Nevraska, « I left work on my way home December 1st, 1955 »

On n’arrête Nevraska pas comme ça. Malgré une conjoncture pas franchement favorable, le duo annecien garde la tête froide, contourne les obstacles, joue serré et présente son deuxième album en temps et en heure (pas franchement comme cette chronique qui a mis bien du temps à venir). Placé sous le signe du mouvement des droits civiques US (le bus, Rosa parks), ce nouveau disque est emballé dans une fort jolie pochette en forme d’hommage à la fois à un certain groupe post-hardcore suédois et au graphisme classique des disques de jazz. Jérémy – dit « Kick » – a remplacé Cyril derrière les fûts mais comme il jouait auparavant dans Human side avec Pascal (basse), on reste en famille.

Changement dans la continuité, donc, et on retrouve sans peine sur ce disque la formule explosive et cinématographique qui fait tout le sel et le charme du duo. Joutes rythmiques de haut-vol, tir nourri, répétitions qui font monter une électricité affolante et te traversent de part en part, magnifiée par le son à gros grain forgé dans le studio de Serge Morattel. Les samples – souvent des enregistrements de voix, récits, monologues – font contrepoint et donnent aux morceaux leur caractère narratif. Un peu comme une hybridation sous les auspices de Doppler et de Microfilm, en quelques sortes.

Mais « I left work on my way home December 1st 1955 » réserve aussi son lot de surprises. Des invités apportent leur touche et diversifient la palette. Sur le morceau d’ouverture aux accents émo-rock, « Nothing to live with the law, c’est la voix de Benjamin Prieur – qui avait été un temps pressenti pour être le chanteur du groupe mais qui est surtout celui de Nurse, autre groupe très marquant issu du même coin. Le duo s’essaye à un morceau délicat et noisy – « A bit more » – avec une colonne vertébrale électronique et un chant féminin aérien. Des gerbes d’un saxo étranglé jaillissent sur le final furieux de « Hornet vision », une guitare bluesy qui fait « Interlude » et porte le récit de Rosa Parks et un chant parlé (bon, ok, c’est moi…) sur le final de « Invisible walls » – morceau ultra efficace et absolument imparable en concert. Dans le sillage des expérimentations de Human side, Nevraska concrétise un peu plus les envies d’ouverture affichées depuis ses débuts.

Loin du lyrisme, des poses ou du formalisme convenu qui sévissent dans les scènes post-hardcore ou post-punk, Nevraska est un groupe libre, qui ne prend ses ordres de personne et n’aspire qu’à faire une musique vivante et vibrante – ou des « ziks cools », comme le dit Pascal avec son sens de la formule lapidaire. « Vous voyez la rage ? Vous voyez la jubilation ? Vous les trouvez difficilement compatibles ? Et pourtant… » dit encore le texte de présentation de l’album… Ce programme, Nevraska le tient parfaitement. Fonce découvrir cette pépite qui crépite.

Nevraska, I left work on my way home December 1st 1955 (GabuRecords, Urgence disk, Après vous records)

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