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Rangée de surfaces planes, opaques. Quasi-monochromes francs, texturés. L’oeil qui s’approche détache tout à coup des silhouettes fantomatiques. Un pylone, l’ombre d’une installation, la forme d’un bouquetin, la ligne de crête d’un sommet. Le Mont-Blanc et sa chaîne, carte postale des cartes postales, découpé en un tryptique momumental – « L’halali » – noyé sous des volutes de brun. Des couleurs qui bercent l’oeil mais ces anti-apparitions suscitent des réactions mélées, entre la surprise de la rencontre et l’angoisse de l’effacement.
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Johanna Perret est une jeune plasticienne travaillant dans la vallée de l’Arve, dont les thématiques artistiques sont étroitement liées au lieu qu’elle habite. L’exposition « Soluble », visible à l’Angle de janvier à mars*, présentait plusieurs séries de tableaux et une installation, tous créés pour l’occasion. Aux représentations figuratives vulnérables, menacées de disparition, répondent les peintures abstraites. Précipités de couleurs irisées (cet effet arc-en-ciel des flaques de carburant des stations-services mais qui, ici, fait d’abord référence aux huiles utilisées dans les usines de décolletage, appellées justement « solubles »), by-product industriel élevé au rang d’objet esthétique, matériau qui prend le pas sur la représentation et prend en charge la signification.
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Les tableaux dialoguent eux-mêmes avec une installation d’amas de pierres gris-bleu, disposés à même le sol ou dans les cagettes métalliques où les décolleteurs faisaient tomber leurs pièces. Matérialité pure. Millénaires en miettes. Montagne concassée. Montagne matériau, mise à disposition, offerte au regard sans mode d’emploi, qui interroge silencieusement l’usage que nous faisons du monde et son histoire.
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Les artistes qui portent un regard à la fois esthétique et politique sur le lieu où ils vivent – notamment en région de montagne – ne sont pas légions et ceux dont le travail est lisible, accessible à tous, encore moins. « Soluble » est une découverte enthousiasmante, un projet et une artiste qui donnent envie de les suivre et qui trouveront, espérons, le public large qu’ils méritent.
*Mise à jour juin 2020 : l’exposition est encore visible à l’Angle jusqu’au 26 juin sur RDV.
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