« Apologie de la déviance » (Child abuse – Cave12, 15 sept.)

Toujours avoir un oeil sur la programmation de Cave12. Surtout pour tout ce qui touche aux formes de rock déviantes et inespérées. Child abuse, trio new-yorkais obscur au nom en forme d’atteinte à la morale la plus élémentaire, déjà entrevu il y a cinq ans dans le même lieu. Secousse à fortes séquelles, déjà. En tournée pour la sortie de son quatrième album. Impossible de ne pas être là.

Pas d’éclairage au néon porté en pendentif cette fois-là. Ils ont gardé leurs combinaison couleur alu, par contre. Guère plus rassurants, en pleine lumière. Humour disjoncté et ambiance torve. Concerto pour enclume.

Les membres de Child abuse trempent depuis de longues années dans la scène expérimentale new-Yorkaise. La batterie labyrinthique d’Oran Canfield, la basse fretless en déraillement permanent de Tim Dahl (également membre de Retrovirus avec Weasel Walter et Lydia Lunch) et sa voix grand-guignolesque qui fait parfois penser à Shorty et les stridences viciées du clavier qui achève de faire définitivement de la musique de ce groupe un hochet cassé qui ne tourne pas rond. Pas étonnant qu Eric Paul – la voix de Arab on radar et aujourd’hui Psychic graveyard, avec lesquels Child abuse a d’ailleurs joué – fasse une apparition sur leur disque. Les grands malades se rencontrent.

Leur musique est une rafale sans fin, un point de fuite indéfinissable, une coagulation violente de courants contraires.  Déluge de décalages math-rock, free-jazz désarticulé, sauvagerie death-metal. Pas d’autre choix que de se laisser prendre par le maëlstrom. Retiens ta respiration et laisse-toi emporter par le fond.

Un petit tour à la table de merchandising à la fin du concert donne pourtant une impression assez sympathique des individus. Le batteur te propose même Long past stopping, l’autobiographie qu’il a publié il y a quelques années. Et donc, tu te retrouves avec un tee-shirt portant fièrement l’inscription « Abus d’enfant » ainsi que les mémoires d’un héroïnomane.

Mais sinon tout va bien.

>>>>>>>>>> CHILD ABUSE

« Le rock’n roll dans les veines » (Lydia Lunch / Big Sexy Noise – Théâtre de l’Usine, 19 nov.)

 

 

Le truc fou avec Lydia Lunch, c’est que je suis persuadé de l’avoir déjà vue, quelque part à la fin des années 90, dans un café à Londres, je crois. Ca devait être une lecture, mais j’en ai absolument, mais alors absolument, aucun souvenir. J’ai dû y aller un peu comme ça, à l’époque, bon bref, cette fois c’est avec beaucoup de curiosité qu’on a pris nos places pour ce concert qui se déroulait au théâtre de l’Usine – pas du tout une salle avec des places assises comme je le craignais mais quelque chose qui ressemblait plutôt bien à une salle de rock. Nickel.

Même pas encore montée sur scène que le show de Lydia commence. Elle blague avec le public, des connaissances peut-être ou des inconnus. A l’aise, on sent la bête de scène, en toute simplicité. Et puis on est quand même venue voir Lydia Lunch, icône punk/no-wave, auteure et performeuse sulfureuse, égérie de la scène underground new-yorkaise depuis des lustres. Le public est composé de gens de tous âges mais il est chaud. Il veut Lydia et il veut du show.

Je trouvais un peu gonflé d’appeler son groupe Big Sexy Noise. Big sexy noise, ça va, tu te la racontes pas un peu, là ? Mais en fait, peu à peu, j’ai compris. La musique de ce groupe a vraiment quelque chose de sexuel. Mais d’abord, faut quand même dire un mot sur le groupe – parce qu’on parle sans arrêt de Lydia Lunch mais les deux autres, c’est pas n’importe qui. D’abord, il y a James Johnston, c’est le guitariste de Gallon drunk mais aussi des Bad seeds de Nick Cave et Faust sans compter toutes les collaborations hallucinantes, hein. Et puis, il y a Ian White, batteur des Gallon drunk aussi. Donc, quelque chose de sexuel, je disais. Ouais. Un son sale et chaud et dévergondé à la Stooges. Des accords bluesy plaqués crânement, rien en trop, du grand art. L’incroyable James Johnston qui tombe à la renverse sur la scène comme s’il avait vingt ans, comme Nick Cave ne le fera jamais plus. La batterie primaire et vibrante, qui est là pour cogner, pour te rentrer dedans et pas autre chose. Le putain de rock’n roll au bout des doigts, la classe mais la classe absolue, quoi.

Et puis Lydia. Selon les morceaux, son chant oscille entre spoken-word mordant, imprécations rageuses et des passages chantés aussi, où tout à coup elle a une grâce et que j’ai trouvés vraiment beaux. Lydia Lunch, elle a presque 60 ans mais elle est tellement naturelle et libérée sur scène que parfois tu la vois à 20 ans. Tu la vois vraiment et il y a quelque chose d’extrêmement touchant là-dedans.

Et tu comprends un peu pourquoi elle a passé sa vie à faire ça, monter sur scène et mettre en scène l’ordure et la dégradation à sa manière provocante, pour en faire de l’art. Une forme d’art, en tous cas. Une façon d’affirmer et de prouver qu’elle est vivante, plus vivante que jamais.