“Avant la musique” (Seabuckethorn, Shar, Housewives – Cave12, 11 déc.)

dscn2830Comme l’an passé, le festival Face Z (L cette année) posait ses valises à Cave12 pour une soirée de découverte musicale tout azimuth. Avec une arrivée tardive, sur les notes finales de Seabuckethorn, guitare jouée à l’archet, salves mouvantes d’accords singulièrement metalliques.

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Shar. Trio basse, batterie, ballons. Ca peut faire peur. Surtout quand la musicienne se met à astiquer une longue quéquette rose – un ballon – dès le premier morceau. En fait, la trituration virtuose des ballons se rapproche de l’utilisation bruitiste de platines ou du son déchiré d’un saxophone free-jazz. Les morceaux sont joueurs, limpides et ce free-rock malicieux, qui pourrait faire écho à Fred Frith ou à Roof, est finalement très accessible.

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Housewives ou l’obscurité. Sons stridents, amorphes, froideur, mélodies en bribes, parasitées, batterie squelettique. Le post-punk spectral de ces anglais affectionnant les pantalons feu de plancher ne ressemble à aucun autre. Peuvent jamais rien faire comme tout le monde.

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Housewives

Seabuckethorn

Shar

Livegeneva.tv

Capture d’écran_2016-12-10_15-15-08.pngRegarder une vidéo d’un concert est-ce que c’est la même chose que d’y assister ? Pas exactement, c’est plutôt comme le suivre depuis la pièce d’à côté, mais c’est déjà ça et c’est pour ça qu’un site comme Livegeneva.tv est important. Il y tellement des concerts, de groupes, d’assos par ici et si peu de médias qui permettent de partager tout ça.

Le site, qui existe depuis 2010, propose déjà une bonne palanquée de vidéos de concerts, de qualité supérieure et accompagnées de textes bien sentis. Majoritairement tournées dans les salles genevoises, l’Usine et ailleurs, et majoritairement rock. Voire rock ++ avec pas mal de concerts Drone to the bone, cette asso dont le nom est synonyme de « dantesque » : Fistula, This gift is a curse, Aluk Todolo et ce concert marathon monstrueux qu’ils avaient organisé pour leurs 6 ans avec YurodvyPlèvreNesseriaWardhillEuglenaSofmajorPigs, chroniqué d’ailleurs dans ces pages.

De quoi fouiller pour dénicher quelques perles (Isis ! … Neurosis! … Buildings!, etc. etc.) et visionner les interviews que propose également le site, qui permettent de s’informer et contribuent à rendre toute cette scène un peu plus vivante.

livegeneva.tv

« Circuit court et haute tension » (Don Aman, L’Orchidée cosmique, Nevraska – Brin d’zinc, 25 nov.)

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Les concerts de groupes locaux ont un goût particulier, quelque chose en plus. Voir des gens jouer qu’on pourrait croiser au coin de la rue, dans un concert, qu’on peut suivre, contacter. C’était donc une affiche bien affriolante, que nous avait concoctée Flo Cosmique et l’asso Minimal chords vendredi soir au Brin d’Zinc, avec trois groupes novateurs, chacun défrichant un territoire propre.

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Placides, Don Aman ne craignent pas d’arriver quelques minutes avant de monter sur scène. Ils distillent une musique à la fois sensible et bruyante, portée par une voix très chantée assez belle et qui pourrait aisément trouver sa place dans une formation plus pop ou folk. Mais là, on pense plutôt à la dernière période de Fugazi ou à un groupe comme Yo la tengo, pour le côté touche-à-tout de leur musique qui visite pas mal d’atmosphères différentes.

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On ne peut pas dire que le public chambérien soit extrêmement réactif durant ce set mais c’était une belle découverte que ce jeune groupe de Dijon, qui a déjà un LP à son actif et qui commençait ce jour-là une mini-tournée de trois jours avec L’Orchidée cosmique.

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L’Orchidée, justement, le local de l’étape. Peut-être dopé par le fait de jouer à domicile – et de bénéficier d’un son bien gras, ce qui ne gâche rien -, le « One-man space fuzz band » a pris du corps et gagné en fluidité et en présence sur scène. Ses petites mélodies loopées semblaient danser en apesanteur tandis que les gros accords zébraient l’espace à grands coups de fuzz comme jamais. L’Orchidée cosmique, c’est un peu un post-rock qui ne cracherait pas sur le riff métal.

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Auteur d’un album rien moins que magnifique, Nevraska jouaient pour la première fois dans la région depuis sa sortie en septembre dernier. Peut-être était-ce le son plus agressif ce soir-là, mais le set du duo m’a paru particulièrement furieux. Ca claque, ça explose, ça tourbillonne. C’est merveilleusement dense, précis, rugueux. Je les ai vus un paquet de fois maintenant et la magie ne m’a toujours pas quitté. Ce groupe résume à sa manière vingt années et quelques d’évolution du rock/punk/hardcore et je ne peux tout simple pas croire qu’une personne qui est ou a été passionnée par cette musique puisse y être insensible. Juste : ruez-vous dessus. Quelle que soit votre chapelle, ruez-vous dessus.

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On aura même droit à un nouveau titre. Un aperçu du Nevraska post-Grave Romance. Plus épuré, laissant une place plus grande au silence, à la respiration, avant tout de même une montée en tension bloquée dans le rouge dont le duo a le secret.

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Une soirée comme on en voit trop peu souvent, donc, faisant la démonstration que la scène locale n’a besoin de personne pour procurer des frissons. Et dans un lieu idéal pour ce genre de concert qui plus est, n’hésitant pas à prendre des risques en programmant des groupes peu connus. On pourra par exemple y voir les noise-rockers titubants (et canadiens) de Alpha stategy, le 7 décembre.

Comme a dit un copain : « J’ai découvert un univers »…

Merci Elsa pour les photos !

 

“Titans puissants expresso” (Tuco, Intercostal – Villa Tacchini, 2 déc.)

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Tuco !

Juste le temps de faire un petit saut à ce nouveau festival – Mighty titans fest – organisé par les gens du groupe Colossus fall.

Et de goûter un peu du noise-hardcore furibard de Tuco, dont on peut d’ailleurs lire une interview dans ces pages.

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Rythmiques concassées, riffs tournoyant se chargeant de tension explosive. Le groupe alterne les murs du son avec des passages aux ambiances dissonantes, grinçantes où la paire basse batterie fait un boulot terrible.

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Les voix, partagées entre les trois membres du groupe, ont quelque chose de tendu et de désespéré, quasi-Neurosis-iennes. Le set fût court, avec un son se cherchant un peu au départ, mais donne envie d’en voir plus. Vivement le 16 décembre à l’Undertown avec Cocaine Piss !

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Intercostal

La Suisse est clairement un pays de géant du métal (et d’ailleurs ces deux groupes incluent tous deux des ex-membres de formations marquantes) et la prestation d’Intercostal donne tout son sens au nom du festival. Y’a pas à dire, le « massive down-tuned progressive stoner » du groupe s’écoute avec un immense plaisir. Les voix sortent de terre, la musique déplace des montagnes. C’est long, méandreux, tellement massif que c’en est presque drôle, diaboliquement et épiquement mélodique. Génial, en fait.

Et c’était que le début.

#Upset the rythm

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Upset the rythm, c’est une émission sur Radio campus Grenoble et qu’on peut également écouter sur internet, dédiée aux musiques qui ne tiennent pas en place, noise, math, électro-chose, jazz-truc et j’en passe des plus contre-nature. Le programme est quand même assez ambitieux puisqu’il s’agit de « combler le fossé entre Steve Albini et Stravinsky ». Rien que ça.

Mais Upset the rythm se donne les moyens de ses ambitions. Avec une diffusion par mois, chaque émission est basée sur une recherche foulillée et une documentation méticuleuse. Rien que les thèmes des émissions passées mettent l’eau à la bouche : « Ultraviolence », « L’arythmie ? », « Spoken word », « Japon », « Destructuration », « Intros, préludes, interludes », etc., etc.

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Une approche quasi-savante, musicologique, qui promet d’être passionnante. Sans être prise de tête puisqu’elle est contrebalancée par un ton drôle bien vu à l’antenne. De la même manière que la programmation peut faire suivre les musiques les plus pointues et contemporaines d’un bon vieux Big’N ou Shellac.

Bref, un petit bijou à suivre ici pour ceux dont l’oreille est hardie !

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The Sloks, « oneUp »

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Ce trio originaire de Turin – la porte à coté, quoi – a fait un passage remarqué à la Spirale à Annecy en septembre. Leur dernier disque, intitulé oneUp donc, est sorti uniquement en ligne. Peut-être faute de label. Les temps sont durs.

Mais The Sloks n’est pas du genre à lâcher l’affaire pour si peu. La passion tenace et le jusqu’au-boutisme transpire des 7 titres de ce qui pourrait être un 10’’. Tous taillés dans un rock’n roll garage tendu, toutes pédales de réverb et de fuzz dehors, et qui a quelque chose de minimaliste qui lui va comme un gant (une basse pointe le bout de son nez sur un des titres mais je ne suis pas sûr qu’elle rajoute grand-chose).

Mais The Sloks ne seraient pas The Sloks sans la voix d’Ivy Claudy. Une voix qui joue un jeu très particulier. Souvent plaintive, geignarde, suintant le malaise et la colère froide, elle prend à contre-pied la musique pleine d’allant. Répétitive et parfois monocorde, elle horripile, tend le nerf. Elle débite des histoires qu’on devine d’adolescence rebelle, teigneuse (Thats not me), de vengeance dans Tank of Gasoline (l’essence, matière inflammable chère au rock perturbé – que ce monde périsse par où il a pêché…). Elle atteind des sommets dans Use me, transpirant le défi, la détermination froide. On s’en est pris plein la gueule mais c’est pas pour ça qu’on va la fermer. Ni baisser le regard. Et jusqu’à exploser dans des rugissements, pris dans la tourmente d’une musique aux allures d’exorcisme.

Cette voix sévèrement perturbée imprime sa marque à la musique du groupe. Elle contraste avec les ritournelles garages, comme si un teenage movie bien inoffensif virait au carnage psychopathe sur fonds de rock n’roll endiablé. La fête est plus folle quand c’est une surprise. A certains moments, la guitare elle-même semble s’imprégner de cette folie et ce sont mes passages préférés. Elle se durcit pour dériver vers quelque chose de désarticulé. Sur la fin de That’s not me, par exemple, ou dans Close the door, qu’on pourrait carrément rapprocher du post-hardcore d’un Drive like Jehu.

Bref, oneUp est un grand disque de rock mauvais où un groupe s’approprie une forme pour exprimer quelque chose de personnel. L’essence du punk, quoi.

Et ça s’écoute ici.

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TBTWMUHF, « Sweet sleeping flow »

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Les Anneciens de The beauty the world makes us hope for, déjà auteurs d’un LP, ont publié un nouveau titre sur leur bandcamp. 5″34 pour ce Sweet sleeping flow, par les temps qui courent ça fait presque format court et c’est rien à côté des deux titres de leur album, tournant à plus de 10 minutes.

Petits motifs fragiles se répétant, d’abord timidement, puis s’affirmant avec de plus en plus de confiance, jusqu’à éclore dans de grands accords ouverts.

Le morceau est construit sur une longue montée (plus ou moins) dramatique, comme il se doit dans ce post-rock à guitares et à cymbales, mais qui n’ira jamais vers l’explosion, préférant bifurquer, tomber brusquement à genoux pour se remettre en marche ensuite.

Le groupe reste fidèle à son parti-pris de douceur, baignant sa musique dans une réverbe cotonneuse, propice au rêve éveillé, comme un moment de lumière rasante de fin de jour.

The beauty the world makes us hope for, une certaine idée du bonheur.

https://tbtwmuhf.bandcamp.com/

 

Barré #5

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Ce webzine étant consacré avant tout à la scène locale, on va prendre comme prétexte le fait que le magazine Barré est domicilié à Saint-Etienne (pas si loin) et que deux articles se rapportent à Grenoble (encore plus près).

Barré, c’est donc un magazine – une revue plutôt –  qui en est à son 5e numéro et qui a l’ambition d’apporter une information et un point-de-vue différents. « Contre-culture, déviances et autres initiatives », dit la page de couverture. Et ce numéro tient plutôt bien son programme. La contre-culture est bien représentée avec une rétrospective sur le magazine freak (comprenez : hippie) québécois Mainmise, les comics louches de « Crime does not pay » et l’écrivain Claro. Il y a aussi une interview du dessinateur JM Bertoyas, qui, même si on ne connait pas ses dessins, est très intéressante à suivre. Des dessins bien barrés et une démarche qui n’a l’air vraiment pas conventionnelle, pour le coup. La déviance est surtout politique avec une interview de Pièces et Main d’oeuvre, collectif grenoblois critique (ha, le mot est faible) des nouvelles technologies, un démontage de la compensation écologique qui transforme la nature en monnaie d’échange et un super reportage photographique sur Hong-Kong et la révolution des parapluies (j’avais jamais vu de photos, c’est très impressionnant de voir ces autoroutes bloquées par les campements des manifestants puis nettoyées de toute trace et rendues aux bagnoles et au commerce quelques jours après). Sans oublier un petit voyage à Cuba pour voir comment on vend la révolution aux touristes. Enfin, les initiatives ne sont pas en reste : un reportage sur un savon anti-paludisme, un super article sur les alliances citoyennes – des collectifs qui réunissent les habitants d’un quartier et des militants spécialistes de l’organisation politique dans des actions directes non-violentes autour de thématiques propres aux habitants. Et enfin, une rubrique « Fais-le toi-même » explique comment fabriquer un mini-micro/capteur, le micro Piezzo.

Bon, y’a un article sur les origines du football espagnol, aussi. J’ai pas réussi à le mettre dans une des trois cases… Déviances, je pense.

En fait, un peu comme ce qu’avait entrepris L’Oeil électrique en son temps, Barré ressemble à ce que pourraient produire des punks qui auraient grandi, voyagé, fait des études et auraient assez d’argent pour s’acheter un appareil photo. D’ailleurs, en parlant de punk, c’est un de mes seuls regrets : à part des suggestions pour une « anti-discothèque idéale » des années 70, ce numéro ne comporte pas d’articles sur des groupes punks ou affiliés (Headwar dans le #2, punk texan dans le #1), qui auraient pu devenir la marque de fabrique du magazine.

Ce #5 a failli ne pas sortir, il s’en est fallu de peu, et surtout d’un financement participatif presque réussi, pour que l’initiative prenne fin, et la contre-culture et les déviances avec. Ils ont un joli site web où on peut s’abonner et commander tous les numéros, qu’on trouve aussi dans les bacs de quelques distros aux concerts.

http://barremag.info/

« Cosmos en sous-sol » (Loubatière/Messon, Pauvros/Kawabata – Cave12, 6 novembre)

DSCN2722.JPGCyril Messon est un jeune guitariste aux projets très divers, dont Noyades qui vient de sortir son album,  et son duo improvisé avec le batteur Rodolphe Loubatière attise la curiosité.

Ils joueront une assez longue pièce d’une trentaine de minutes, s’ouvrant en mode décalé/syncopé, comme souvent dans cette musique « libre » mais qui a aussi ses gimmicks, pour bientôt plonger dans un torrent de notes et de roulements.

L’énergie est là, mais on ne quitte jamais vraiment l’impression de flux ininterrompu et c’était un peu frustrant que ce flux ne se fixe jamais ou trop rarement dans une forme, si éphémère soit-elle. Alors que le duo se réclame (entre autres) du noise-rock dans sa bio, de noise-rock, je n’ai point entendu.

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Je ne pouvais pas rester longtemps pour le concert du duo suivant, Jean-françois Pauvros/Makoto Kawabata. Leur performance promettait d’être un trip dont ni la durée ni l’intensité sonore n’était connue. On savait juste que ça pouvait atteindre des dimensions cosmiques. L’ouverture sur des notes éthérées jouées à l’archet sur les deux guitares électriques semblait déjà flotter en apesanteur dans la stratosphère. Dieu sait où ils ont fini.

« Top of the pop hardcore punk ! » (Crude Caress,Hello my name is, Youth avoiders – La Makhno, 28 oct)

afficheOutre leur nom rigolo, Crude caress fait du street-punk réglé comme du papier à musique. Par contre il n’y avait pas de choeurs. Ils ont peut-être oublié.

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Le côté ultra carré a quelque chose de pas déplaisant et les Suisses gratifieront leur public hypnotisé d’ une reprise de Time for living des Beastie boys…

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Hello my name is est un jeune groupe de Lausanne qui a sorti un album il y a peu et a l’air de beaucoup jouer. Passé la surprise du chant en français (avec ce nom, je m’attendais à de l’anglais), le groupe enfile un set de punk-rock fluide et bien rodé. Le skate-punk leur coule des doigts. La voix est assez rauque, en anglais elle pourrait faire penser à Hot water music, mais en français, ça avait des accents assez rock.

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Si la salle était un peu calme pour les lausannois (bon en même temps on n’est pas obligé d’être toujours tout fou, hein), elle ne résistera guère aux hymnes hardcore-punk de Youth avoiders. Faut dire que leurs morceaux pied au plancher sont sacrément entraînants. Plus que ça même. Il y a une folie, quelque chose d’intense et d’urgent qui rappelle le hardcore originel, celui de Minor threat ou de 7 seconds.

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Et cette voix, cette putain de voix juvénile qui s’étrangle de fureur. Waouh. Finalement, la différence entre un bon groupe de hardcore et un super groupe de hardcore, c’est souvent la voix, non?

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Par contre le set sera vite consommé (y aurait-il du minutemen chez le Youth avoider ?). Live fast. Et c’est parfait comme ça. Ca laisse le temps de jeter un oeil dans les bacs conséquents des distros présentes (In-Humano et Culture famine), sans lesquelles le punk ne serait pas le punk.