« Liquidation avant travaux » (Nurse, Crankcase – Le Moderne, 21 juin)

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Cette année encore, le Moderne bar proposait une Guinguette rock’n roll dans son arrière-cour. Un décor parfait à base de mur écroulé, de graffiti géant pas moche et de ces immeubles bien gris et bien massifs qui font le charme si particulier d’Annemasse city.

Nurse aurait sûrement fait fureur au mileu des années 90, avec son émo-rock cadencé qui fait méchamment taper du pied. Le son était  parfait, très naturel avec l’impression que le grain de l’ampli Orange coulait directement des enceintes.

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C’était la deuxième  fois que je les voyais et ça m’a permis de me rendre compte à quel point leurs morceaux sont ciselés. Le groupe dose ses effets, module ses transitions et varie ses intensités avec art. On passe d’une ambiance spoken-word bluesy lancinante à de grosses poussées de fièvre et, même si on est quand même en terrain connu, chaque titre a sa personnalité, son équilibre. Des morceaux aboutis qui demandent à être enregistrés – ce qui devrait être fait d’ici l’automne, apparemment – et gravés sur vinyle, cd, cassette, quelque chose, quoi.

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Nurse prêche la fièvre

Sur scène, comme le dit le bassiste, le groupe lâche tout et s’attache à repousser les limites de la folie dans le rock’n roll. Ce que le public varié de la fête de la musique regarde avec  approbation.

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Crankcase… Alors eux, ils ont clairement vendu leur âme au rock’n roll sale et électrocuté.

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Et quand on se permet de disserter sur les touristes allemands en Birkenstocks en Ardèche entre les morceaux et en plus de faire une reprise punk de « Boys, boys, boys » de Sabrina, et ben,  c’est même pas la peine de demander le purgatoire, il n’y aura aucune rémission, ce sera l’ enfer direct.

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On est pas au Hell fest mais c’est pas ça qui va empêcher Crankcase de lancer un circle pit de fou (« farandole », en français). Histoire de fêter dignement la dernière fête de la musique dans ce lieu, victime de l’appêtit des promoteurs immobiliers.

crkse 4A New York comme à Annemasse city, la gentrification dicte sa loi et progresse inexorablement.

« Apocalypse noise » (Unsane, Sofy major – Epicerie moderne, 31 mai)

unsane 4Echappée du mardi soir jusqu’à Feyzin, à l’Epicerie moderne. Une salle déjà de bonne taille  avec une petite librairie intéressante et une jolie expo de Florent Blache visible dans le bar. Accompagnés de leurs potes de Sofy major, Unsane y marchait dans les traces de leur tournée de 2012. Les labels Bigoût records et Solar Flare (le label de Sofy major) étaient aussi de la partie et tenaient des stands.

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Sofy major

Vus – découverts même, en ce qui me concerne – à l’Usine l’an dernier, le trio Sofy major a le stoner rocailleux. Ca rocke, ça file droit sur du mid-tempo puissant qui suinte le gasoil. Pleins de sons merveilleux s’échappent de l’ampli basse, sauf que t’entends plus rien si t’es du côté du bassiste. Musicalement, je trouve ce groupe assez proche des genevois de Wardhill. Ou d’Unsane, tout simplement. La filiation est bien visible,  même si c’est une affaire un peu plus rock.

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Bon moi, j’avoue que j’ai moyennement la vibe stoner. De mon point de vue, Sofy major, c’est un peu comme être lancé à plein gaz dans un vieux camion sur une de ces routes américaines infinies. C’est super sympa, ça peut être enivrant même, mais c’est aussi un poil monotone. Le dernier morceau par contre, plus lent, plus répétitif, introduit tout à coup une tension sourde qu’il n’y avait pas durant leur set et laisse entrevoir un autre visage du groupe…

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Unsane

Orfèvres du bruit blanc, Unsane fait monter direct son noise-hardcore bluesy jusqu’à l’incandescence et la température ne redescendra pas, bloquée à l’intensité maximale. Le groupe new-yorkais enchaine sans effort apparent ses ouragans soniques, les classiques « Scrape », Commited » ou « Alleged » ou des titres tirés des albums plus récents comme « Against the grain » ou « It’s only pain », poignants à tomber.

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Les visages sont tordus par des grimaces. Il y a une tension telle dans les morceaux que même les silences entre les titres ne sont qu’un temps de suspens menaçant.  Vinny Signorelli, le batteur, la pulsation du groupe, ne peut pas s’empêcher de jouer même entre les morceaux. Certains dans le public s’essaient au pogo mais ça ne prend pas, Unsane c’est un tempo trop lourd, trop écrasant.

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Dans le public, les rangs se sont bien resserrés. C’est classe de voir un groupe avec autant d’expérience derrière lui vivre encore la musique qu’il joue de cette manière. Une musique surpuissante et abrasive mais qui pourtant ne sonne jamais  métal et qui a à peine bougé en plus de 25 ans d’existence. Comme si elle exprimait quelque chose de trop primitif pour subir l’influence des modes ou du temps.

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L’homme à l’harmonica

Pas de rappel. Le set laisse un champs de ruine derrière lui. Seul Dave Curran reste sur scène, collé à son ampli basse pour laisser bourdonner et mourir un dernier larsen.

Encéphallogramme plat.

Game over.

« Holy fuck, yeah! » (Unlogistic, Nurse, Speed Jesus, Rupturr – Bellecombe-en-Bauges, 21 mai)

Bellecombes, c’est un joli village perdu dans le massif des Beauges, entre Annecy et Aix-les Bains. La route qui y mène est bordée de plein de belles falaises, qui te font te demander pourquoi tu ne vas pas grimper plutôt que d’aller voir un concert de hardcore…

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Ca se passe dans une bonne vieille salle-des-fêtes – enfin une salle sans scène ! – et c’est un concert à l’occasion de l’anniversaire d’un personnage-clé de la scène punk d’Annecy. What’s his name ?, pourriez-vous vous demander… Loaf is the answer.

C’était aussi l’occasion de voir enfin Nurse, dont j’ai loupé systématiquement tous les concerts. Ce groupe des alentours de Reignier joue une sorte d’émo-rock enflammé. La basse et la batterie font tourner des rythmique entrainantes sur laquelle la guitare vient poser ses motifs inventifs.

Ils ont tous l’air tout à fait d’accord pour jouer la musique qu’ils font et il y a dans ce groupe une énergie incandescente, très screamo 90s, bien classe. Leur set se termine par un chouette morceau long et lancinant, ponctué d’explosions intermittentes. Il paraît qu’ils ont enregistré des morceaux il y a déjà deux ans mais ne les ont jamais sortis. Peut-être qu’ils se décideront un jour à les terminer ?

Le groupe d’après vient de Saint-Etienne et n’a pas grand chose à voir. Rupturr est un duo  avec boite-à-rythme (passée sur cd !!)  et leur death/grind pourrait rappeler une version lo-fi (ou punk) de Napalm death. La boïte-à-rythme ajoute au côté arme de destruction massive et le bassiste ressemble à une réincarnation de Lemmy, voix y compris.

Speed Jesus… Holy fuck ! comme disent les Américains (enfin… pas tous). Ce groupe vient d’Orléans et inclue dans ses rangs un (ou des) membres de Gravity slaves ainsi que le guitariste de Nesseria. Fast-hardcore furieux, la bave aux lèvres. Le truc originel. Pur. Pas un plan en trop, pas l’ombre d’un riff macho-métal. La basse magnifique, pleine de distortion et de larsens. Ca pourrait rappeler plein de vieux trucs – qu’il ne serait pas nécessairement intéressant de nommer mais je le fais quand même juste pour le plaisir : Heresy ou Siege – et en ce qui me concerne, ils auraient pu jouer 5 sets d’affilée, je prenais.

Enfin ont joué Unlogistic. Trio de guitare, chant et boîte à rythme parisien, dont je croise le nom depuis toujours (je crois qu’ils jouent depuis plus de 20 ans) sans les avoir jamais vus. Chaotique – et pour faire chaotique avec une boite-à-rythme, il faut quand même s’employer – , leur version tarée du punk-hardcore mélange punk mélo et speed hardcore où tout est dit en moins d’une minute, un peu à la façon de 7 seconds. Ca fait des sales blagues en continu, ça méprise les codes du concert rock formaté, rien à foutre d’assurer, rien à foutre de retourner la salle, juste l’envie de jouer du punk jusqu’à la dernière de ses tripes. J’adore ce genre de groupe, qui arrive à briser le mythe du concert de rock pour installer une ambiance différente.

Pas de photo pour ce concert, mais peut-être qu’Olivier Lowlightconditions postera les siennes ?

 

 

« Toujours pas guéris » (Happening, Therapy ? – Chateau-rouge, 28 janv)

 

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Happening full power  (Toutes les photos sont de Geoffrey Martin, voir plus bas)

Le concert d’Happening commence par un faux départ. Peut-être de nervosité, le batteur casse le ressort de sa pédale de grosse caisse. Ce sera l’unique faux-pas du trio : le reste du set est exécuté de manière implacable.

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Happening, c’est un peu le power-trio par excellence. Chacun à son poste, pas de filet ou de solution de remplacement. On avance en rang serré, le groupe fait corps, avec notamment une basse-batterie inébranlable, qui martèle son propos sans une note ou un coup de caisse claire en trop.

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La musique nerveuse du trio alterne riffs anguleux et montées en puissance mélodiques, moments suspendus et explosions de fureur. Les ambiances se télescopent et se succèdent de manière aussi mouvante et imprévisible que la grosse mer de la pochette de leur tout nouveau disque.

L’énergie explosive du trio, son attitude sur scène, son contact chaleureux avec le public (plutôt le fait d’Anthony, le chanteur, il faut bien le dire), tout sent la sincérité et l’envie d’en découdre. La petite scène du café de Chateau-Rouge permet une proximité qui va bien au groupe et permet de prendre sa mesure.

 

… A peine le temps de commander une bière qu’on a déjà raté les tout premiers moments du set de Therapy? A vrai dire, je n’avais pas d’attente particulière vis-à-vis du concert de ce vieux groupe irlandais. J’aime bien les premiers disques, la période un peu plus noise-rock, avant le coming out pop de Troublegum. J’assiste donc, sceptique ou presque, aux premiers titres du groupe. Les morceaux sont souvent limpides, il y a un vrai talent pour écrire des hymnes power-pop – je fais exprès d’exagérer un peu, le groupe était labellisé « métal » par Chateau-rouge… – des hymnes, donc, au ton faussement enjoué, aux mélodies souvent douce-amères. Mais enfin, ces riffs simples, alignés, ces progressions d’accords, on a parfois un peu l’impression de les avoir entendus mille fois. Et de limpide, Therapy? semble tout-à-coup un groupe trop évident, transparent.

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Ladies and gentlemen : Mister Andy Cairns

 

Mais…

Mais ?

Mais.

Mais les gars savent y faire. Mais la sauce prend. On ne sait pas comment mais, au fil du concert bien rodé, l’énergie monte peu à peu. L’hymne tout à coup, sans qu’on en ait vraiment pris conscience, s’est mis à vibrer. Alors oui, certes, Andy Cairns raconte toujours les mêmes conneries (ça fait 23 ans que « son français est merde », selon un observateur avisé). Oui, ça lève son instrument au ciel à tout bout de champ en signe de domination du stade. Ca fait chanter le public et ça place des vieux tubes au bon moment pour arracher des soupirs d’aise téléphonés. Mais, à y réfléchir, l’oeil exhorbité de Cairns et sa voix de petite fille apeurée ne sont pas si lisses que ça et l’enthousiasme des musiciens est vraiment entraînant. On sent qu’ils prennent plaisir à organiser cette fête païenne et bon enfant, où l’on célèbre sa névrose dans le pogo et la bonne humeur.

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Quel pied de réentendre Teethgrinder et d’autres morceaux de ce dance-rock répétitif et froid issu de l’album Nurse ! Un petit bout d’I wanna be your dog aussi, qui viendra pimenter le set (Pourquoi juste un bout, d’ailleurs ? Je les ai haïs à ce moment-là…), déclenchant un pogo immédiat. Et la reprise de Diane (avec le violoncelle enregistré), prenante et belle, même si leur version n’est pas aussi déchirante que l’original d’Husker-Du.

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Les titres se sont enchainés et la pression n’a cessé de monter pour atteindre ce joli moment d’ivresse sonique qui vous laisse pantelant, lorsque le groupe a quitté la scène et que les lumières crues ont à nouveau envahi la salle, à gueuler pour qu’ils reviennent, qu’ils en donnent encore. Et oui, Therapy? reste une belle bête de scène…

PS Cet article est une « coproduction » entre Rad-Yaute et le webzine Rictus (http://rictus.info/mag). Un webzine coopératif et non-profit tout azimuts intéressant.

PPS Les photos sont copyright Geoffrey Martin : http://www.geoffrey-martin.com/. Merci à lui.