> DROSE

>>>>>>>>>>> COMPUTER STUDENTS

« L’enfant, l’homme, la machine »: une interview de DROSE

La musique du trio américain DROSE est un ovni à bien des égards. C’est une sorte de métal industriel lent et déconstruit, où les field recordings des sons mécaniques d’une usine – celle-là même où travaille la tête pensante du groupe, Dustin Rose – jouent à jeu égal avec les instruments et semblent parfois leur imposer leur cadence immuable dans un mimétisme homme-machine qui est la source même de l’inspiration de DROSE. Que ce soit sur l’objet-disque singulier publié par le label Computer students ou lors de leurs performances live méticuleuses, la rencontre avec ce groupe ne laisse pas indemne. Après en avoir fait l’expérience lors de leur concert à Urgence disk (Genève), j’ai décidé de prolonger la rencontre en envoyant quelques questions par mail à Dustin.

C’est la première fois que vous tournez en Europe. Comment ça s’est passé jusqu’ici ?

Super bien ! On a été très bien accueillis et il y a pas mal de monde aux concerts.

Le nom DROSE laisse supposer que Dustin (Dustin Rose, NDLR) joue un rôle central dans la création de votre musique. Est-ce effectivement le cas ? J’ai lu que vos morceaux commençaient avec des parties batterie mais pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le processus de composition ?

C’est vrai et les morceaux partent généralement d’une idée à la batterie. Les parties batteries sont absolument fondamentales dans notre musique, donc c’est avec elle que je commence. C’est facile d’explorer différents paysages sonores à partir d’un élément rythmique solide.

La création de paysages sonores est une partie essentielle de votre musique, dans lesquels un sens de l’espace sous pression et l’utilisation de bruits de machines jouent un grand rôle. Est-ce-que c’est ça qui vient en premier et vous devez ensuite trouver des manières de recréer ces sons durant vos concerts ?

Je collectionne des sons intéressants quand il m’arrive d’en rencontrer et je vois ensuite comment je peux les utiliser. J’ai construit le matériel nécessaire pour incorporer ces parties dans nos concerts. On est capable de reproduire n’importe quel son en live.

En particulier, j’ai remarqué que la batterie était équipée de capteurs durant votre concert à Genève. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce système ? Est-ce-que vous l’utilisez pour modifier le son de la batterie ou pour activier des boucles ?

J’utilise Pure data (puredata.info) pour programmer nos sets live ou nos enregistrements. Les capteurs sur la batterie et les footswitchs sont ramenés vers Pure data par un mico-contrôleur Teensy qui active et manipule des fichiers sons, préparés ou joués live. Les sons sont activés en temps réel, il n’y a pas de click, pour garder le côté expressif du live. Le programme repose sur la batterie dans certaines parties, sur des boutons qu’on presse ou peut même s’activer de manière aléatoire dans d’autres parties des morceaux.

La relation homme-machine est un thème qui court tout au long de « Boy man machine ». Dirais-tu que ce disque est un concept-album et considères-tu, par extension, DROSE comme un groupe-concept ?

On peut dire que c’est un concept-album dans le sens où j’essaye de faire le tour d’une idée. Je ne suis pas sûr que DROSE soit un groupe-concept.

L’impression qui ressort de votre musique est celle d’un regard très sombre et angoissé sur la relation entre l’homme et la machine. Est-ce pour toi d’abord une thématique artistique ou y vois-tu également des implications éthiques et politiques ?

On peut faire des parallèles entre certaines idées ou histoires racontées dans nos morceaux et des faits sociologiques ou politiques mais ce n’est pas directement notre intention. L’enfant, l’homme et la machine forment un système clos sur lui-même, où chacun des éléments affecte l’autre et représente certaines pensées, sentiments, situations ou expériences.

J’ai entendu dire que vous aviez rencontré Julien Fernandez, du label Computer Students, alors qu’il était en tournée avec son ancien groupe, Passe-montagne, et que vous vous occupiez d’organiser des concerts dans votre ville. Pouvez-nous raconter cette histoire ?

Julien était en voyage avec son groupe Passe-montagne. Mon groupe Toads and mice avait invité Passe-montagne et The Conformists à Dayton, Ohio. On est immédiatement devenu amis, c’était un moment génial.

Je ne connais presque rien de la scène musicale et artistique de Columbus, Ohio. Comment un groupe comme le vôtre est-il perçu et quelle place occupe-t-il dans la scène locale ?

La scène musicale de Columbus s’est montrée très accueillante vis-à-vis de DROSE. Je suis reconnaissant envers toute personne étant venu assister à un concert, ayant acheté ou partagé notre musique.

On m’a dit qu’un nouvel album de DROSE était prévu. Comment approchez-vous ce nouvel enregistrement et qu’en attendez-vous ?

C’est exact ! Les morceaux ont un son différent mais c’est bien le même DROSE.

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« Dernier drapeau » : une interview de Last Flag

C’est presque par hasard que j’ai découvert la musique de Last flag. Seulement quelques titres disponibles sur internet, metal atmosphérique très carré, mais avec quelque chose de haletant qui accroche l’oreille et donne envie d’en écouter davantage. Il n’en fallait pas plus en tous cas pour que je leur envoie quelques questions, histoire de faire connaissance avec ces nouveaux venus de la scène annecienne.

Comment s’est formé le groupe ? Quelle était l’idée de départ ?

Le groupe s’est formé en 2016, on avait tous eu de précédentes expériences musicales suivies de pauses plus ou moins longues et l’idée c’était de se remettre à jouer de la zik. On a commencé par quelques reprises histoire de se remettre dans le bain et d’apprendre à se connaitre musicalement. Rapidement une atmosphère commune s’est créée, et on a commencé à bosser sur nos compos.

Votre nom fait plutôt old school (Black flag, Anti-flag…) Quel est donc ce « dernier drapeau » que vous brandissez ?

Les drapeaux sont des signes d’appartenance forte entre les Hommes, à la fois unifiants et déchirants. En règle générale, ils permettent de mettre en avant «l’autre», ou de se distinguer de celui qui n’appartient pas au groupe. L’idée c’est que le jour où il n’y aura plus qu’un seul drapeau, c’est qu’on aura enfin réussi à s’unir.

Vous avez fait plusieurs concerts récemment : c’étaient de bonnes expériences ?

Carrément ! On a eu la chance de jouer sur la scène du club au Brise glace, à Cluses sur la scène de l’Atelier, et à Genève au « Scene ». Se confronter au public nous a permis d’avoir un autre regard sur ce que l’on fait et ces expériences nous ont vraiment soudés et motivés pour continuer à bosser, notamment sur l’enregistrement d’une première démo 3 titres qui vient de sortir sur notre bandcamp !

Une question pour Sylvain : je trouve le chant sur votre morceau Conflictual vraiment intéressant avec son alternance parlé/crié. Comment s’est-il construit ? Quels sont les chanteurs ou chanteuses que tu apprécies ou qui t’inspirent ?

Le type de chant devient évident selon les émotions que l’on essaie de transmettre, je dirais que plus c’est intense et plus c’est saturé. Après, chacun met sa patte sur les idées au chant, heureusement sinon on aurait des passages très (trop) surprenants !
Côté influence et inspiration, je dirais Phil Anselmo, il est capable d’aller du bluesy au true black avec toujours beaucoup de sincérité et avec le sens de la mélodie. Puis Sam Carter d’Architects, qui a un chant saturé très expressif et touchant. Et Anneke Van Giesbergen qui a une voix de l’espace, très aérienne.

Histoire de vous connaître un peu mieux : si vous deviez chacun sélectionner trois albums parmi ceux qui comptent le plus pour vous, ce serait lesquels ?

Sylvain (chant) : « Follow the leader » de Korn, « Bloodflower » de The Cure et « Dangerous » de Michaël Jackson
Yoann (guitare) : « Americana » de The Offspring, « Infest » de Papa Roach, «Opposites » de Biffy Clyro
Baptiste (basse) : « Californication » des Red Hot, « Des visage Des figures » de Noir Désir, « Come What[ever] May » de Stone Sour
Justin (batterie) : « Snot » de Snot, « 10 000 days » de Tool et  » The Shape of Punk to Come » de Refused

Jouons un peu au jeu du copinage – ou pas – : quel est le groupe de la scène locale que vous appréciez le plus ?

Il y a de bons groupes, vraiment et dans des styles variés. The Buffalos & Pipedreams avaient une vraie identité et présence locale, dommage qu’ils aient arrêté. Dans d’autres styles, Howling Beards (avec qui on a eu plaisir à partager le plateau de l’atelier), l’Orchidée Cosmique ou encore Jungle Julia sont des groupes que l’on affectionne

Quels sont les lieux de concerts locaux que vous appréciez le plus ? Quelle est votre dernière claque ?

Sylvain : ?
Yoann : Le Brise, même si la prog n’est pas toujours celle qui me convient le plus. C’est une incitation à l’ouverture. Un peu plus loin, le transbordeur propose une prog plutôt sympa.
Justin : Ma dernière claque (qui remonte un peu maintenant !) c’était No one is innocent à Château rouge pour l’album PROPAGANDA. C’était propre, efficace, le son était vraiment terrible, ça faisait un moment que je ne les avais pas vus, et on peut dire que j’ai pris une bonne claque !
Baptiste : J’aime beaucoup les scènes alternatives de Genève où l’on tombe fréquemment sur de très bons concerts ! Dernièrement The Ocean à l’Usine m’a bien scotché.
Sylvain: Le Brise Glace bien sûr. J’ai vu Demi Portion, un rappeur qui a roulé sa bosse avec une super technique et très sincère.

Est-ce que vous aimez lire à propos de la musique ? Si oui, quoi ? Fanzines, webzines, magazines, sites, blog, bouquins ?

Sylvain : Radiométal, Métalorgie et Rhinoferoce !
Yoann : Je suis attaché au papier : Guitare part, guitar xtrem et d’autre histoire de se tenir au courantet de geeker un peu sur les tests de matos. Grosse consommation de lecons, astuces, tests et d’avis sur Youtube, Audiofanzine etc… et les articles de Radio Metal également.
Baptiste : Assez peu de mon coté
Justin : On est des enfants d’internet, on a grandi avec ça ! ? Donc oui pas mal de presse en ligne, des tutos, des vidéos, tout ce qui peut nous aider à avancer dans notre musique, mais un bon magazine papier sur les chiottes, ça reste une valeur sure !

Votre musique est assez proche du post-hardcore ou du hardcore, est-ce que pour vous c’est principalement de la musique ou est-ce que vous sentez proche de la démarche indépendante ou politisée de certains groupes ?

Notre musique et pour nous avant tout un exutoire, la démarche politique n’est pas prédominante. On parle avant tout de ce qui nous touche, mais effectivement, ces sentiments sont toujours plus ou moins connecté avec des décisions politiques, donc avec la force des choses on s’en approche.
De plus, chez nous, tout est fait maison, on enregistre et on bricole tout ça avec les potes. Donc indépendant, on ne peut pas faire mieux ! ?

Et sinon, que pensent vos mamans de votre groupe ?

Aucun d’entre nous n’a été déshérité pour le moment, c’est peut-être bon signe !Gilet jaune ? Rouge ? Vert ? Bleu ? Rose à paillettes ?

On serait plutôt gilet vert, l’urgence pour nous, c’est une vraie réponse face au défi climatique et une remise en question de la place des hommes dans leur environnement. Mais dans l’esprit Last Flag, plutôt du dialogue et de l’écoute plutôt qu’ajouter encore des signes d’appartenance nous divisant davantage.

En supposant qu’il y ait un futur, que pourrait-on attendre de Last flag ?

Avant tout du bon son, de l’énergie, des bons moment partagés entre nous et avec vous !

>>>>>>>>>> LAST FLAG

 

Brutalist demo CD

On retient son souffle dès les premières secondes et on se dit que là il se passe quelque chose. Brutalist est un projet mené pendant quelques années et, il semble, une poignée de concerts par trois des membres de Knut, accompagné par Adriano Perlini (qui jouait déjà avec le guitariste Tim Robert-Charrue dans Commodor). Ce CD que le groupe présente comme une démo ne nous laisse honnêtement que nos yeux pour pleurer que le groupe ne soit plus. Il contient cinq morceaux enregistrés  entre 2016 et 2019. Instrumentaux sinueux, construits autour de longues plages répétitives, tunnels obscurs qui débouchent tout à coup dans de vastes espaces. Si Trabajo et Cobra propose un métal expérimental, répétitif, tendu à craquer, étourdissant, le reste du disque dessine les contours d’un noisecore déconstruit totalement ahurissant. Piton, le premier morceau, sonne – comment dire ? – comme la rencontre de John Coltrane et de Godflesh dans un rêve de Death grips, si une telle chose est imaginable. Base rythmique massive syncopée, allant se densifier, se déployer, s’entrelacer. Guitare bloquée dans des stridences dissonantes en contrepoint, qui part en échappée et prend tout à coup des accents de saxo free magnifique.  Instant magique est un champ de bataille désolé , ambiance de décombres infestés, cendres fumantes. Avec des guitares vrillées, rampantes qui rodent en embuscade et une basse colossale, agonisante. New light clôt le disque en renouant avec une noise extatique et libre. Cinq morceaux. Un ensemble hétéroclite. Un instantané qui documente ce que ce groupe a été et laisse deviner ce que le futur aurait pu être. A écouter absolument.

>>>>>>>>>> BRUTALIST

Tuco, « Bottomless » LP

Sorti ? Pas sorti ? En réalité, ce premier long format de Tuco est en ligne depuis novembre dernier mais la version physique qui devait suivre n’est pas encore disponible. Peu importe, le trio maousse costaud trace ici un trait d’union avec son premier EP, petit bijou de noisecore lourdingue et rutilant, sorti 8 ans auparavant. Oui, 8 ans… leur plan de carrière n’appartient qu’à eux-seuls.

Comme le suggère la pochette, Tuco aime les architectures massives, complexes, tortueuses, les murailles imprenables qui en imposent mais qui recèlent aussi des passages dissimulés, des ouvertures insoupçonnées où passe la  lumière. L’album démarre de manière fracassante avec Unfit. Titre magnifique – le meilleur peut-être – traversé de soubresauts, de convulsions, de faux-départs. Voix teigneuse, cascade de riffs plombés en ciment armé qui se diluent soudains dans des arpèges en eaux troubles. Tout au long des sept titres qui composent le disque et dont les noms – Enough, Spit, Bottomless, Part-time life – claquent de manière cinglante, le groupe fait la démonstration de sa capacité à faire jouer les riffs dans sa machinerie complexe, à les envisager sous tous les angles d’une manière quasi scientifique avec une précision qu’on pourrait dire helvétique (si on n’avait pas peur des clichés).

Serge Morratel – spécialiste en machineries lourdes et de haute précision, justement – était le partenaire en crime idéal pour concocter le son cette entreprise. Bien que, à y réfléchir, j’ai une petite préférence pour le son du EP, un poil plus lourd, avec une basse plus proéminente. De la même manière, sur la longueur, le disque fait une impression un brin monolithique et un changement d’ambiance, une cassure, aurait été bienvenu. Mais, comme Monolith est le titre d’un des morceaux, il se pourrait bien que ce soit voulu et cela reste tout de même de la belle ouvrage.

>>>>>>>>>> TUCO

« En lambeaux dans le chaos » (Tuscoma, Coilguns – L’Ecurie, 22 sept.)

La petite cour devant l’Ecurie est presque noire de monde lorsqu’on arrive. Drone to the bone fête ses 9 ans et, malgré quelques concerts moins suivis, sa programmation radicale et avant-gardiste est incontournable pour les amateurs de bruit et de fureur. Puis faut dire que Coilguns est précédé d’une sacré réputation sur scène, hé hé. A peine le temps de passer au bar, que Bruno annonce le début des hostilités avec Tuscoma. C’est parti !

Loins d’être des inconnus, ce duo néo-zélandais officiait auparavant sous le nom de Hollywoodfun downstairs – passés à Genève il n’y a pas si longtemps d’ailleurs (déjà en formule à deux). Le groupe a opéré une mue progressive : originellement trio, ils pratiquaient un punk noise qui se prenait parfois des coup de speed ultra-rapides et hurlés qui faisaient leur particularité. Des surfeurs de satan en quelque sorte, mais qui ne crachaient pas sur les mélodies. Sous le nom Tuscoma, le speed prend le devant de la scène et le surf reste au placard.

Mur du son quasi ininterrompu. Blast-beats impitoyables et voix hurlée en arrière-plan comme sous le choc d’une électrocution continue, dont l’effet est encore accentué par l’éclairage aux néons blancs éblouissants. Je sais pas si le public attentif et statique est comme moi, légèrement surpris et dubitatif devant la décharge sonore des néo-zélandais fortement déconseillée aux épileptiques. Pas inintéressant, loin de là, mais on respire un peu quand le groupe retrouve du groove avec le dernier morceau et sa rythmique presque garage.

Les quatre lascars de Coilguns font une entrée bien classe en trinquant sur scène (whisky ?), instruments déjà en place. Ca sent le savoir-vivre et la camaraderie. Et l’envie d’en découdre aussi. Dés les premiers accords, Louis Jucker, le chanteur, se jette sur les premiers rangs, dans un espèce de saut de l’ange mi-ruée de mélée, mi-pulsion suicidaire. Le groupe place son concert sous le signe de la tension maximum, de la folie, de la confrontation avec le public et de l’envie de vivre un moment taré avec lui.

Et c’est exactement ce qu’ils firent. Coilguns soumet le public à un feu nourri et interrompu de leurs brulôts hardcore-noise-metal qui ne se soucie pas trop des genres et de la bienséance, tant que ça défouraille. Et parfois avec tout à coup un groove électrocuté génial à tomber. Coilguns sait même faire le rock.

L’intensité émotionnelle et l’engagement physique ont quelque chose qui rappelle certains groupes hardcore des années 90. Born against ou Heroin, au hasard. Même si c’est pas exactement la même chose évidemment. De même les danses folles et le discours personnel et inconventionnel du chanteur entre les morceaux, très loin des poses habituelles dans ce genre de musique. En sortant de ce concert éreintant, tu ne sais plus grand chose mais tu sais au moins que tu as vu de la musique vivante.

>>>>>>>>>> TUSCOMA

>>>>>>>>>> COILGUNS

>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE

Oyster’s reluctance, Insignificant EP

Voix de crooner stoner disparaissant parfois sous les effets, sens du riff accrocheur, atmosphérique ou metallisant. Oyster’s reluctance manie tous les ingrédients de l’alternatif façon 90s et ce dernier EP (il est sorti en 2017) laisse présager des musiciens pas tombés de la dernière pluie, maîtrisant autant leur Mister bungle que leur Pearl jam, leur Mordred ou leur Tool. Pourtant à l’écoute, on ne peut pas réduire ce trio à la formule minimaliste (batterie/basse/voix) à un revival grunge/fusion même si ils auraient peut-être fait fureur à l’époque. Sur les cinq titres qui composent le disque, le groupe n’a de cesse de varier ses effets : plages athmosphériques, voix samplées, passages presque jazzy qui font astucieusement contrepoint aux coups de boutoirs noise qui suivent (Bulging eyes, mon morceau préféré). L’absence de guitare est une excellente chose, forçant a faire feu de tout bois et assechant un peu le son du groupe. De toute façon, la simplicité est toujours une qualité, que le dernier long morceau, Greed, exploite à plein avec son riff simplissime laissant toute marge de manœuvre aux mélodies éraillées et planantes du chanteur.

Ce groupe a clairement son univers et est peut-être à son meilleur quand il s’éloigne davantage de ses références. Cette impression est confirmée par les extraits de concerts qu’on peut visionner ici ou là et qui donnent bien envie de découvrir ce que Oyster’s reluctance peut donner sur scène, au naturel.

>>>>>>>>>> OYSTER’S RELUCTANCE

 

 

« Football : 0 / Hardcore punk survolté : 10 000 » (Tuco, Joliette – La makhno, 27 juin)

Peu de monde ce soir-là à l’étage de l’Usine. A vrai dire, il y a à peine plus que notre groupe de copains lorsque Tuco plaque ses premiers accords.

Plaisir de retrouver leur noisecore massif et tourmenté. Ces longs morceaux pleins de bifurcations soudaines, de répits trompeurs, où suinte la tension malsaine.

Fidèles à eux-mêmes, leur performance est un rouleau-compresseur. On reconnaît quelques vieux titres de leur premier EP, comme le phénoménal Numb et son accélération qui te colle au mur du fond. Le premier album des Suisses devrait sortir ces jours-ci, en format numérique, en attendant un disque à l’automne.

Les mexicains de Joliette, eux, étaient une découverte pour pas mal de monde. En vérité, il y a pas vraiment besoin de beaucoup plus que deux minutes pour comprendre que ce groupe a quelque chose de très spécial.

   Putain de réacteur nucléaire où se fracassent sans discontinuer des atomes de hardcore hurlé, de noise surpuissante. Bouts de mélodies qui traînent en lambeaux dans le chaos et te prennent à la gorge. Breaks constamment sur le fil de la lame.

Le pire c’est que les jeunes Mexicains sont très cools sur scène, avenants et sympathiques. Derrière les fûts, le batteur prend le temps de remonter ses lunettes sur son nez d’un air flegmatique entre deux rythmiques hallucinantes de puissance et de groove. Machine !

Le public s’est massé devant la petite scène. Scotché. Chaque nouvel assaut sonore est accueilli avec ferveur. On en loupe plus une seconde.

C’était fou, ce concert ultime à prix libre devant une poignée de guignols. Au moment où tous les yeux, les oreilles et les porte-monnaies sont tournés vers la folie estivale du Hellfest et son hardcore à grand spectacle.

Nous, on a pas vu le match et on ira pas au Hellfest. Mais, ce soir-là – même si c’est évidemment con de le formuler comme ça – on nous empêchera pas de penser qu’on a vu le meilleur groupe de hardcore du monde, hé !

>>>>>>>>>> TUCO

>>>>>>>>>> JOLIETTE

Piniol, « Bran Coucou » LP

bran coucou.jpg

Piniol, c’est un groupe qui n’a peur de rien. C’est la contraction de Ni et de Poil – groupes dont on retrouve ici les membres – mais ça pourrait aussi bien être celle de pignouf et guignol. Piniol, c’est un peu comme si le math-rock avait décidé de défier les monuments de la musique amplifiée, ses sommets les plus ambitieux, les plus boursouflés. Rock progressif, jazz-rock, métal, opéra-rock peut-être bien, et j’en passe. Commandante Zappa nous voilà. De ces musiques, Piniol a une énorme envie et ne fait qu’une bouchée. Bouchée double en fait puisqu’il s’agit d’un groupe dédoublé – deux guitares, deux basses, deux batteries, seul le clavier n’a pas son double – Piniol croque tout, concasse, digère et régurgite tout en sept grandes salves surpuissantes et baroques où on en verra vraiment de toutes les couleurs. Il faut être d’humeur fantasque mais c’est assurément un disque de malade.

Piniol, « Bran coucou » (Dur et doux, 2018)

>>>>>>>> PINIOL

>>>>>>>>>> DUR ET DOUX