« 666 révolutions par minute » : une interview de Hazam/Instant bullshit

On n’écoute pas de la musique tout seul. On l’écoute parce quelqu’un vous a dit de l’écouter. Au fil des publications pour lesquelles il a écrit – actuellement son blog Instant bullshit -, Hazam ne cesse de dérouler une pelotte de musiques déviantes et intranquilles. Punk, noise, musiques expérimentales ou avant-gardistes, selon l’humeur et les rencontres. Chroniques de disques, reports de concerts, défilé non-stop d’écrits souvent labyrinthiques. Je suis allé l’interrompre un moment avec quelques questions.

Hello Hazam, quand as-tu commencé à écrire ? Peux-tu nous faire un historique des publications et supports pour lesquels tu as écrit ?

J’ai d’abord commencé par faire de la radio, j’étais au lycée, j’écoutais déjà beaucoup de musique et j’ai trouvé dans la radio le moyen de faire quelque chose avec ce qui était devenu pour moi une passion et celui de découvrir toujours plus de groupes, de disques, de musiques. Lorsque j’ai pu légalement partir de chez mes parents j’ai débarqué dans la grande ville la plus proche (Lyon) où j’ai cherché et rapidement trouvé une radio qui me corresponde : c’était Radio Canut où je suis resté une douzaine d’années. À radio Canut je faisais des émissions seul aussi j’ai commencé à parler de plus en plus entre les disques que je passais et c’est ainsi que j’ai commencé à écrire, d’abord des simples notes puis de véritables petits textes. D’autres à Canut – Jean-Mi, futur Bästard ou Stef, futur boss du Sonic – ont fait exactement le chemin inverse et ont choisi de ne plus parler et au contraire de mélanger les disques, les sons et de se diriger vers toujours plus de création sonore. Puis j’ai rencontré des gens qui m’ont proposé d’écrire des articles pour des supports papier (et après pour des sites internets) et depuis je continue d’écrire, principalement pour moi, pour ma propre gazette.

Ursa

Tu as collaboré à plusieurs webzines comme Le Zèbre ou Perte & fracas, et tu es revenu à un support individuel, le blog Instant Bullshit, y a-t-il une raison particulière ?

J’ai aussi écrit pour un journal papier gratuit lyonnais à tendance culturelle généraliste pendant presque quinze ans, j’ai un temps collaboré à un journal musical national distribué en kiosque mais finalement je suis un solitaire et un égoïste, je préfère travailler pour ma gueule, sans compter que j’ai un sérieux problème avec les connards pour qui dans les mots « rédacteur en chef » c’est le « chef » le plus important (cette remarque fonctionne aussi avec « directeur de publication » et « directeur »). Ce qui ne m’interdit pas de prendre part à des projets collectifs de temps en temps, si on me le demande et bien sûr si cela me branche (par exemple l’année dernière j’ai écrit un ou deux textes pour un livre).
Pour moi écrire est quelque chose de vital mais je n’ai aucune imagination, je ne sais pas inventer des histoires et réfléchir n’est pas mon fort non plus donc écrire sur la musique et chroniquer des disques me permet de conjuguer deux des trois ou quatre choses parmi les plus importantes dans ma vie et en même temps cela me donne un cadre, des contraintes, et donc l’énergie et les idées nécessaires pour assouvir ce besoin et cette envie d’écriture. Ceci dit l’expérience Perte & Fracas a été essentielle pour moi, elle s’est déroulée en deux temps et lorsqu’en 2014 Xavier est revenu vers moi pour que je réécrive dans Perte & Fracas cela m’a en quelque sorte sauvé, j’étais au bord de graves problèmes personnels et d’épreuves de vie et écrire pour PeF a alors été salutaire. Il y a dans certaines chroniques écrites à cette époque et un peu plus tard des mots qui parlent de tout ça, du fracas de l’existence, de la chute, de la dépression, des amours perdues, de la mort. Puis j’ai laissé tomber Xavier et Perte & Fracas sans crier gare, assez lâchement, parce que je n’en avais plus besoin, et je ne m’en suis jamais excusé. Mais que Xavier soit ici remercié, même s’il ne sait pas exactement ce qu’il a fait pour moi.

Je ne sais pas si Instant Bullshit a une ligne éditoriale explicite, mais si il y en avait une, qu’est-ce-que ce serait ?

La ligne éditoriale tourne uniquement autour de mon nombril et dépend du temps que je passe à le caresser (des fois je n’en ai pas le temps, d’autres fois je ne fais que ça, c’est tellement délicieux). Je parle donc de musiques et de disques que j’aime ou de musiques et de disques que j’aime détester. C’est le reflet de mon égoïsme et de mon narcissisme. Parce que ça me plaît.

Neige morte

Pourquoi et pour qui écris-tu ? Ou, autrement dit, quel est le sens d’une publication comme Instant Bullshit dans la scène musicale actuelle ?

Je ne sais pas et je m’en fous. Il y a des chroniques qui plaisent, d’autres non. Il m’arrive d’avoir des réactions à certains de mes textes mais ces réactions sont rarement argumentées, c’est plus du genre : « ah c’est cool tu fais partie des rares personnes à avoir parlé de ce disque » donc c’est comme un « like » ou un « cœur » sur un réseau social, ça ne veut pas dire grand chose.

Tu écris des chroniques de disques et de concerts mais tu ne fais pas d’interview. Pourquoi ?

Je ne sais pas trop parler aux gens. Quand j’ai besoin de dire quelque chose à une personne je préfère lui écrire. Alors faire des interviews… c’est difficile pour moi et cela l’est de plus en plus. Lorsque je vais à un concert je préfère me cacher derrière mon appareil photo plutôt que d’avoir de réelles discussions.

Je crois que, comme moi, tu a commencé à écouter de la musique à un moment où les fanzines jouaient un grand rôle. Est-ce que c’est quelque chose qui a été important pour toi ?

Oui et j’en ai plein chez moi. Je suis très heureux de constater que depuis quelques années les fanzines reviennent à la vie, que des gens veulent à nouveau imprimer des mots, écrire sur leurs idées, leurs ressentis, et que cela soit sur autre chose qu’une page web à peine consultable sur l’écran microscopique d’un téléphone pseudo intelligent. Mais je ne suis pas assez courageux pour faire de même : écrire pour un blog c’est tellement plus confortable et pneumatique.

Y a-t-il des personnes dont le style d’écriture t’ont particulièrement marqué et donné envie d’écrire sur la musique ?

Je ne sais pas trop… Les bouquins sur la musique sont souvent tellement mal écrits ! Et je ne te parle même pas des autobiographies de musiciens. Pourtant je lis beaucoup de livres sur et autour de la musique : le sujet m’intéresse beaucoup plus que le style employé, que la forme. J’aimerais pourtant bien te citer Lester Bangs mais ce type est tellement inatteignable, jusque dans ses erreurs d’appréciation, d’ailleurs… Et puis j’aime beaucoup ces auteurs qui écrivent des romans et des récits que je peux lire un peu de la même façon que j’écoute un disque qui me plait et me touche : Bukowski, Fante (père et fils), Philip K. Dick, Roberto Bolaño, Harry Crews, Jack London, Norman Mailer (enfin, principalement pour « Un Rêve Américain »), beaucoup d’auteurs américains, en fait.

Emilie Zoé

Je voulais aussi te poser une question sur la négativité et l’intransigeance. Quand on parle de musique avec une personne, on dit  « Ça, j’aime pas » ou « Ce groupe, j’ai jamais compris », – ça paraît même essentiel, c’est ça qui fait le sel des goûts de chacun – mais c’est quelque chose qu’on ne retrouve pas toujours dans la presse écrite. As-tu des idées là-dessus ?

Oui j’ai quelques idées. Dire ou écrire « j’aime » ou « j’aime pas » est interdit par la psychorigidité du journalisme professionnel. Mais il y a également cette pratique qui consiste – sur le web – a donner en pâture et en avant-première un disque via un player intégré ou une vidéo mais sans donner réellement d’avis, c’est de l’écriture événementielle, de la recherche de buzz. Et j’en ai vraiment rien à foutre. Sinon donner son avis est dangereux lorsqu’on vend des espaces publicitaires et que l’on passe son temps à gratter des disques promotionnels ou des places de concert gratuites pour occuper ses soirées.

T’est-il arrivé d’avoir des retours négatifs sur un article ?

Oui j’en ai eu à l’époque de Heavy Mental mais pour l’instant pas pour Instant Bullshit alors qu’il y a un formulaire de contact en bas à droite sur la page du blog pour qui souhaiterait me contacter mais personne ne l’a encore fait. En moyenne une personne passe moins d’une minute sur une page internet ne comprenant que des mots mais aucune vidéo ni aucun extrait musical : la lecture assidue est devenue un véritable acte de bravoure… alors réagir avec des mots à d’autres mots c’est carrément de la science fiction dans un monde où avoir l’air de réfléchir est plus important que la réflexion en elle-même.

Quelles sont les publications, papier et numérique, que tu consultes aujourd’hui et pourquoi?

Je lis Perte & Fracas, Des Cendres A La Cave, Le Monde, Le Monde Diplomatique, Courrier International, Le Figaro et quelques autres trucs lorsque je tombe sur un article dont le sujet m’intéresse. Mais je consulte surtout des sites d’informations alternatives et d’opinions contrastées (rebellyon.info par exemple).

Dewaere

Tu fais également des photos de concerts, qu’on retrouve régulièrement sur Instant Bullshit et qui ont aussi fait l’objet, je crois, d’expositions. Peux-tu nous parler un peu de ton approche la photographie ?

La plupart des photos que je prends sont plutôt visibles sur mon flickr où il y a un album consacré aux photos de concerts et un autre avec tout le reste : des paysages, mes enfants, des photos de rues, etc. Je n’expose pas vraiment – seulement cinq fois à ce jour dont deux expositions collectives – parce que j’ai la flemme. Pendant longtemps je n’ai pas voulu faire de photos parce que c’est lié à mon histoire familiale et que j’ai tout fait pour rejeter celle-ci. Puis j’ai fini par grandir (enfin, pas trop non plus) et j’ai voulu documenter les concerts où je me rends. J’aime le noir et blanc très contrasté et j’aime faire des instantanés avec des gens qui bougent à l’intérieur du cadre, donc faire des photos de concerts est idéal pour moi. Mais honnêtement je n’y connais pas grand chose, je suis incapable de te citer des « grands photographes » qui me touchent – exception notoire : certains vieux trucs de Jan Saudek – ou de te parler technique. En plus ça m’emmerde un peu, presque autant que les conversations entre fans de sport. J’ai appris par moi-même, je me suis au point tout seul des petites techniques un peu fainéantes mais qui donnent illusion de faire le taf. Du moins, je l’espère. Et puis, une photo, ce n’est pas une simple représentation de la réalité mais (donc) une illusion transformée de celle-ci, figée, et des fois même presque mortuaire. Une photo doit montrer ou exprimer quelque chose et comme ce quelque chose est la plupart du temps inexprimable (comme l’émotion et l’ambiance d’un concert) il s’agit de faire autrement, une image qui se rapproche des fois à peine de ce que l’on a ressenti. Je ne crois pas en l’objectivité et en la neutralité du photographe ou du preneur d’image. Ou alors on parle de caméra de surveillance et de totalitarisme du reflet d’un miroir sans tain.

Tu vas très régulièrement voir des concerts, quel est ton impression la scène lyonnaise actuelle, que ce soit du point de vue des groupes, des salles, du public ou autre ?

La musique à Lyon est très présente et très variée. Je n’aime pas parler de « scène », ça fait géographe, sectaire ou patriote, bref un truc qui pue. Il y a des groupes, des salles, des orgas, des concerts, des publics et c’est tout. Mais c’est très cool tout ce foisonnement à portée de main. En plus, les concerts à Lyon restent abordables financièrement – du moins ceux auxquels je me rends – et l’éthique Do It Yourself / Do It Together est très présente et importante. Bien sûr, il y a quelques tocards qui se la jouent rebelles du rock’n’roll, comme de partout j’imagine. Mais, globalement, habiter dans cette ville est une chance, oui, même si sur beaucoup d’autres plans ça craint (le nettoyage et la gentrification des quartiers populaires, la surenchère immobilière, Lyon capitale de l’extrême-droite européenne, la fête du Beaujolais, la fête des Lumières, les Nuits Sonores, le harcèlement des contrôleurs dans les transports en commun alors que bus et métros devraient être gratuits pour les gens démunis, Gérard Collomb, l’Olympique Lyonnais et ses supporters décérébrés, l’hypocrisie de la Métropole face au problème des réfugiés, je pense notamment à ceux qui sont parqués depuis des mois dans l’ancien collège Maurice Scève dans le 4ème arrondissement, etc).

France

Et le meilleur groupe lyonnais en ce moment, c’est qui ?

Je ne sais pas ce que signifie « meilleur groupe lyonnais » mais je peux citer quelques groupes que j’aime bien en ce moment comme Neige Morte, Balladur, Tôle Froide, Bleakness, Hørdür, Grand Veymont, François Virot Band, Warfuck, Schleu !, Saló, Kouma, Chromb !, Meurtrières, Contractions, Monplaisir ou Ursa. Mais mes préférés restent Tombouctou. J’avais littéralement adoré le premier album et je sais que le groupe a désormais suffisamment de nouvelles compositions pour enregistrer un deuxième LP, j’aimerais vraiment qu’il y arrive.

Les photos des groupes sont bien évidemment de Hazam. Merci à toi.

>>>>>>>>>> INSTANT BULLSHIT

>>>>>>>>>> SITE PHOTOS

>>>>>>>>>> ET UN AUTRE

Instant bullshit

Le monde de la musique tourne largement autour des groupes mais c’est une erreur. Ecrire sur la musique, tout comme faire un label ou organiser des concerts, ça a au moins autant de valeur et c’est au moins autant essentiel, en tous cas dans une scène où il n’y aurait pas d’un côté les musiciens et de l’autre juste des spectateurs.

Instant Bullshit est un blog – revendiqué comme tel, même pas honte – lyonnais qui publie des chroniques de disques et des reports de concerts accompagnés de jolies photos en noir et blanc. L’auteur a écrit dans Perte & fracas et la naissance de I.B. – qui fait suite à Heavy mental – semble plus ou moins correspondre au moment où Hazam a cessé de publier sur le site rennais.

Musicalement, le blog trempe en gros dans les mêmes eaux que Rad-Yaute – il arrive assez souvent qu’on en vienne à parler des mêmes groupes au même moment -, à savoir un spectre assez improbable qui va du punk jusqu’à des musiques plus expérimentales, en passant par tout ce qui touche de près ou de loin à la noise, ça va de soi. Le contenu est en plus solidement ancré dans la scène locale du fait des chroniques de concerts qui permettent souvent de découvrir des projets avant tout le monde – un groupe jouant la plupart du temps sur scène avant de sortir un disque, n’est-ce-pas. Dans un monde idéal, il y aurait des Instant bullshit, qui donneraient des nouvelles des mondes musicaux souterrains partout.

Faut pas trop chercher l’objectivité dans Instant bullshit et c’est vraiment ce qu’il y a de mieux. Les articles sont longs, souvent sinueux – l’auteur a initié une rubrique « Chroniques express » pour se forcer à plus de brièveté – mais creusent un truc qui leur est propre. J’imagine que les meilleurs magazines sont composés de gens comme ça, de voix individuelles qui t’ouvrent la porte d’un univers. Personne n’a besoin de lire que le groupe machin a sorti un album de métal-bidule et qu’une vidéo sera visible sur vos écrans le 25 décembre. La seule chose intéressante, c’est de lire sur ce qui aimante une personne de manière viscérale vers une musique et qui la pousse à creuser son sujet encore et encore.

Il n’y a pas d’autre façon d’écrire sur la musique.

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