« An intimate evening of words and songs with Patty Smith » disait le programme du festival Antigel. L’écriture et le chant, qu’est-ce qui peut mieux définir l’art de la fameuse poétesse rock ?
Elle choisit quelques poèmes. Et, surtout, lira des extraits de Just kids, le récit autobiographique candide de ses jeunes débuts à New-York, de sa rencontre avec Robert Mapplethorpe et de sa mutation progressive en artiste. Pas de fioriture chez Patti Smith : l’écrit est là pour partager l’émotion du souvenir et rendre hommage. Robert Mapplethorpe, Jean Genet, Fred « Sonic » Smith (son mari, guitariste du MC5), William Blake, parmi les figures évoquées et chéries. La petite histoire, celle d’une adolescente sans-le-sou débarquée dans les avenues de la Grosse pomme avec pour bagage son amour fou de la littérature, se mèle à la grande, celle de l’art au XXe siècle, celle que retiennent les livres.
Sur scène, elle est accompagnée par son fils, le guitariste Jackson Smith. Quand elle ne lit ou ne chante pas, Patti Smith plaisante avec le public et, au milieu de ses livres, de ses feuillets, de sa guitare et du micro, se trompe, se perd. Et son fils de jouer son rôle de fils, prévenant, enclenchant sa pédale lorsqu’elle a omis de le faire ou lui rappelant l’ordre des morceaux. Les deux jouant ainsi au public un petit numéro de comédie familiale assez charmant.
Mais lorsqu’elle chante, Patti Smith n’a plus rien d’une vieille dame perdue. La flamme de ses hymnes habités, comme « Ghost dance », est toujours vivace, soutenue par la guitare avisée de Jackson Smith aux accents Americana. Sa voix, qui ressemble avec l’âge de plus en plus à celle de Lou Reed, mêle inextricablement tendresse et colère, au point que les deux soient indiscernables. D’ailleurs, qui peut dire si « Because the night » (dont elle racontera l’écriture – en fait un tube de Bruce Springsteen, qu’elle a d’abord dédaigné et dont les paroles lui sont venues dans un moment de désœuvrement et de frustration), qui peut dire si cette chanson est une chanson d’amour ou bien de défiance et de détermination ?
A plusieurs reprises, elle évoque l’état du monde, la situation politique, fait lever les poings, appelle à la désobéissance. Le fil rouge qui parcourt son œuvre, c’est une haute idée de l’artiste, héritée du romantisme et incarnée dans le rock, dans laquelle création, poésie et insoumission se mêlent et sont inséparables. Il y a peu, elle disait : « Aujourd’hui, il y a une nouvelle tendance qui est d’approcher l’art avec une vision entrepreneuriale […] Pour moi, ce n’est pas de l’art, c’est autre chose : une forme d’expression liée à la culture et aux réseaux sociaux. »* Au vu du prix du billet d’entrée, on est loin des idéaux alternatifs du punk, mais Patti Smith porte encore et toujours cette vision intempestive, incandescente, de l’art.
Heureux d’avoir pu en être le témoin ce soir-là.
* Interview parue dans Les Inrockuptibles, n°1063.