Top 10 2017 discipline : Laurent Tuco

 

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Suite de l’opération Top 10 2017 avec Laurent, bassiste de cette machine de guerre qui s’appelle Tuco, dont un album devrait d’ailleurs sortir assez prochainement. Sa contribution fait partie des textes qui dépassent largement ce que j’imaginais au départ et je ne peux pas m’empêcher de repenser au projet de webzine collectif qu’il m’est arrivé d’évoquer avec plusieurs personnes, qui n’a pas vu le jour pour l’instant mais dont ces textes sont comme une esquisse…

Pas évident de faire une rétro de mes highlights de l’année 2017, tant cette année a été difficile. Après la mort de mon fils, tout juste né, en novembre 2016, je me suis retrouvé choqué, hébété, incapable d’effectuer les tâches les plus simples. J’ai passé 2017 à ré-apprendre toutes ces choses qui me semblaient évidentes jusqu’alors. Dans ce contexte, la musique, normalement si omniprésente, a disparu de ma vie durant plusieurs mois. Je n’étais plus capable de me passer un disque. Ça me paraissait hors-propos. Je n’écoutais plus rien. Ayant commencé à faire du yoga assez régulièrement, je me suis mis à passer un peu de son durant mes pratiques, d’abord des ragas indiens, puis des drones. Progressivement, j’augmentais le volume et l’effet apaisant s’intensifiait. Une chose en entraînant une autre je me retrouvais à faire une demi-heure en position inversée avec Earth 2 à plein volume. Je ressortais de ces séances comme nettoyé de l’intérieur. Du coup, j’aimerais mettre en première position de mes highlights 2017 le fait de pouvoir de nouveau écouter de la musique. Pendant un temps, je croyais ce plaisir (ce besoin) disparu, comme tant d’autres dans cette tourmente. Les quelques disques qui m’ont aidé à reprendre goût à la musique:

– LaMonte Young & Marian Zazeela « The Tamburas Of Pandit Pran Nath »: un long morceau hypnotique, en hommage à Pandit Pran Nath, un maître des ragas indiens traditionnels. Un disque instrumental, avec comme uniques instruments des tamburas. Un disque à écouter au casque, ou à haut volume, avec du temps devant soi afin de pouvoir apprécier toutes les modulations et les micro-variations qui font vivre le morceau.

– ‎Earth « Earth 2 »: un véritable classique. 70 minutes de saturation abyssale. Ce son massif écrasant érode le mental et finit par l’annihiler complètement, laissant la place à un sentiment d’espace, de légèreté.

– ‎Terry Riley « Persian Surgery Dervishes »: près de 90 minutes de vagues d’orgue électrique. Construit à partir de simples motifs très courts tournant en boucle, quelques éléments de thèmes font leurs apparitions cà et là, laissant l’auditeur dans un état de confusion et de perte de repères.

J’ai eu la chance de pouvoir assister à quelques concerts qui m’ont marqué: – Oranssi Pazuzu – l’Usine, Genève. Dans le cadre des Doom Days, les Finlandais d’Oranssi Pazuzu m’ont foutu une claque monumentale. Après avoir écouté en boucle leur dernier album (Värähtelijä) à sa sortie et les avoir vus dans des conditions pas optimales au Roadburn, je savais plus ou moins à quoi m’attendre, mais ils ont quand même réussi à m’exploser le cerveau avec leur mélange improbable de black metal et de space-rock.

– Enslaved et Ulver – Impetus, Les Docks, Lausanne. Depuis mon adolescence et la sortie d’Eld (en 1997), j’ai toujours eu un faible pour Enslaved et je les ai toujours suivi de près ou de loin. En une heure de concert, ils ont réussi la performance assez improbable de ne jouer aucun morceau de mon top-15, mais de me faire apprécier chaque minute du concert, ce qui en dit long sur la qualité de leur répertoire. En plus, il faut dire que c’est un peu le groupe le plus sympa-bonnard sur scène, zéro prise de tête, contents d’être là, drôles, c’est rafraîchissant. Ulver, pour moi c’est resté ce groupe de black qui a sorti le sauvage Nattens Madrigal en 1997, c’est dire si je suis à la page. Quand je me suis rendu compte qu’il n’y avait même plus de guitare et qu’ils commençaient à envoyer des tracks à la Depeche Mode, je me suis dit que je n’allais pas faire long feu. Bizarrement, la sauce a commencé à prendre et je ne sais plus trop ce qui s’est passé, mis à part que c’était fort, rythmique, bruitiste, expérimental, agréable, et que j’en voulais davantage à la fin du concert.

– Acid Mothers Temple – RKC, Vevey. Difficile de ne pas être un peu blasé avant d’aller voir un groupe qu’on a vu une bonne dizaine de fois. A vrai dire je me suis bougé uniquement car c’était à moins de 10 minutes de chez moi et qu’un pote m’a tanné le cul durant plusieurs semaines. Et c’était monstrueux. Comme chaque fois j’ai envie de dire. Ce groupe c’est de la drogue. En fait, à chaque fois que je les vois, je me dis que c’est le meilleur groupe sur Terre.

Quelques disques de 2017:

– Bell Witch « Mirror Reaper ». Un disque touchant, de deuil. Des parties funeral-doom mélodiques et maîtrisées qui alternent avec du slowcore chanté à la Low. Un disque vraiment beau.

– Elder « Reflections of a Floating World ». Du sludge progressif de haut niveau. Je les avais vus en live sans les connaître en 2015 et je m’étais pris une jolie claque. Avec ce disque, ça va assez loin, mais ils arrivent toujours à s’arrêter avant l’indigestion.

– Ulver « the Assassination of Julius Caesar ». Un disque très pop. J’aurais pensé détester mais en fait j’adore.

– Quicksand « Interiors ». Je ne l’ai pas encore beaucoup écouté, mais merde, un nouvel album de Quicksand !

– Power Trip « Nightmare Logic ». Un disque de thrash 80s fun, catchy et complètement assumé. J’adore la track « Executioner’s Tax ».

Disques de 2017 que je n’ai pas encore (assez) écoutés :

– Amen Ra « Mass IV »

– All Pigs Must Die « Hostage Animal »

– Converge « The Dusk in Us »

– Spectral Voice « Eroded Corridors of Unbeing »

Unsane « Sterilize »

– Whores. « Gold »

– Full of Hell « Trumpeting Ecstasy »

– Ex Eye « Ex Eye »

>>>>>>>>>>>> TUCO

Tuco, EP

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Rétropédalage de grande ampleur pour cette chronique d’un EP autoproduit sorti en… 2010. En même temps, le groupe de Duillier (Suisse) a lui-même pris un break de plusieurs années entre-temps avant de revenir aux affaires et puis, après tout, on s’en tartine, non ?

Quatre titres qui, de toute façon, méritent amplement le coup de rétroviseur. Coulés dans le même plomb, la même matière brûlante sortie du studio de Serge Morratel. Batterie poid-lourd dépassant rarement le mid-tempo, grondements de basse ferrailleuse et guitare abondant dans la distortion et la dissonance. Noise-hardcore dans le sillon d’Unsane, forcément sanglant. Même si leur référence c’est plutôt Keelhaul, d’où ils tirent leur nom.

Mais n’allez pas croire que la musique de Tuco est monobloc ou que leurs morceaux soient interchangeables. Au contraire, sous des dehors bas du front, ça ruisselle de variations finaudes, d’idées poussées dans leurs retranchements et de rebondissements. Numb et son riff poussé inexorablement en guise de longue intro, jusqu’au coup de turbo stoner speedé génial. Point. Line. Plane., Looters et leurs gros riff ventrus se mariant avec des arpèges grinçants, dans une conception toute neurasthénique de la mélodie, bien propre au noise-rock.

C’est d’ailleurs une constance chez Tuco, cet alliage de puissance et de passages atmosphériques. Mais attention : ici, le muscle reste bandé. Pas de tentation post-hardcore blafarde, ni de chute dans le doom cafardeux. Et, dieu merci, Tuco n’est pas un groupe instrumental de plus. Même dans The Beef patrol, une voix finit par se frayer un chemin entre les rouages de la machine, une voix exaspérée, semblant lutter avec le manque d’air, qui donne à la musique du groupe comme un air de parenté avec Pord. Autres tailleurs de pierre avec les dents mais situés côté français, dans les Cévennes.

Bref, en un mot comme en cent, Tuco frappait avec ce premier EP un putain de grand coup. Et c’est donc avec un plaisir non-feint qu’on voit le groupe reprendre du service et encore plus préparer un nouveau disque, prévu quelque part courant 2017.

 

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Interview : TUCO

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Des gros riffs qui tournent en boucle, façon Panzer division, striés parfois de fulgurances où l’atmosphère se fait changeante et les accords inattendus… Ce que j’avais entendu de Tuco m’avait bien mis les crocs. Un concert – manqué –  à Urgence disks le 25 février dernier et la petite vidéo qui allait avec n’avaient fait qu’aiguiser cette frustration. J’ai donc décidé d’envoyer quelques questions au jeune groupe suisse originaire de Duillier, histoire d’en savoir un peu plus…

Vous avez enregistré un EP en 2009/2010. Qu’est-ce qui s’est passé pour vous depuis ?

Laurent (basse, voix) : Ouais, ça fait un peu groupe de branlos tout ça… En fait, le timing n’aurait pas pu être beaucoup plus mauvais que ça. On l’a enregistré en août 2009, et je partais voyager avec ma copine pour 9 mois en septembre. Quand je suis rentré de voyage, Michel (guitare) décidait de partir pour travailler à Zürich, où il est resté 3 ans environ. Bon, lui n’a pas chômé là-bas, car il a vite rejoint Gletscher (post-rock), où cette fois il jouait de la batterie. Quand il est revenu, on s’est tout de suite dit qu’on allait reprendre Tuco, mais cette fois-ci c’était Patoche, notre batteur à l’époque de l’enregistrement, qui n’était plus de la partie, maintenant il fait bouger des culs dans Lord Makumba, un groupe d’afro-beat basé sur Genève. Du coup, on a demandé à Seb (batterie) de nous rejoindre. On le connaît depuis toujours et il venait de quitter Mumakil pour des raisons de problèmes récurrents au poignet. Ça a pris un peu de temps pour qu’il puisse se remettre à jouer normalement, mais maintentant ça roule nickel. Du coup, on s’est remis à composer et à répéter régulièrement, et on espère que ça va continuer comme ça!

Tuco, c’est le personnage d’une série, je crois. Pouvez-vous nous en dire un plus sur le choix de ce nom et cette inspiration ?

Laurent : Ah ouais, c’est le narcotrafiquant dans Breaking Bad. En fait, quand on a commencé la série n’existait pas encore. Tuco, c’est plutôt un double hommage: premièrement, c’est le personnage « The Ugly » (le truand) dans le film de Sergio Leone, on s’est dit que ce bandit mexicain dégueulasse, ça correspondait assez bien avec notre musique. Ensuite, c’est un hommage au groupe Keelhaul qui nous a beaucoup influencés, où Tuco est le nom de la première track de leur premier album.

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Pour vous, cette musique, c’est juste de la musique ou y a-t-il également un esprit et des idées ?

Laurent : Bon c’est clair que c’est la musique qui importe le plus. En fait, au début on avait commencé en groupe instrumental avant qu’on ne se rende compte qu’il manquait quelque chose, la voix. Je me suis fait désigner volontaire et dans la composition on pense à la voix en termes de « Ah ouais, ce serait bien d’ajouter du chant sur cette partie bourrine », sans aller beaucoup plus dans les détails. Pour revenir aux idées, nous n’avons jamais pensé à Tuco comme un vecteur pour promouvoir des idées. Par contre, il est à mon avis impossible de ne rien laisser transparaître de ce qu’on pense ou ressent, et quelque part cela se retrouve dans notre musique. En fait, on ne cherche ni à cacher ni mettre en avant certains aspects de nos personnalités. Ce que l’on recherche, c’est créer des émotions quelles qu’elles soient chez nos auditeurs. Tuco est un espace où chacun d’entre nous peut se laisser aller, ce qui la plupart du temps signifie raconter des blagues moisies entre les morceaux.

Le visuel de votre EP fait un peu penser à l’esthétique communiste ? Qui l’a réalisé ?

Laurent : Ah ouais, merci, en fait je ne l’avais jamais vu comme ça. C’est Manon Roland (http://www.manonroland.ch/), une copine illustratrice qui l’a fait. Elle est super talentueuse et fait plein de trucs : illustrations, graphisme, animations. On lui a donné carte blanche, on voulait juste que celà représente le côté brut, sans fioritures de notre musique. On a été super contents du résultat. Je vais lui dire, cela lui fera plaisir.

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Et en passant, que pensez-vous de l’idée du communisme ? Etes-vous à l’aise dans la société, disons, libérale et matérialiste dans laquelle nous vivons ?

Laurent : Alors l’idée du communisme est bonne, mais se base sur une conception assez optimiste de l’être humain où tout un chacun réalise que le bien commun s’aligne avec le bien individuel. Je ne pense pas que l’humain ait atteint un tel niveau de développement, à mon avis les intérêts personnels primeront toujours sur le bien commun, même si le système global en pâtit. Comme tu le vois, je ne suis guère optimiste, mais c’est mon avis personnel. Après, au niveau de la mise en application du communisme, le tableau est absolument accablant, avec des privations de libertés inacceptables. Si tu regardes maintenant, la plupart des pays qui ont un régime officiellement communiste au pouvoir pratiquent le libéralisme économique, et ne gardent que le régime totalitaire en tant qu’état-flic (je pense notamment à des pays comme la Chine ou le Vietnam, dont je suis originaire).

Après, je ne suis pas fan de la société ultra-libérale dans laquelle nous vivons. Lire que les 60 plus riches possèdent autant que la moitié de la population la plus pauvre fout clairement les boules. Après, on se rend compte du bol immense d’avoir grandi en Suisse, où la liberté de penser et de s’exprimer est généralement garantie, où on bénéficie d’une éducation de qualité et des perspectives personnelles et professionnelles. Dans ce contexte, je me vois mal cracher dans la soupe, même si nos privilèges ont un coût pour le reste de la planète. À la fin, la chance que nous avons de vivre dans cette société est que nous pouvons faire des choix, ce qui au niveau global est un luxe.

Comment s’est passé votre concert à Urgence disks ? Avez-vous apprécié de jouer dans ce lieu ?

Laurent : Alors oui c’était super. Damien d’Urgence Disk a été hyper-classe : nous a invités, nous a fait la promo, nous a nourris, nous a filé des bières, nous a filmés et nous a encore donnés l’argent des entrées.

Quels sont vos projets ?

Laurent : Dans l’immédiat, notre but est de donner le plus de concerts possible et de continuer à progresser et composer. D’ici la fin de l’année, on aimerait bien enregistrer les nouvelles compositions (EP ou LP, à voir).

Merci beaucoup ! Voulez-vous rajouter quelque chose ? Une petite blague ? Un message qui vous tient à coeur ?

On ne dira qu’une chose : Le général est arrivé à pied par la Chine mais Superman a une bouille incroyable.

https://tuco12666.bandcamp.com/releases